Arthur Delaporte, la gauche normale
Émile poursuit sa série de portraits de parlementaires passés par Sciences Po avec Arthur Delaporte, député socialiste de la deuxième circonscription du Calvados.
Par Ismaël El Bou-Cottereau et Anna Riolacci
Ses collègues le croisent parfois à la bibliothèque du Palais Bourbon ; il chuchote devant sa caméra, enregistre des tas de vidéos qu’il déverse ensuite sur son compte TikTok. On peut aussi le voir entouré de jeunes de sa circonscription, en pleine visite du Parlement.
« Arthur, cette fois-ci pas trop longue la visite avec les journalistes », lui lance son assistant parlementaire en ce début mai. Jovial, vif, Arthur Delaporte égrène les anecdotes historiques d’un ton mi-professoral mi-amusé, prend soin de saluer tout le monde, de la journaliste de Quotidien Sophie Dupont à la gérante de la buvette, du suppléant d’Élisabeth Borne à l’homme de ménage. Après avoir traversé un dédale de couloirs dorés et de sous-sols mangés par les câbles électriques, il choisit de s’installer au comptoir du numérique, un espace à l’ambiance start-up nation, pour répondre aux questions d’Émile.
L’historien du PS
Son engagement partisan prend racine entre la fin 2012 et le début 2013, après sa prépa littéraire à Henri-IV. « Je commençais mes études à Sciences Po, c’était au moment du débat sur le mariage pour tous. La droite m’horripilait ; j’avais envie de défendre François Hollande que je trouvais injustement attaqué, se souvient-il. En prépa, je n’avais pas le temps de commencer un engagement militant même si j’avais une sensibilité de gauche très affirmée. Je m’intéressais à la politique mais il ne s’agissait pas encore d’un engagement au sein d’un parti. » Durant ses premiers mois rue Saint-Guillaume, il hésite, papillonne entre le Parti radical de gauche – qu’il trouve trop poussiéreux – et la firme écologiste – à qui il reproche la désorganisation et « le rapport trop distant au pouvoir ». En 2013, il choisit finalement la gauche de gouvernement et commence à militer à la section socialiste du quartier latin. Parallèlement, il mène un bi-cursus sauvage entre Sciences Po, en affaires publiques, et l’ENS Lyon, en histoire. Son travail universitaire se nourrit de son expérience militante : mémoire sur la fédération du Parti socialiste dans le Cher entre 1969 et 1990, thèse intitulée « L'unité fragmentée - Les recompositions des courants du Parti socialiste au prisme des trajectoires militantes (1979-2008) ». « Je montrais que les courants ont permis au PS d’agréger des gens qui avaient des valeurs communes malgré des divergences, explique-t-il. Ce parti n’est pas monolithique ; c’est un lieu de débat qui fait fonctionner le pluralisme en son sein. Ce factionnalisme, ces différents courants constituent à la fois un enjeu de renouvellement et de maintien de l’organisation, mais aussi entraîne certaines faiblesses : cela peut mener à faire sortir son courant du parti, comme l’a fait Mélenchon en 2008-2009. »
« Arthur est notre historien moderne du Parti Socialiste !, s’enthousiasme Pierre Jouvet, porte-parole du parti. C’est quelqu’un de très travailleur et de très précis dans ce qu’il fait. Il a toujours plein d’idées et fait des propositions étonnantes ». Lesquelles ? Il ne se souvient plus.
Loyal à son parti
Député depuis juin 2022 et porte-parole de son groupe, Arthur Delaporte connaît les rouages parlementaires, les arcanes du parti depuis près de dix ans. Collaborateur des députés Yann Galut et Karine Berger entre 2014 et 2015, il a assisté à la débâcle du parti au poing et à la rose qui, en 2012, possédait tous les leviers du pouvoir, des régions au Château, de l’Assemblée nationale au palais du Luxembourg. « Arthur était le stagiaire le plus brillant que j’ai eu, confie au téléphone Yann Galut, aujourd’hui maire de Bourges. Je lui ai proposé de continuer, il est devenu mon conseiller politique. Il m’a aidé dans la préparation de mon débat contre Marine le Pen, a piloté mon livre Le guide anti-FN. Ce que j’apprécie, c’est qu’il est très à gauche philosophiquement tout en étant un homme de dialogue et de compromis. Il n’est pas méprisant avec les autres, il est convaincant et convaincu. »
Lorsque que la gauche se fracture sur la politique menée par François Hollande, Manuel Valls et Emmanuel Macron, qui s’éloigne de plus en plus des promesses de 2012, il n’est ni frondeur ni légitimiste. Au Congrès du PS de 2015, il soutient la motion de Karine Berger, au barycentre du parti. Quand l’aile droite des socialistes cède aux sirènes du macronisme, il reste : « Je suis loyal à l’organisation. Il y a aussi des relations d'amitié qui se tissent et qui font qu’il y a un coût moral et affectif à quitter une famille politique. Et sinon pour aller où ? Moi je ne trouvais pas d’autre endroit que le PS qui corresponde autant à ce que je souhaitais porter, défend-il. J’ai été déçu du départ de Benoît Hamon ; il aurait pu incarner un renouvellement. La branche qui avait causé des dérives sur le quinquennat Hollande était partie chez Macron ; on aurait donc pu reconstruire le parti sur des bases saines. »
Entre 2017 et 2018, il rejoint le cercle regroupé autour d’Olivier Faure pour « refonder » le PS, devient conseiller politique de Valérie Rabault, présidente d’un groupe passé en l’espace d’une législature de 295 à 31 députés. Dans le même temps, il est doctorant contractuel à Paris I. « Arthur est toujours à droite à gauche, envoie des messages avec des plans préparés, des articles. Il est à 100 à l’heure en permanence. C’est quelqu’un qui a des convictions qui ne vont pas bouger, même dans les périodes politiques difficiles. Il a vécu les mauvais moments du PS », confie Nina Karam-Leder, conseillère de la présidence du groupe des députés socialistes.
