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Armand Desponts, jeune cinéaste qui fait graviter les corps

Il est passionné de cinéma et réalise ses propres courts-métrages, elle est passée par les cours Florent et l’équipe de France de gymnastique rythmique. Armand Desponts et Noé Balthazard sont tous les deux diplômés de Sciences Po et se sont rencontrés sur Instagram pendant le premier confinement. Devant l’évidence de leur univers esthétique commun, ils tournent La Gravité des Corps, un film écrit par Armand Desponts dans lequel il met en scène Noé Balthazard dans la peau de Marianne. Entretien croisé.

Propos recueillis par Selma Chougar

Armand Desponts réalisateur de La Gravité des Corps. (Crédits : Claire Boulmier)

Quels ont été vos parcours professionnels et académiques ? 

Armand Desponts : Lorsque j’étais au lycée, je décide de répondre à l'appel lancé par l'Éducation nationale et réalise un court-métrage de sensibilisation contre le harcèlement à l’école intitulé Parle !. Le film totalise plus de 50 000 vues sur Youtube, remporte le prix « Coup de cœur » de l'Académie de Caen et permet à mon lycée de récolter la somme de 1 000 € pour mettre en œuvre des actions de prévention et de communication auprès des élèves. L’année suivante, je prends la présidence de Sciences Po TV sur le campus de Nancy et réalise avec les membres de l’association le court-métrage Hybris qui traite de la problématique du suicide chez les étudiants. Le film remporte la première place au Minicrit de Dijon ainsi que plusieurs prix en festivals, notamment celui de la meilleure actrice dans un court-métrage étudiant au European Cinematography Awards (ECA).

En parallèle de mes études à Sciences Po, j’endosse aussi différents rôles en tant que photographe et vidéaste freelance entre Paris et Berlin. J’ai notamment travaillé comme assistant réalisateur sur le clip Bébé des chanteurs MHD et Dadju ainsi que sur la fabrication d'un moyen-métrage allemand Das Ende unserer Zeit tourné entre la Belgique, l'Allemagne et la République tchèque. Je cumule aussi plusieurs expériences, notamment au CNC à la Médiation du Cinéma auprès de Laurence Franceschini, à Europa Cinemas aux côtés de Claude-Éric Poiroux ainsi qu’à Studiocanal au sein des Ventes internationales des films du catalogue.


Noé Balthazard : Formée à la danse classique en équipe de France de gymnastique rythmique, dont j'ai été membre pendant huit ans, j'apprends l’art dramatique au cours Florent. Parallèlement, je suis diplômée de l’École de journalisme de Paris où je me suis formée à la réalisation audiovisuelle. J’entre ensuite à Sciences Po où je valide un master en politiques publiques spécialisé en affaires culturelles, tout en me dirigeant vers le spectacle vivant. Le confinement de mars 2020 faisant obstacle à mes souhaits de mise en scène, je me tourne vers le cinéma et réalise mon premier court-métrage La Cène, une méditation queer sur les enjeux de représentation de l’œuvre métaphysique de Léonard de Vinci, photographiée par Armand. Je tiens ensuite le premier rôle dans son film La Gravité des Corps. L’année suivante, je poursuis mon approche expérimentale en réalisant mon second film D’un amour à haute altitude. La place de la danse et du geste restent au cœur de mon approche cinématographique.

Comment vous êtes-vous rencontrés et pourquoi ce duo ?

Noé Balthazard et Armand Desponts à la projection au Christine 21. (Crédits : Méhdi Loussaief)

N.B. : Nous nous sommes rencontrés sur Instagram pendant le premier confinement. De mon côté, j’avais le désir de réaliser La Cène et je cherchais à composer l’équipe du film. Armand y publiait notamment des vidéos en stop motion que je trouvais très poétiques. J’y suis allée à l’instinct et lui ai directement demandé s’il avait l’envie de faire la photographie sur mon film. Son grand enthousiasme, son côté « nerd » du cinéma, et son savoir-faire technique ont achevé de me convaincre. Cette première réalisation a été la genèse de notre collaboration. Devant l’évidence de notre univers esthétique commun, j’ai immédiatement accepté de jouer dans La Gravité des Corps, que l’on a tourné juste après.

A.D. : C’est durant le premier confinement que je suis tombé sur les vidéos de danse que postait Noé sur Instagram. Ça a été un déclic. Ses gestes, ses pas, ses mouvements m’ont immédiatement propulsé dans le cinéma qui a forgé ma cinéphilie : le muet de Lang, Vigo, Clair, le burlesque de Keaton, Chaplin ou encore de Lloyd… J’ai immédiatement mis de côté le projet sur lequel je travaillais pour lui écrire un scénario et ce, avant même de prendre contact avec elle. J’ai gardé secret le scénario pendant pas mal de temps et ai attendu la fin du tournage de notre première collaboration sur La Cène pour lui glisser : « Eh devines quoi… Je nous ai écrit un script en cachette. Partante pour le tourner avant la fin de l’été ? ». C’est comme ça que La Gravité des Corps est né.

