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Perrine Laffont : "Les études sont primordiales car le ski, ça ne fait pas vivre, nous ne sommes pas des footballeurs"

Perrine Laffont est tombée dans le sport dès son plus jeune âge, sur les pistes de la station des Monts d’Olmes. Depuis, c’est dans la discipline spectaculaire du ski de bosses qu’elle rayonne. Son rêve olympique commence en 2014, aux J.O. de Sochi. Âgée de 15 ans, elle est alors la plus jeune représentante de la délégation française. À 16 ans, elle devient la première championne du monde française de ski de bosses en parallèle. Un an plus tard, elle remporte la récompense suprême en devenant championne olympique de ski de bosses… Devenir une référence de son sport si jeune l’a conduite à consentir beaucoup de sacrifices. Est-ce là la rançon du succès pour les champions qui veulent assouvir leurs rêves de médaille ? Le ski est-il reconnu à sa juste valeur en France ? Rencontre. 

Propos recueillis par Sandra Elouarghi et Maïna Marjany 

13 avril 2018 : le président de la République Emmanuel Macron remet la légion d’honneur à Perrine Laffont lors d’une cérémonie en l’honneur des médaillés des Jeux olympiques d’hiver à PyeongChang (Crédits : CNOSF/KMSP)

Vous êtes originaire des Monts d’Olmes, en Ariège. Votre père est moniteur de ski et votre mère présidente du Boss Club des Monts d’Olmes. Le ski et la compétition semblent faire partie de votre ADN. Était-ce une évidence pour vous ?

Comme mes parents étaient dans le ski, je suis en effet tombée dedans assez tôt et ça m’a beaucoup plu. Ils m’ont pourtant encouragée à faire d’autres sports : du vélo, de l’escalade, de la danse, du basket… Mais je suis revenue au ski, qui a l’avantage de se pratiquer dans la nature. 

Avez-vous trouvé qu’en France, et plus particulièrement dans votre région, l’environnement était propice à un entraînement de haut niveau pour ce sport ?

Je suis restée dans les Pyrénées jusqu’à mes 16 ans et j’ai pu y suivre des cursus de sportif de haut niveau, notamment dans la section ski-études du collège Mario-Beulaygue d’Ax-les-Thermes. J’ai ensuite dû partir dans les Alpes, parce que la structure d’entraînement pour les bosses se trouvait là-bas. À part pour cette pratique spécifique, il y a les structures adéquates dans les Pyrénées pour pouvoir s’entraîner à un haut niveau, l’un des sites de la région a d’ailleurs été choisi pour les J.O. 2024.

Comment avez-vous réussi à concilier entraînement, compétition et études ? 

Perrine Lafont réalisant une figure de ski de bosse (crédits : DR)

Ça a été vraiment très dur. Combien de fois au lycée je me suis dit que ce n’était pas possible, que j’allais arrêter les cours, parce que j’étais toujours en entraînement, en déplacement ou en compétition… Quand je revenais le soir et que je voyais tout le retard que j’avais pris, j’étais parfois découragée ! En plus, j’ai eu la bonne idée de faire un bac S et si tu perds le fil en maths ou en chimie, tu es paumée. Heureusement, j’ai eu d’excellents professeurs qui me faisaient des tutorats pour me permettre de rattraper les cours. Sans eux, je n’aurais pas réussi. Après mon bac, j’ai fait un DUT en techniques de commercialisation et maintenant, je prépare une licence en marketing commercial.

Malgré vos succès sportifs, vous avez donc toujours poursuivi vos études ?

En effet, j’ai reçu une éducation selon laquelle les études sont primordiales, car le ski, ça ne fait pas vivre sur le long terme. Même en étant sportifs de haut niveau, nous ne sommes pas des footballeurs, je ne pourrai donc pas surfer sur ma carrière de sportive, il faut que j’envisage dès maintenant ma reconversion. Pour trouver un travail, les diplômes sont essentiels.

Vous avez été surnommée « la machine à gagner ». Vous reconnaissez-vous dans cette expression ?

Certes, j’ai gagné pas mal de courses, mais ça fait un peu bizarre d’être appelée ainsi, on perd le côté humain… D’autant que je me remets beaucoup en question, j’ai souvent des doutes. Je me dis que ce n’est pas parce que j’ai gagné une fois que je gagnerai tout le temps. Je me demande à chaque fois ce que je peux améliorer pour continuer de gagner. C’est le b.a.-ba pour les grands sportifs : se remettre sans cesse en question pour devenir un meilleur athlète. 

Vous êtes championne olympique, victorieuse de la Coupe du monde, médaillée d’or mondiale en parallèle et, depuis mars dernier, vous êtes également championne du monde en simple, le seul titre qui vous manquait. Lorsque l’on dispose d’un tel palmarès à 22 ans, quels défis reste-t-il à relever ?

Il faut trouver d’autres motivations, c’est certain ! On peut toujours le refaire plusieurs fois, se battre pour conserver son titre. Mais j’essaie maintenant de moins me focaliser sur les résultats, car ça entraîne beaucoup de pression et d’attente. Désormais, tous les matins, je vais à l’entraînement pour me faire plaisir. On a un rythme de vie assez intense, donc autant être heureux dans ce qu’on fait et comme je suis heureuse, ça marche bien et les résultats suivent !

Les différences de salaire entre les femmes et les hommes sont encore importantes dans le monde du sport. Est-ce le cas du ski ?

Au niveau des primes, les filles sont à la même échelle que les garçons. Et dans mon équipe, on s’entraîne aussi avec les garçons, donc il n’y a aucune différenciation. En revanche, si on s’éloigne un peu du monde du ski, on constate en effet qu’il y a encore un problème d’égalité dans le sport en France. Je vais prendre un exemple : j’ai gagné le championnat de ski le 8 mars 2021, le jour de la Journée internationale des droits des femmes, et la une de L’Équipe, le lendemain, était consacrée au foot. Un nouvel entraîneur arrivait dans un club… 

Finalement, entre les années de sacrifices et les belles victoires, est-ce que vous trouvez que la balance est positive ? 

C’est une carrière très dure. Plusieurs fois, j’en ai eu ras-le-bol du ski, j’ai voulu tout envoyer balader… Mais mine de rien, les résultats nous font vite oublier les difficultés. Sans compter les expériences et les rencontres, ça vaut tout l’or du monde. J’ai eu également beaucoup de chance, car j’étais très bien entourée. J’ai eu de bons professeurs et de bons entraîneurs et surtout, je n’ai jamais été blessée. Le sport de haut niveau m’a énormément apporté, c’est la meilleure école de la vie : on apprend à être autonome très jeune, à gérer de la logistique, un budget et une équipe. À 22 ans, je n’aurais jamais appris tout ça si j’étais restée dans un cursus scolaire classique. Humainement, cela apporte également une grande ouverture d’esprit, on voyage beaucoup, on rencontre des personnes de cultures et de milieux complètement différents, je suis infiniment reconnaissante au sport de haut niveau de m’avoir offert ces opportunités.

Cet entretien a initialement été publié dans le numéro 23 d’Émile, paru en novembre 2021.