Au début de la campagne d’Anne Hidalgo, il met du sien, rédige des notes et des argumentaires. Mais il refuse de participer à la « diabolisation » d’un Jean-Luc Mélenchon qui souhaite quitter l’Otan en pleine guerre et regrette la livraison d’armes aux Ukrainiens. « Je n’étais pas d’accord avec de la stratégie de campagne qui consistait à tirer contre son camp et dire qu’il y a des gauches irréconciliables. Je n’y crois pas. J’ai donc quitté le pôle argumentaire mais j’ai continué à faire quelques tractages, du porte-à-porte », dit-il aujourd’hui. « Il n’était pas très investi dans la campagne d’Anne Hidalgo », reconnaît Pierre Jouvet. Difficile, en effet, d’être motivé par une campagne où tout patine et s’enlise : une proposition de hausse des salaires des enseignants non financée ; le psychodrame de la primaire populaire ; des communiqués truffés de fautes ; une responsable de presse, Françoise Pams, qui se plante en direct dans l’organisation d’une visite de la candidate à Baume-les-Dames et prend des vacances dans la foulée de sa nomination*… L’amateurisme est roi, le résultat connu : 1,75 %. Moins que Jean Lassalle. En 2012, Solférino était une ruche. Dix ans plus tard, le siège du parti à Ivry-sur-Seine ressemble au vaisseau fantôme d’Allan Poe.
Un député apprécié
Dans son costume de député, il est plus à l’aise, s’éloigne un peu des tambouilles politiques parisiennes. Sa réputation au Palais Bourbon est excellente. « Il est apprécié tant par la majorité que l’opposition ; c’est quelqu’un de très cordial, toujours dans le débat respectueux. Il est curieux, apporte plein d’idées, connaît ses sujets et travaille beaucoup », nous rapporte la députée Renaissance Astrid Panosyan-Bouvet. Il bataille contre les réformes de l’assurance chômage et des retraites, s’engage auprès des auxiliaires de vie d’une filiale d'Orpéa à Caen qui ont fait grève durant plus de 45 jours pour obtenir des augmentations de salaire. Parmi elles, Angelika Osmane, qui loue l’action d’Arthur Delaporte.
Le député s’est aussi distingué par son travail conjoint avec le macroniste Stéphane Vojetta pour encadrer le métier d’influenceur. Le 25 mai, les sénateurs et les députés ont trouvé un accord unanime sur leur proposition de loi. « L’unanimité n’était pas acquise, on l’a construite, explique Arthur Delaporte. Notre démarche était transpartisane, de LFI à LR. Le texte a été enrichi par le travail de chacun. On a réussi à montrer que quand on a du temps pour travailler une loi, que le parlement a des moyens et que le gouvernement laisse faire, ça peut marcher ! »
Ni libéral ni insoumis, « garant de l'identité socialiste » selon les mots de la porte-parole Chloé Ridel, Arthur Delaporte revendique son attachement au corpus de Blum et Jaurès : la réforme et la révolution. « C’est une bête politique. Il sera, s’il continue comme ça, l’un des grands dirigeants de la gauche », prédit Yann Galut. Après le dernier combat de coqs entre Olivier Faure et Nicolas Mayer-Rossignol qui s’accusent mutuellement de tricherie au dernier congrès du parti, Arthur Delaporte tentera d'insuffler un peu de nouveauté parmi les éléphants fatigués.
* Astrid de Villaines, Les sept péchés capitaux de la gauche (JC Lattès, 227 pages, 19 euros)