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D'un mot - Abandon

Médecin de formation, humanitaire, écrivain lauréat du prix Goncourt pour Rouge Brésil (Gallimard, 2001), académicien, ancien ambassadeur de France au Sénégal et en Gambie, Jean-Christophe Rufin (promo 79) a eu 1 000 vies. Une bonne partie d’entre elles s’est déroulée en Afrique, un continent qu’il a sillonné pendant plusieurs années et dont il s’est largement inspiré dans ses livres. Il dénonce aujourd’hui son abandon par la France.


Abandon - Définition

n.m.

1. Action d’abandonner quelque chose ou quelqu’un (...).
2. Fait de s’abandonner.
3. Renonciation à un droit, à un bien.
4. Fait de se soustraire à l’obligation matérielle ou morale à laquelle on est tenu à l’ égard de certaines personnes (abandon de famille).
5. Fait de renoncer à poursuivre une compétition. 6. Ensemble des arbres d’une exploitation qui doivent être abattus.

(Source : Larousse)


Jean-Christophe Rufin (Crédits : Claude Truong-Ngoc)

La décolonisation française en Afrique, par opposition à celle qui a été menée par les Anglais, s’est caractérisée jusqu’ici par le maintien de liens forts avec l’ancienne métropole. Les pays du « pré carré » ont toujours bénéficié d’un traitement particulier au sein des autres nations africaines. Cette sollicitude nous a souvent valu le reproche d’ingérence, de paternalisme, voire d’impérialisme. En même temps, chaque fois que la France amorçait un retrait, la peur de l’abandon saisissait les dirigeants africains. Nous avons jusqu’ici navigué entre ces deux écueils : rester ou partir. L’opération Barkhane au Mali, décidée en 2014, a été la dernière grande occasion de trancher ce dilemme et de le faire dans le sens de la solidarité avec l’Afrique. A contrario, le départ des troupes françaises et la dénonciation récente des accords ayant mené à l’intervention, marquent à mes yeux un tournant dans le sens d’un désengagement français du continent noir. Certes, on dira que ce retrait s’est opéré sur la demande des autorités maliennes. Reste qu’il a été possible parce que les Africains ont décidé de s’appuyer sur d’autres forces pour assurer leur sécurité et sur d’autres partenaires pour leur développement économique.

Subi ou voulu, l’abandon de l’Afrique est en route. La présidence Macron a été marquée par une disparition historique de ce continent de nos institutions. Le ministère de la Coopération avait été supprimé de longue date. Restait un ministère des Affaires étrangères, qui mettait en avant le développement et la coopération. Désormais, il s’intitule « ministère de l’Europe et des Affaires étrangères », marquant bien où sont nos priorités. L’Agence française de développement, de plus en plus ouvertement orientée vers les prêts, a tendance à se détourner des pays insolvables, fussent-ils francophones. La politique de défense, avec nos bases et nos opérations extérieures, est le dernier instrument à disparaître.

L’abandon nous délivre à court terme de lourdes responsabilités et peut être vu comme un soulagement. Il ne faut pourtant pas s’en réjouir. Car ceux qui sont en train d’achever de prendre notre place n’apporteront rien de bon à l’Afrique. Et qu’il s’agisse des mercenaires de Wagner ou des djihadistes de tous poils, leur voisinage nous réserve bien des alarmes. Nous pouvons abandonner l’Afrique. Mais l’Afrique ne nous abandonnera pas et nous fera regretter un jour de n’avoir plus voulu construire l’avenir avec elle.

Cette chronique a initialement été publiée dans le numéro 25 d’Émile, paru en juin 2022.