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Même, la révolution cosmétique pour les patientes atteintes de cancer

Lancée en 2017 par deux jeunes femmes, dont l’une est alors tout juste diplômée de Sciences Po, la marque de cosmétiques Même a comblé un vide dans le secteur. Elle a été la première à proposer une gamme de soins pour la peau et de maquillage entièrement dédiés aux besoins spécifiques des femmes atteintes de cancer. Des formules propres et fabriquées entièrement en France, accessibles aussi à toutes les personnes ayant une peau sensible. Rencontre avec Juliette Couturier qui revient sur la genèse de cette aventure entrepreneuriale — passée par l’incubateur de Sciences Po — et sur les engagements de la marque à l’occasion d’Octobre rose.

Propos recueillis par Lisa Dossou et Maïna Marjany

Votre histoire personnelle est intimement liée à la création de Même. Pouvez-vous nous raconter la genèse de cette marque ? 

Judith Lévy et Juliette Couturier, fondatrices de la marque de cosmétiques Même. (Crédits : Même)

Nous sommes deux fondatrices : Judith Lévy, qui est designer, formée à Strate École de Design, et moi-même, passée par le double diplôme Sciences Po / HEC (promo 15). Nous avons toutes les deux été touchées par le cancer à travers nos proches, des femmes que l’on aimait et que l’on a assisté pendant leur maladie. 

Nous nous sommes rencontrées lors d’un stage chez l’Oréal et c’est là que le projet a germé. À cette époque, nous nous sommes fait la réflexion qu’il  existait des quantités énormes de cosmétiques pour X et Y besoin mais qu’il n’existait aucune marque de soin réellement dédiée aux besoins spécifiques des femmes atteintes de cancer. Pourtant, grâce à nos expériences respectives, nous nous étions rendues compte de l’impact que cela peut avoir sur la qualité de vie des patientes. 

De loin, on ne se rend pas forcément compte de tous les symptômes que peut provoquer un cancer. Au-delà de la perte de cheveux que l’on connaît tous, il y a aussi des irritations et démangeaisons du cuir chevelu, la perte des cils et des sourcils, une fragilisation douloureuse des ongles… Quand j’allais en pharmacie pour trouver des produits pour contrer ces effets-là, les pharmaciens étaient assez démunis et me proposaient des produits qui pouvaient aider à atténuer tel ou tel symptôme mais sans qu’il n’y ait de mention spécifique pour les patients atteints de cancer. Le but de notre marque était donc de pallier ce manque. 

De l’idée aux premiers prototypes, comment s’est passée la concrétisation de ce projet ?

Nous sommes clairement parties de rien. C’est une donnée importante : on peut réaliser de grands projets sans avoir obligatoirement déjà des économies de côté. 

Nous nous sommes lancées dans l’aventure en 2015, j’étais alors encore étudiante à Sciences Po, en dernière année. Nous sommes ensuite entrées à l’incubateur de Sciences Po, qui a été un réel soutien et nous a permis de travailler dans ses locaux. Puis cela nous a pris deux ans de faire la recherche et développement pour nos premiers produits et de lever des fonds pour un lancement de la marque en 2017.

La marque Même a été la première à proposer une gamme de soins pour la peau et de maquillage entièrement dédiés aux besoins spécifiques des femmes atteintes de cancer. (Crédits : Même)

On a énormément parlé de notre projet autour de nous et on a rencontré en parallèle un laboratoire capable de formuler puis de produire nos produits. Le directeur général a été tellement touché par notre projet qu’il a décidé de mettre ses équipes sur la recherche et le développement de nos produits sans être certain d’être payé un jour. Ils ont donc commencé à travailler sur sept premiers prototypes, ce qui nous a permis d’être plus solides pour aller à la rencontre des investisseurs. On a ainsi rencontré notre premier fond d’investissement, Otium Capital, qui a cru en nous et nous a permis de payer les formulations et les premières productions de nos produits.

Le site e-commerce a été ouvert en 2017. Entre-temps, nous avions bâti une vraie communauté sur les réseaux sociaux, constituant une base de clients assez importante, donc le lancement s’est plutôt bien passé. Puis, nous avons eu très rapidement une demande de la part des pharmaciens qui voulaient savoir comment se procurer nos produits pour les vendre aux patients. Aujourd’hui, notre principale activité réside en pharmacie alors qu’on pensait s’orienter davantage vers le e-commerce au début.

