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The Exploration Company : la start-up qui veut envoyer l’Europe dans l’ère spatiale

Après une décennie chez Airbus à gérer des programmes spatiaux d’envergure, Hélène Huby (promo 03) a cofondé The Exploration Company en 2021 pour permettre à l’Europe de prendre le tournant de l’industrie spatiale. Rencontre.

Qu’est-ce que The Exploration Company ?

Hélène Huby, cofondatrice et CEO de The Exploration Company (promo 03)

C’est une entreprise qui fabrique des capsules spatiales, lancées par une fusée pour aller sur les stations spatiales qui tournent autour de la Terre et de la Lune. Aujourd’hui, il y a deux stations spatiales autour de la Terre. Demain, il y en aura probablement une petite dizaine (stations commerciales, militaires, de stockage de fuel, etc.) dont la plupart sont déjà en construction. Aujourd’hui, il n’y en a pas autour de la Lune, mais d’ici la fin de la décennie, il y en aura probablement deux, déjà en construction. Nous avons créé cette start-up durant l’été 2021, levé 55 millions de dollars et comptons aujourd’hui 75 employés. Notre première capsule, construite en un temps record de neuf mois, volera en octobre prochain. Nous sommes en train de construire la deuxième, prévue pour octobre 2024, qui transportera du cargo de clients spatiaux et non spatiaux. Nous avons déjà vendu toute sa capacité. Ensuite, nous passerons au modèle final, en taille réelle, qui ira à la station spatiale internationale en 2027.

Vous comptez donc emmener des gens dans l’espace ?

L’Europe va prendre en novembre la décision d’investir dans les vols habités [transportant des personnes, NDLR]. Aujourd’hui, ces vols sont en train de devenir un standard de l’industrie spatiale, car on commence à faire des véhicules réutilisables, à la fois pour la fusée et pour la capsule. Nous sommes en train de rentrer dans une nouvelle ère industrielle, un peu comme le démarrage de l’aviation ou de l’industrie automobile. Le spatial devient accessible, y compris pour faire voler les êtres humains. L’Europe a une chance, si elle prend le tournant aujourd’hui, de devenir un des leaders de cette ère. Pour preuve : j’ai des clients américains qui viennent signer des contrats chez nous, en Europe.

Vous avez levé 55 millions de dollars depuis la création de votre entreprise, comment expliquez-vous que cela aille si vite ?

Nous, les fondateurs, avons déjà géré, ou eu des rôles clés, dans les plus gros programmes européens spatiaux. Chez Airbus, avec Orion qui a fait le tour de la Lune, par exemple. Sébastien Reichstadt, le Lead Propulsion qui a cocréé la start-up avec nous, a dirigé plusieurs développements de moteurs de fusées chez ArianeGroup. Une partie des équipes qui nous ont rejoints rapidement avaient déjà travaillé avec nous chez ArianeGroup ou chez Airbus. On a déjà fait ce type de véhicule, cela rassure les investisseurs. Jusqu’ici, on a toujours été « on track » au niveau du cash et des ratios techniques. Par les temps qui courent, une start-up qui livre à temps, c’est assez rare, surtout dans le secteur de l’espace, dans lequel les gens ont tendance à être en retard et à avoir beaucoup de surcoûts. Je pense que cela a été un élément de confiance pour les investisseurs.

Vous êtes la première entreprise à utiliser de l’ergol vert, pourriez-vous nous en dire un peu plus ?

