Tous les mois, Émile vous propose de découvrir une sélection de livres abordant des questions politiques sous différents angles. Au programme de la sélection de cette rentrée, des romans historiques, une réflexion sur la gauche française, les écrits de Raymond Aron, mais également des analyses internationales, de la Birmanie aux États-Unis. À lire !

Par Ismaël El Bou - Cottereau, Maïna Marjany et Driss Rejichi

Une brève libération

Sans avoir forcément vécu ces événements, tous les Français disposent d’une histoire familiale et d’un lien avec la seconde guerre mondiale, l’occupation et la libération. Dans ce livre, Félicité Herzog plonge dans son héritage maternel pour raconter l’histoire romancée de deux figures bien réelles. D’un côté, Marie-Pierre de Cossé-Brissac, la mère de l’auteure et jeune femme issue des milieux bourgeois collaborationnistes à l’époque de la guerre. De l’autre, Simon Nora, fils aîné d’une famille juive envoyé par son père en province en 1942, qui rejoint le maquis du Vercors et combat l’armée allemande jusqu’à la fin de la guerre. Lors de la libération, leur rencontre aboutit à une union qui durera près d’une décennie, que l’auteure érige en célébration d’une relation impossible et de l’entente des contraires.

L’AUTEURE

Directrice de la stratégie et de l’innovation au sein du groupe Vivendi depuis 2019, Félicité Herzog (promo 91) a également publié plusieurs romans et essais depuis 2012, où elle n’hésite pas à s’inspirer de son histoire familiale et personnelle.

Une brève libération, Félicité Herzog, Stock, 350 pages, 20,90€

Le Président se tait

Octobre 1979 : alors que Le Canard Enchaîné vient de révéler que l’ancien dictateur centrafricain Bokassa, récemment chassé du pouvoir, aurait offert plusieurs diamants à Valéry Giscard d’Estaing plusieurs années auparavant, ce dernier choisit de se murer dans le silence. Cette comédie sociale alliant l’humour au tragique culmine lorsque le chef d’État se décide enfin à prendre la parole, 49 jours après le début du scandale. À travers le point de vue d’un défilé de personnages tous plus différents les uns que les autres, de l’immigrée portugaise à l’inspecteur des Renseignements généraux en passant par le dissident russe, Pauline Dreyfus revient sur cet événement marquant de l’histoire de la Cinquième République.

L’AUTEURE

Pauline Dreyfus (promo 91) est une écrivaine renommée pour sa plume aiguisée et son talent à détourner les grandes figures et institutions de l’Histoire en subtile satire sociale. Son roman inspiré de la vie de Paul Morand, Immortel, Enfin (Grasset, 2012), avait été récompensé du prix des Deux Magots.

Le Président se tait, Pauline Dreyfus, Grasset, 252 pages, 20,50€

Aron et De Gaulle

Ce recueil d’articles de Raymond Aron sur de Gaulle inaugure une nouvelle collection, la « Bibliothèque Raymond Aron ». Lancée par sa fille, la sociologue Dominique Schnapper, en collaboration avec les éditions Calmann-Lévy, elle rassemble des ouvrages et des recueils d'articles de l’auteur de Démocratie et Totalitarisme (1965). 

Aron et De Gaulle, préfacé par Jean-Claude Casanova, met en lumière le rapport nuancé qu’entretenait cette voix du libéralisme antitotalitaire avec la figure gaullienne. Si Raymond Aron a voté en faveur de la Constitution de la Vème République, il fut en revanche plus critique sur la politique étrangère de l’homme du 18 juin, notamment sa décision, prise en 1966, de quitter le commandement intégré de l’OTAN. 

Cet ouvrage est aussi l’occasion de redécouvrir l’éthique du doute et de la modération qui est au cœur de son œuvre. « Notre objectif est de permettre à tous les lecteurs de Raymond Aron, du grand public au public universitaire, d’accéder à l’ensemble de ses œuvres. À l’heure où la tentation du repli identitaire est forte et où la polarisation des opinions oppose plus qu’elle ne nourrit le débat démocratique, dans une société de plus en plus archipélisée, nous avons encore plus besoin des livres », souligne Philippe Robinet, le directeur de Calmann-Lévy, maison d’édition qui a publié les textes de Raymond Aron dès 1947.