Le pitch du film en quelques mots et pourquoi ce titre ?

Affiche du film La Gravité des Corps (Crédits : Sarah Bourge)

A.D. : En quelques mots, c’est l’histoire d’un couple en plein camping sauvage qui traverse une crise. Il part. Elle décide de rester. J’avais envie d’écrire une histoire d’amour à l’envers. Une histoire qui commencerait non pas par une rencontre mais par une rupture. Une histoire dans laquelle le personnage féminin ne se réaliserait non pas par rapport à l’homme qu’elle a rencontré mais par rapport à elle-même. Un proverbe arménien que j’aime beaucoup dit : « Si mon cœur est étroit, à quoi me sert que le monde soit si vaste ? ». C’est probablement cette question que se pose le personnage de Marianne dès le début du film. Marianne a soif de vivre par elle-même et pour elle-même. Elle entreprend une démarche radicale : se détacher de toute construction sentimentale et sociale. C’est finalement une personne qui cherche sa voie. Le film montre ce grand rendez-vous avec elle-même au cours duquel elle repense notre société et notre rapport au monde par le prisme du sentiment amoureux mais aussi par celui de l'autarcie et de l'anticonformisme. Ici, la gravité, c’est celle entre les individus, l'attirance, mais c’est aussi celle qui s'exerce sur chacun de nous, qui nous garde les pieds sur Terre, nous met sur un pied d'égalité, celle qui nous ramène à notre état premier, celui de singes nus. D’où La Gravité des Corps.

Quel a été l’accueil reçu par ce film ? Avez-vous réussi à obtenir des financements et à être diffusé en salle ?

N.B. : Les retours ont été très positifs. Tant au niveau de ses qualités esthétiques et techniques que sur le propos du film. Beaucoup nous ont dit s’être reconnus dans la quête existentielle de Marianne et vivre une expérience cinématographique originale. Nous avons eu la chance d’être projetés au cinéma Christine 21 dans le VIe arrondissement de Paris. Pour un film autoproduit, c’était un joli destin.

Projection au Christine 21, questions/réponses avec le public. (Crédits : Méhdi Loussaief)

A.D. : C’est la première fois que je projetais l’un de mes films à Paris et le moment d’échange organisé à la fin de la séance nous a permis de partager avec le public un moment fort en émotion. Concernant les financements, nous savions qu’un tournage en été, entre les deux confinements, serait trop juste et incompatible avec les aides à disposition des créateurs. Il y avait une urgence à créer, on le ressentait tous les deux et on ne pouvait pas passer à côté. C’est pourquoi nous avons opté pour une production entièrement auto-financée.

Pourquoi la danse comme moyen d’expression dans ce film ?

A.D. : La danse s’est imposée à nous tout au long du tournage en travaillant à partir des costumes. Avec Noé, on a composé une gestuelle pour son personnage à l’image d’un Charlot dans Les Temps modernes, notamment grâce à un bleu de travail un peu trop large.

Extrait du film La Gravité des Corps.

N.B. : La danse est pour moi un moyen d’expression universel, accessible et simple. Elle parle toutes les langues et touche tous les regards. D’un point de vue cinématographique, je m’en sers comme d’un outil pour raconter des identités chahutées et des trajectoires de vie fatalement singulières. C’est dans la transgression du mouvement que l’on trouve l’instrument de notre liberté. Plus simplement, c’est un art visuel, comme le cinéma qui a commencé avec les travaux de Marey et Muybridge qui cherchaient à décomposer le mouvement.

Armand, vous avez réalisé ce film après le premier confinement, y a t-il un lien entre le contexte de création du film et le scénario qui met en scène une jeune femme seule essayant de déconstruire la société qui l’entoure ?

A.D. : C’est indéniable. J’ai eu un regain d’inspiration pendant le premier confinement. Il ne s’agit pas d’un film sur la crise sanitaire à proprement parler mais plutôt sur la remise en question qu’elle a engendré. Le début du confinement a été une opportunité inédite pour m’évader d’un train de vie insatiable et m’offrir un retour aux confins de moi-même. C’est ce qui m’a inspiré l’état d’esprit et le monologue intérieur du personnage de Marianne dans le film. C’était important pour moi que le film puisse s’appliquer à n’importe quel contexte, que chacun puisse se l’approprier et s’en inspirer.