Nous vivons dans une société qui essaie de se décarboner et de limiter son impact environnemental. Nous avons observé, dans le design de la capsule, ce qui pouvait améliorer son impact environnemental. La Russie, la Chine et les États-Unis utilisent tous l’hydrazine, ergol stable qui s’enflamme immédiatement. Il n’y a pas de problème à l’allumage, mais il est tellement toxique que si vous commencez à le respirer, vous êtes déjà mort. Nous prenons un risque technique supplémentaire en choisissant l’ergol vert. De petits satellites l’utilisent déjà, mais notre capsule pèse 10 tonnes. Nous sommes en train de développer tout cela à Bordeaux. Si on réussit, pour la première fois au monde, on aura des propulseurs – à poussée suffisante pour une capsule de la taille de la nôtre – qui fonctionnent avec des ergols verts. Aujourd’hui, l’impact du spatial est marginal parce que cette industrie représente peu en comparaison de l’industrie du fret ou des avions. Par contre, au vu de sa croissance, il y aura forcément un impact environnemental très fort.

La prochaine étape est de nouer des partenariats avec des universités pour définir ce que pourrait être une démarche net zéro [neutralité carbone, NDLR] de notre entreprise. Pas de green washing pour nous, mais qu’est-ce que cela veut dire, concrètement, de fabriquer une capsule net zéro et une fusée net zéro. Tout cela demande du travail et de la recherche, mais on s’y engage dès à présent pour, potentiellement dans cinq ou 10 ans, être le plus proche possible du net zéro. C’est un travail de longue haleine. 

Qu’est-ce qui a guidé votre parcours professionnellement jusqu’à maintenant ?

L’impact ! Pour moi, la question est d’abord de connaître ses talents. Une fois qu’on a trouvé sa voix ou compris comment on pouvait utiliser ses talents, je pense qu’il faut tout donner. J’ai mis un peu de temps à comprendre que l’espace était vraiment pour moi. J’ai fait mes armes chez Airbus. Au bout de 10 ans, j’aurais pu rester avec une perspective de carrière relativement sympathique, mais cette notion d’impact est importante. Là, on s’intéresse à un produit innovant, réutilisable, qui sera capable de se ravitailler en vol et de transporter des humains. Cela prend au minimum cinq à six ans pour développer un véhicule pareil, qui a une durée d’opérations de 10 à 15 ans. Il faut donc se projeter dans ce que sera l’espace à cette période-là. 

Que vous a apporté Sciences Po tout au long de votre parcours professionnel ?

J’ai fait Normal Sup (Ulm), Sciences Po en parallèle, puis l’ENA. À Sciences Po, j’ai rencontré des profils différents et aussi appris à adapter mon discours en fonction de la personne que j’ai en face de moi. Sciences Po m’a aidée à développer une empathie business.

Quel genre de profil souhaitez-vous attirer dans votre entreprise ?

C’est une question d’être, on recrute des gens qui sont « mission driven », qui veulent faire quelque chose d’utile, qui a du sens. On recrute des profils compétents, quel que soit leur domaine. S’ils ne le sont pas, ils doivent avoir une humilité par rapport à la connaissance et le désir d’apprendre. Nous faisons un métier extrêmement technique. Il y a une très grande exigence d’efficacité. Par exemple, les meetings durent rarement plus de 25 minutes et nous n’utilisons pas d’e-mail. On est très directs dans la communication. Si on ne sait pas recevoir un message direct, c’est probablement que l’on a un problème d’ego. Notre objectif, c’est que le véhicule soit réussi, pas de passer du temps à gérer les egos. Nous voulons des « team players », des collaborateurs qui vont donner plus d’importance aux succès de leur équipe qu’à leurs succès individuels. Bien sûr, le diplôme Sciences Po est un marqueur positif, ce sont des profils qui se sont frottés à l’international, ouverts d’esprit, avec une bonne culture générale. Mais, attention, pas de blabla sur les choses qu’on ne connaît pas, cela ne nous intéresse pas du tout.


CV Express

  • 2003 Diplômée de l’École normale supérieure et de Sciences Po

  • 2006 Diplômée de l’ENA

  • 2013 Head of Innovation chez Airbus

  • 2015 Directrice de Programme chez ArianeGroup

  • 2018 VP Space Strategy

  • 2018 Création d’Urania Ventures

  • 2021 Création de The Exploration Company