Du lancement à aujourd’hui, quels sont les grands chiffres de l’entreprise ?

La marque Même commercialise actuellement une quarantaine de références et s’est récemment lancée plus fortement sur le make-up pour répondre aux demandes des clientes. (Crédits : Même)

Nous avons donc commencé à deux et, aujourd’hui, nous sommes plus d’une quarantaine à travailler au quotidien pour Même. La marque est présente dans plus de 5 000 pharmacies en France, ce qui représente 80 % de notre activité. Nous nous sommes également rapprochés du groupe Pierre Fabre qui nous a aidé dans le développement de Même [la marque a été rachetée par Pierre Fabre en mai 2023, NDLR]. 

Nous sommes très heureuses parce qu'on continue à élargir notre gamme de produits en proposant ainsi toujours plus de choix aux patientes. Pour le moment, nous avons une quarantaine de références, un certain nombre de vernis et nous nous sommes récemment lancés plus fortement sur le make-up pour répondre aux demandes qui nous ont été adressées.

Dans le cadre d’Octobre Rose, vous avez lancé la campagne #SansTabou. Est ce que vous pouvez nous expliquer en quoi elle consiste ? 

Au sein de Même, le sujet du cancer est présent en permanence puisque c’est au cœur de tous nos produits. Mais dans beaucoup de médias, les pleins phares sont souvent mis sur le cancer au moment d’Octobre rose. On profite donc de ce moment pour lancer une campagne qui va au-delà de nos produits, dont l’objectif n’est pas juste de mettre en avant Même mais de prévenir, sensibiliser sur des sujets qui touchent les patients et les patientes.

Chaque année, on choisit un angle différent et cette année, on a souhaité aller un peu plus loin que ce que l’on fait d’habitude. On a voulu parler du fait que le cancer est non seulement un tabou en lui-même, mais qu’il est aussi entouré d’autres tabous encore plus importants comme lorsqu’on associe cancer et sexualité. Il y a un silence mutique chez les patients qui n’osent pas en parler autour d’eux ou à leur médecin, pensant que ce sont des sujets « futiles » face à la maladie.

À travers la campagne #SansTabou, on voulait vraiment libérer la parole autour de sujets tels que la sexualité, l’intimité, la féminité, mais aussi la précarité qui est bien souvent une conséquence sociale de la maladie. Nous invitons les patients à nous livrer leurs témoignages afin de pouvoir échanger et qu’ils se sentent compris. Communiquer, parler sont les premiers remèdes pour se sentir mieux et pouvoir trouver des solutions. On a également lancé un film qui en parle qui a été très bien accueilli. 

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Les tabous que vous relevez à travers votre campagne (cancer et vie intime, peur, féminité, isolement) sont-ils habituellement mis en avant au moment d’Octobre rose ? Comment faire pour qu'ils le soient davantage ?

Au sein des initiatives prises autour d’Octobre Rose, on retrouve beaucoup de « pink washing ». Par exemple, des marques vont parer d’un ruban rose leurs produits et reverser 1€ à la recherche pour le cancer. Même si c’est une bonne initiative, c’est souvent surtout une occasion de faire du marketing. 

Nous ressentons une forme de frustration à observer cela. On veut donc profiter du fait que les médias parlent du cancer pour aborder de vrais sujets, et apporter des réponses et des solutions aux patients.

Par ailleurs, on nous pose souvent la question de savoir si nos produits peuvent être utilisés par tous. La réponse est oui. La marque Même est initialement pensée pour les patients mais elle inclut aussi toutes les femmes qui ont envie de prendre soin d’elles avec des produits sains et naturels. C’est  aussi le sens de nos campagnes de sensibilisation de montrer qu’il y des femmes malades mais aussi des femmes qui ne le sont pas qui utilisent nos produits. En avoir conscience, contribue à ne pas stigmatiser les personnes malades. 

Quels sont vos projets pour la suite ? 

Nous travaillons notamment sur deux axes : le développement à l’international et l’enrichissement de notre gamme de produits. On aimerait, par exemple, aller plus loin sur les ongles parce que c’est un immense sujet pour les patientes. Les mains et les pieds des patients ont des symptômes très spécifiques qui requièrent des soins que l’on souhaiterait développer.