Rachid Ouramdane: "Chaillot doit être un théâtre de transformation de la société"
Danseur et chorégraphe, Rachid Ouramdane cultive un art de la rencontre dans ses œuvres, en partie inspirées de la guerre d’Algérie. Aujourd’hui directeur du Théâtre national de la Danse, il a porté le projet « Chaillot colo » afin de faire découvrir la danse aux jeunes dans les territoires, en France et à l’étranger.
Propos recueillis par Maïna Marjany
Votre parcours vous a-t-il particulièrement sensibilisé aux questions de décentralisation et de démocratisation de la culture ?
Cela s’est plutôt fait dans l’autre sens. Je suis un enfant de la décentralisation culturelle, j’ai grandi là-dedans, au moment où les infrastructures se développaient sur l’ensemble du territoire. Je suis aussi d’une génération pour laquelle l’action culturelle et la création sont les deux faces d’une même pièce. Cette façon de rencontrer les autres illustre parfaitement la phrase de Jean-Luc Godard qui dit que le sens d’une œuvre, c’est 50 % l’artiste et 50 % le spectateur. J’ai pris goût à travailler avec les gens que je rencontre, comme à Reims, avec d’anciens champions de boxe. Cette envie d’aller chercher de la sensibilité dans ce qui m’entoure, dans le matériau du vivant, a été fondatrice d’une œuvre et d’une façon de penser le rapport avec le public. Pour moi, il n’y a pas d’un côté les territoires et Paris, la création artistique et la médiation. Même si vous êtes un grand artiste, votre œuvre ne pourra pas croître sans un écosystème, un public, un soutien, un aménagement du territoire.
Pouvez-vous nous expliquer le principe des « Chaillot colos » ?
Dans toutes les expériences que j’ai menées sur les territoires, j’ai travaillé avec le milieu du soin, de l’éducation, de l’entreprise, du tourisme, du sport… L’art peut être un pivot vis-à-vis de tous ces secteurs. Par ailleurs, le rapport à l’enfance m’a toujours importé. Dans cette période de la vie, des éléments fondamentaux constitutifs de la personne se jouent. Mettre des éléments culturels dans un parcours conduit, je l’espère, à une société plus ouverte d’esprit.
En 2016, j’ai été nommé à la tête du Centre chorégraphique national de Grenoble. En arrivant, avec l’une de mes collaboratrices, Erell Melscoët, on s’est inspirés de ce que faisait la fondation d’Alvin Ailey, aux États-Unis. Ce chorégraphe a beaucoup travaillé dans les ghettos noirs et proposait aux enfants des camps de vacances artistiques. Nous l’avons fait à Grenoble : les jeunes étaient immergés dans des pratiques artistiques, ils découvraient leur corps et faisaient corps avec les autres. Nous souhaitons aussi construire une mixité sociale. À Chaillot, j’ai donc voulu reprendre ce programme et le développer avec plus de moyens, de médiatisation et le soutien actif de la ministre de la Culture Rima Abdul-Malak. La première « Chaillot colo » a été lancée il y a un an, avec les Ateliers Médicis de Clichy-Montfermeil. Depuis, une dizaine ont été mises en place pendant les vacances scolaires grâce au formidable travail des équipes de Chaillot, qui savent dynamiser les logiques partenariales avec d’autres établissements. Nous travaillons sur de nombreux territoires en France métropolitaine, ultra-marins et à l’étranger (Rwanda, République démocratique du Congo).
Chaillot est basé à Paris, mais vous expliquiez dans une interview avoir une responsabilité vis-à-vis de l’ensemble du territoire national. Pourquoi ?
Lorsqu’il n’y a qu’un théâtre national pour la danse, on doit essayer de répondre à tout le territoire. Quand on est nommé par le président de la République sous conseil du ministre de la Culture, on attend de vous autre chose que de la gestion. Je vois Chaillot comme un théâtre de transformation de la société, venant impacter les consciences au-delà du site où il se trouve.
La danse est-elle un vecteur privilégié pour la mixité sociale ?
C’est une pratique populaire et démocratique : 70 % des contenus sur TikTok sont chorégraphiques, il y a de la danse dans des pubs de mode, elle est présente dans le quotidien, dans les fêtes, etc. La danse dépasse la barrière de la langue, elle crée une forme d’horizontalité entre les communautés et les populations.
Cet entretien a initialement été publié dans le numéro 28 d’Émile, paru en juin 2023.