L’AUTEUR

Raymond Aron (1905-1983) : À la fois philosophe, politologue et journaliste, Raymond Aron fut aussi une grande figure de l’enseignement à Sciences Po. Son œuvre interroge le totalitarisme, le pluralisme et les relations internationales.

Aron et De Gaulle, Raymond Aron, Calmann-Lévy, 406 pages, 25€

Les sept péchés capitaux de la gauche

Dans son nouveau livre, la journaliste politique Astrid de Villaines utilise la typologie des sept péchés capitaux pour retracer l’effondrement idéologique et électoral de la gauche, de la défaite de Lionel Jospin en 2002, jusqu’au score lilliputien d’Anne Hidalgo - 1,7 % - à la dernière présidentielle. Malgré la « Nupes », la gauche ne gouverne pas. Trop enferrée dans ses divisions internes, la lutte des égos et « l'orgueil de chacun ». Le miroir que tend Astrid de Villaines à la gauche montre un champ de ruines, symbolisé par la chute du parti socialiste qui, selon elle, a été incapable de refonder son logiciel idéologique après la vague macroniste de 2017. En janvier 2022, le Cevipof rappelait que seulement 25% des Français se positionnent à gauche de l’échiquier politique. Ce livre tente d’apporter des pistes de réponses à cet échec et interroge les difficultés pour cette famille politique à traiter des questions régaliennes sans renoncer à ses valeurs.

L’AUTEURE

Diplômée de Sciences Po Lille, Astrid de Villaines est journaliste politique depuis plus de dix ans. Après avoir travaillé pour la chaîne parlementaire et le quotidien Le Monde, elle est, depuis janvier 2020, cheffe du service politique du Huffington Post.

Les sept péchés capitaux de la gauche, Astrid de Villaines, JC Lattès, 227 pages, 19 euros

Variations birmanes

Le 1er février 2021, une nouvelle junte militaire s'installait au pouvoir en Birmanie (la quatrième en 63 ans), mettant fin à près d’une décennie d’ouverture démocratique. Pour Amaury Lorin, plus que jamais, le pays se trouve « à la croisée des chemins ». Malgré une actualité impactante, la Birmanie semble pourtant être tombée dans l’oubli relatif du public. Après avoir parcouru le pays durant deux années, entre 2013 et 2015, Amaury Lorin propose avec cet ouvrage de redonner une place méritée à la culture et à l’histoire birmanes. Des rebelles du Kachin aux touristes de l’archipel des Mergui, de la « cité interdite » de Rangoun à la tragédie des Rohingyas en Arakan, l’auteur nous emmène à la découverte des différentes régions de Birmanie, brossant un portrait exhaustif de la situation actuelle du pays à l’aune de son histoire.

L’AUTEUR

Docteur en Histoire, Amaury Lorin (promo 03) a notamment travaillé sur la Troisième République et la figure de Paul Doumer. Il a également codirigé Nouvelles histoires des colonisations européennes (XIXe-XXe siècles) : sociétés, cultures, politiques (PUF, 2013).

Variations birmanes, Amaury Lorin, Samsa, 199 pages, 20€

La révolution conservatrice aux États-Unis : De l’avortement au droit de vote, la démocratie pervertie

En moins d’une semaine, la Cour Suprême a consacré la liberté de port d’arme (23 juin), enterré le droit à l’avortement (25 juin) et suspendu le plan gouvernemental de réduction des émissions de CO2 (30 juin). Alors même que la majorité de la population était opposée à ces décisions, une minorité a su exploiter les failles du système pour imposer ses préférences. Pour Ludivine Gilli, ce paradoxe relève d’une instrumentalisation du « déséquilibre institutionnel structurel » par le camp républicain. En décortiquant les mécanismes sur lesquels repose cette dénaturation démocratique, l’auteure met en évidence des dynamiques forgées sur le temps long, menaçant la stabilité de la République et de l’ensemble du pays.