On a beaucoup parlé des effets négatifs qu’avait l’isolement chez les jeunes durant la crise sanitaire. Dans votre film, la solitude que vit la protagoniste semble être bénéfique et révélatrice, quel est votre rapport à la solitude ?

Extrait du film La Gravité des Corps.

N.B. : En tant qu’artiste, je trouve la solitude bénéfique en ce qu’elle permet la rêverie, sans limite autre que celles qui sont dans notre tête. L’isolement est pour moi nécessaire au temps de création, c’est certain. Pour le reste du temps, c’est une autre histoire.

A.D. : Je ne sais pas si la solitude de Marianne dans le film est bénéfique. En tout cas, elle est révélatrice et la conduit à s’évaporer du monde qu’elle habite. Au fur et à mesure de sa réflexion, son environnement évolue. Les paysages s’élargissent et deviennent de plus en plus lunaires et abstraits, tandis qu’elle rétrécit pour finalement se noyer dans ce nouvel espace. J’avais très envie d’emprunter à l’esthétique du Petit Prince sur sa planète ou encore à celle de Lewis Caroll et de ses proportions. 

Ici, la solitude de Marianne m’a permis de cultiver une forme de candeur et d’absurde tout au long du récit. L’objectif était d’abord de frôler le ridicule en prenant une certaine distance avec elle pour ensuite se rapprocher petit à petit de son humanité et provoquer de l’empathie et de la compassion à son égard. Au moment de son dernier monologue, celui des boîtes, son mal du siècle nous semble tout de suite plus évident et nécessaire. Il me semble que c’est précisément ça la solitude. Une distance, une légèreté et, enfin, une gravité.

Dans le film, vous utilisez régulièrement le terme de « boîte » pour qualifier différents domaines de la vie en société, la boîte est également représentée visuellement. Pouvez-vous en dire plus sur ce concept, ce qu’il signifie pour vous ?

A.D. : C’est une métaphore empruntée à Pierre Rabhi que j’utilise pour matérialiser le thème de la domestication de l’Homme par l’Homme, de la servitude volontaire décrite par La Boëtie. J’utilise la figure monolithique de la boîte pour aborder ce sujet. Le cube blanc du film symbolise donc la main de l’Homme et son action sur ce qui nous entoure. Ça me permet d’aborder le fonctionnement actuel de notre société, de ses formes et de ses représentations. Je traite de ce sujet par la visualisation car je la considère comme un outil de prise de conscience extrêmement puissant.

Extrait du film La Gravité des Corps.

Vous avez tourné ce film en Normandie, dans des lieux déserts, par opposition à Paris qui est mentionné dans les dialogues, pourquoi ce choix ?

A.D. : La ville est construite par l’Homme, la nature non. Je voulais positionner Marianne en dehors de l’espace urbain, pour la soustraire de la société et la ramener à l’essentiel. C’était également l’occasion pour moi de situer le film dans les lieux de mon enfance en Normandie comme les Dunes de Biville ou encore la Pointe du Siège de Ouistreham. Ça m’a aussi permis de placer en arrière-plan la centrale nucléaire de Flamanville, l’usine de retraitement de la Hague ou encore la Cimenterie de Ranville, des lieux qui illustrent le monde que mon personnage cherche à fuir.

Avez-vous des projets pour la suite, ensemble ou individuellement ? Le cinéma est-il un projet de carrière pour vous ?

N.B. : En 2021, nous avons co-écrit un court-métrage autour de la couleur bleu Klein, L’horizon des évènements, pour lequel nous avons été sectionnés sur scénario au FILAF (Festival international du livre d'art et du film) et cherchons encore des financements. De mon côté, j’ai réalisé fin 2021 mon deuxième court-métrage D’un amour à haute altitude, qui fait actuellement la tournée des festivals. Nos projets à chacun sont nombreux et il ne fait pas de doute que l’on retravaillera ensemble à l’avenir ! Nous sommes d’ailleurs en train de préparer le tournage de mon prochain film dont Armand fera à nouveau la photographie.

A.D. : Oui, la réalisation est un projet de carrière pour moi. J’interviens en tant que réalisateur et directeur de la photographie sur différents projets audiovisuels pour des artistes et des marques. Côté fiction, sans trop en dévoiler, je m’apprête à coécrire un biopic sur l’histoire singulière d’un homme dans les États-Unis des années 70. J’ai aussi été sollicité par deux artistes allemands pour contribuer à la mise en production d’un moyen-métrage d’anticipation. En parallèle, je travaille aussi sur l’écriture de mon premier long-métrage. Il s’agit d’une libre adaptation d’un roman norvégien découvert pendant mes années de collège universitaire à Sciences Po.