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Emmanuel Macron peut-il démissionner... et se représenter ?

C'est la dernière rumeur qui agite le landernau politique. Plusieurs éditorialistes ont évoqué une possible démission d’Emmanuel Macron en difficulté devant le Parlement pour faire passer ses textes. Quelles seraient les conséquences d’une telle hypothèse, et serait-il en capacité de briguer un troisième mandat ? Pour mieux comprendre ces débats, nous avons interrogé Didier Maus, (promo 68), grand spécialiste de droit constitutionnel, président émérite de l’Association française de droit constitutionnel et fin connaisseur des institutions politiques françaises.

Propos recueillis par Sandra Elouarghi

Emmanuel Macron lors d’un meeting de campagne pour l’élection présidentielle de 2017. (Credits Frederic Legrand - COMEO / Shutterstock)

L'article 6 de la Constitution est ainsi libellé : « Le Président de la République est élu pour cinq ans au suffrage universel direct. Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ». Comment, dans ces conditions, peut-on évoquer un troisième mandat ? 

L’idée de la possibilité d’un troisième mandat pour Emmanuel Macron, après une démission de sa part, vient d’une lecture – à mon avis fausse – d’un avis du Conseil d’État du 18 octobre dernier (rendu public le 25 octobre) relatif à l’interprétation des dispositions spécifiques à la Polynésie française.

Il y a une vraie différence entre les dispositions applicables en Polynésie et l’article 6 de la Constitution. Dans le cas de la Polynésie, l’adjonction de la formule « deux mandats de cinq ans successifs » (3e alinéa de l’article 74 de la loi organique) est très claire. Elle vise à garantir, autant que faire se peut, la longévité du président polynésien. On comprend à la lecture de l’avis du Conseil d’État, et des travaux parlementaires auxquels il fait référence, qu’un mandat incomplet ne compte pas dans le décompte des « deux mandats ». Une interprétation différente enlèverait tout signification à l’expression « cinq ans successifs », ce qui est contraire à une interprétation logique.

Par contre l’article 6, alinéa 1, de la Constitution fixe la durée du mandat du Président de la République à cinq ans. L’alinéa 2, qui instaure la limitation à deux mandats, se lit de manière autonome. Le mandat d’un Président de la République inférieur à cinq ans est considéré comme un mandat en tant que tel et entre donc dans la limitation prévue à l’alinéa 2.

Lorsque les textes applicables ne sont pas identiques, il convient de ne pas transposer l’avis donné dans un cas à une situation différente. La Constitution est très nette : pas plus de deux mandats successifs pour le Président de la République. La tradition constitutionnelle implique que tout mandat commencé est considéré comme un mandat complet. Pour interpréter différemment il faudrait une autre rédaction de l’article 6, alinéa 2, de la Constitution.

En revanche, un troisième mandat est envisageable s’il n’est pas consécutif aux deux autres ?

En effet, dans les deux cas (Polynésie et France), la limitation n’interdit pas à un président polynésien ou au Président de la République de retenter sa chance pour un nouveau mandat après une interruption et l’exercice de la fonction par un autre titulaire. Emmanuel Macron a d’ailleurs laissé entendre qu’il pourrait être à nouveau candidat en 2032 (ou avant si le Président élu en 2027 n’accomplit pas un mandat entier, par exemple en cas de décès ou de démisssion).

À terme, cette disposition qui interdit plus de deux mandats consécutifs peut-elle être modifiée ? Selon quelles procédures ?

Une règle constitutionnelle peut toujours être modifiée, mais cela doit se faire dans le respect des procédures prévues à cet effet. En l’espèce, il faudrait que l’Assemblée nationale et le Sénat adoptent, d’un commun accord, une révision de l’article 6, alinéa 2, de la Constitution et que ce texte soit ratifié, soit par référendum, soit par un vote du Congrès du Parlement (les deux assemblées réunies) à la majorité des 3/5 des suffrages exprimés.

Un tel scénario n’est pas envisageable. Nous ne sommes pas dans un pays où l’on peut modifier les règles du jeu en cours de mandat. Il est parfaitement possible de regretter la limitation à deux mandats successifs instituée par la révision de 2008, mais je doute qu’une personnalité responsable ait envie d’en prendre l’initiative.