L’AUTEURE

Ludivine Gilli (promo 05) est docteure en histoire urbaine et diplômée de Sciences Po. Directrice de l’observatoire Amérique du Nord de la fondation Jean Jaurès, elle est spécialiste des États-Unis.

La révolution conservatrice aux Etats-Unis : de l’avortement au droit de vote, la démocratie pervertie, Ludivine Gilli, Editions de l’Aube, 132 pages, 14€

Rupert Murdoch : L’empereur des médias qui manipule le monde

Magnat de la presse possédant plus de 175 journaux (The Times, le Wall Street Journal) et des dizaines de chaînes de télévision (Fox News), homme d’affaires accumulant une fortune incommensurable, Rupert Murdoch (91 ans) est surtout l’une des personnes les plus influentes de la planète. Non content d’être devenu « l’empereur des médias », il a aussi choisi de mettre sa richesse et son pouvoir au service de la promotion de ses idées « ultra-conservatrices ». Dans cette biographie, David Colon présente les étapes de la construction de l’empire de Rupert Murdoch et la manière dont il est parvenu à accroître son influence jusqu’aux plus éminents chefs d’États occidentaux, de part et d’autres de l’Atlantique.

L’AUTEUR

Professeur agrégé d’Histoire, David Colon (promo 96) est enseignant-chercheur à Sciences Po, responsable de la préparation à l’agrégation. Spécialiste des phénomènes de communication politique, il a notamment publié Propagande : La manipulation de masse dans le monde contemporain (Belin, 2018).

Rupert Murdoch : L’empereur des médias qui manipule le monde, David Colon, Tallandier, 304 pages, 21€

Dé-coder : une contre-histoire du numérique

Intelligence artificielle, réseaux sociaux, objets connectés : si le numérique engendre son lot de révolutions techniques et pratiques, il bouleverse avant tout l'humain. Indéniablement, nos perceptions individuelles et collectives de la réalité ont été transformées par ces objets, et continueront de l’être à l’avenir. Dans ce premier ouvrage, Charleyne Biondi propose d’analyser cette révolution, aussi fascinante qu'inquiétante, en se penchant sur ses conséquences sociétales. En faisant ressortir le décalage croissant entre les modes de fonctionnement traditionnels des institutions et les transformations fulgurantes des comportements individuels, l’auteure donne également des pistes de réflexions pratiques en vue de trouver des voies de sortie face à la crise du numérique.

L’AUTEURE

Charleyne Biondi (promo 11) est détentrice d’un double-doctorat en sciences politiques de Columbia University et de Sciences Po. Elle étudie les problématiques liées à l’articulation entre politiques publiques et technologies numériques, et enseigne à ce titre à Sciences Po depuis six ans.

Dé-coder : une contre-histoire du numérique, Charleyne Biondi, Bouquins, 270 pages, 20€

Lénine en son temps : Politique du moment opportun

En partant du constat de la déshérence électorale et de la dilatation idéologique de la gauche en France, David Muhlmann revient sur la figure de Lénine, qui parvenait, selon lui, à articuler la théorie et l’action politique. Son analyse repose avant tout sur les rapports qui se tissent entre le temps et la politique dans la pensée léniniste. En travaillant sur les textes du leader de la révolution de 1917, l’auteur rappelle ses capacités stratégiques et son sens du « kairois », de la « politique du moment opportun », comme le souligne le sous-titre de l’ouvrage.

L’AUTEUR

David Muhlmann (promo 03) est sociologue et psychanalyste. Il a travaillé sur la tension entre le marxisme et la démocratie, ainsi que sur la pensée politique de Rosa Luxemburg.

Lénine en son temps : politique du moment opportun, David Muhlmann, PUF, 224 pages, 18€