Claire Lignières-Counathe : "Le luxembourg est l'un des États les plus habiles dans la facilitation des compromis"
À 62 ans, Claire Lignières-Counathe (promo 83) a sillonné les instances internationales avant d’être nommée ambassadrice de France au Luxembourg, en 2021. Pour Émile, elle revient sur son parcours et sur la position stratégique du grand-duché en Europe.
Propos recueillis par Bernard El Ghoul
Pourquoi avez-vous choisi Sciences Po pour faire vos études ?
Je me destinais initialement à l’enseignement. Le choix d’étudier à Sciences Po est venu plus tard, lorsque j’ai songé à m’orienter vers une carrière à l’international. Munie de ma licence d’histoire, j’ai présenté l’examen d’entrée en deuxième année à l’IEP en section Relations internationales. Après des études littéraires et d’histoire, la variété des enseignements délivrés a représenté une formidable ouverture et m’a permis de combler nombre de mes lacunes. Les deux années que j’ai passées à Sciences Po m’ont en outre parfaitement préparée au concours du Quai d’Orsay et furent l’occasion de rencontres avec des étudiants étrangers. Je suis encore en contact avec plusieurs d’entre eux.
Pourriez-vous revenir sur les temps forts de votre parcours professionnel ?
J’ai vécu à Québec, Vienne, New Delhi, Cracovie, Vilnius et aujourd’hui, Luxembourg. Je ne me suis jamais lassée de cette plongée, à chaque fois, dans un univers singulier et différent. Les quatre années passées en Inde comptent parmi mes souvenirs les plus marquants. Plus exigeantes en termes d’adaptation et de compréhension, elles ont aussi été parmi les plus gratifiantes en découvertes et en enseignements.
Les dossiers dont je me suis occupée m’ont tous marquée. Si je devais n’en citer que quelques-uns, je mentionnerais les questions africaines au Conseil de sécurité des Nations unies, au début des années 1990, la politique de défense et de sécurité en Inde, à l’aube de l’an 2000, la relation franco-allemande au moment de la crise de l’euro, la visite du président Emmanuel Macron en Lituanie, entre deux vagues de l’épidémie de Covid-19 et la présidence française du Conseil de l’UE au Luxembourg, aujourd’hui.
Le Luxembourg occupe-t-il une place particulière au sein de l’Union européenne ? Quelles sont ses spécificités ?
Le Luxembourg est un membre fondateur et l’un des États les plus actifs et les plus habiles dans la facilitation des compromis. Sa capacité à faire émerger des leaders européens suscite l’admiration. C’est le seul pays à avoir occupé la présidence de la Commission européenne à trois reprises. Situé au cœur du plus grand axe économique de l’UE, il a une compréhension presque innée des forces à l’œuvre en Europe. Il a transformé ses dépendances économiques à l’égard de ses voisins en interdépendances et en source de croissance de son environnement immédiat constitué par la Grande Région (Luxembourg, Région Grand Est, Wallonie, Sarre et Rhénanie-Palatinat).
Quelles sont les caractéristiques de la communauté française qui vit au Luxembourg ? Et que pouvez-vous dire sur la communauté des « transfrontaliers » ?
La principale caractéristique de la communauté française résidant au Luxembourg est sa bonne intégration dans le pays, notamment sur le plan professionnel, quel que soit le secteur d’activité, sa participation à la vie sociale et culturelle et sa croissance ininterrompue. On compte actuellement environ 53 000 Français au Luxembourg. Leur nombre a augmenté de près de 20 % en cinq ans. Le développement de cette communauté sera, entre autres, fonction de l’évolution du coût du logement au Luxembourg.
La communauté des frontaliers a, elle aussi, progressé de façon rapide. Après la Suisse, le Luxembourg est le deuxième pays d’accueil des emplois français sortants, selon la terminologie de l’Insee ; 75 000 frontaliers venaient quotidiennement de France, essentiellement de Moselle, au Luxembourg, en 2015. Ils sont aujourd’hui 114 000, selon les chiffres de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Statec) du Luxembourg.
Cet entretien a initialement été publié dans le numéro 25 d’Émile, paru en juin 2022.