Les livres politiques d'octobre 2024
Tous les mois, Émile vous propose de découvrir une série de livres abordant des questions politiques sous différents angles. Au programme de ce mois d’octobre, huit ouvrages dont un essai sur l’art de la paix, un autre sur la guerre à l’ère de l’IA ou encore une remise en question de la droitisation des Français… Du national au global, une sélection riche et éclairante qui invite à la réflexion !
Par Maïna Marjany et Lisa Dossou
La guerre à l’ère de l’intelligence artificielle
Si l’IA s’invite dans tous les domaines et questionne la nature de certains métiers, son utilisation militaire reste encore peu étudiée et débattue en dehors des cercles initiés.
Dans cet ouvrage, la chercheuse Laure de Roucy-Rochegonde entreprend d’analyser les implications du recours à ce nouveau type d’armes dans des guerres qui peinent déjà à respecter le droit international. En particulier, le développement de « robots tueurs » — qui remplaceraient ou accompagneraient les militaires — interroge la pratique de la guerre telle qu’elle a été observée au siècle dernier. L’auteure met ainsi en parallèle principes théoriques de la guerre et possibilités d’application de ces principes à l’intelligence artificielle militaire.
Dans une actualité où la guerre refait surface dans notre quotidien, déployant de nouvelles pratiques, cet essai met en évidence les enjeux de compétition mais aussi de contrôle qui entourent ces progrès technologiques.
Auteure
Docteure en science politique, Laure de Roucy-Rochegonde est chercheuse associée au CERI (Sciences Po / CNRS) et elle dirige le Centre Géopolitique des technologies à l’IFRI. Elle enseigne l’éthique de la guerre à Sciences Po et à l’Université Paris II, Panthéon-Assas.
Laure de Roucy-Rochegonde, La guerre à l’ère de l’intelligence artificielle, PUF, 240 pages, 18€
L’Art de la paix
Développer un guide pour atteindre la paix, est-ce une utopie ? Bertrand Badie, politologue spécialiste des relations internationales, s’est en tout cas attelé à cette lourde tâche. Il revient, tout d’abord, sur la définition et la conceptualisation de la paix, souvent considérée comme un simple état de non guerre ou de cessez-le-feu.
De la Pax Romana à la Pax Americana, cette vision est, pour lui, dépassée. Il plaide pour une nouvelle définition de la paix, compatible avec les évolutions du monde et des relations géopolitiques ces 70 dernières années.
Dans cet ouvrage, il détaille neuf valeurs nécessaires à l’établissement d’une paix mondiale qui correspondrait à une situation de coexistence pacifique entre communautés, impliquant notamment un respect des droits de chacun, dans une dynamique d’inclusion. Bertrand Badie propose ainsi, au travers d’exemples historiques et contemporains, d’explorer lers moyens de parvenir à définir et intégrer une nouvelle acception de la paix dans les représentations collectives.
Auteur
Professeur émérite à Sciences Po, Bertrand Badie (promo 71) est un politologue français spécialiste des relations internationales. Ses travaux s’intéressent particulièrement aux questions de puissances des États, de multilatéralisme ou encore de doits de l’homme à l’échelle des relations internationales.
Pour un soulèvement écologique. Dépasser notre impuissance collective
Activiste pour la justice sociale et climatique, Camille Étienne appelle dans cet essai, qui vient de paraître en poche, à un éveil des consciences sur la situation climatique pour parvenir à un soulèvement écologique collectif.
Selon l’auteure, l’inaction climatique n’est qu’une construction, la traduction d’une peur relativisée par les promesses des gouvernants, donnant l’impression que la situation est sous contrôle. Pourtant, ces derniers ne sont jamais à la hauteur de leurs promesses. Laisser place à la peur face à l’urgence climatique est pour Camille Étienne une condition nécessaire pour donner naissance à ce soulèvement écologique qui a pour ambition d’influencer de manière significative l’action du gouvernement.
Auteure
Camille Étienne (promo 21) est une militante écologiste et activiste pour la justice sociale. Elle a notamment contribué à la mise à l’agenda politique de la question des polluants éternels. Elle a également tourné le film Pourquoi on se bat (2022) qui évoque les raisons de son activisme et les obstacles psychologiques qui s’y sont confrontés.
Le Goût de la Francophonie
Alors que la France a accueilli au début du mois le XIXe Sommet de la Francophonie, Emmanuel Maury propose dans cet ouvrage de revenir sur la signification de ce terme.
Menacée selon certains observateurs par l’émergence de l’écriture inclusive et le développement du « franglais », la langue française semble avoir perdu de son éclat. Aussi, à travers un certain nombre de textes choisis délicatement et regroupés chronologiquement, l’auteur contredit cette idée et revient sur la richesse de cette langue et du rôle de la Francophonie dans son expansion.
En effet, au-delà de simples considérations linguistiques, la Francophonie doit s’entendre comme un projet politique. Au fil des textes, et donc des périodes, sa dimension transnationale se dessine, et permet d’apprécier l’évolution de la langue et de son utilisation par des poètes, des dramaturges mais aussi des féministes ou encore des essayistes. La Francophonie s’impose alors comme un véritable vecteur de valeurs et de lutte contre l’oppression.
Éloge de la « langue de Molière », Le Goût de la Francophonie évoque ainsi le destin d’une langue et d’un projet politique qu’il convient de préserver et de faire respecter, au nom de tous ces écrivains qui l’ont fait mûrir.
Auteur
Emmanuel Maury (pormo 90) est un haut fonctionnaire, historien et écrivain français. Il est l’auteur d’autres ouvrages au caractère historique, dont les plus récents sont Le roman secret de Chantilly (éditions Perrin, 2024) et Le dernier des Condé (éditions Tallandier, 2019).
Emmanuel Maury, Le goût de la Francophonie, Éditions Mercure de France, 144 pages, 9,50€
La droitisation française, myhtes et réalités
La société française connaît-elle vraiment une droitisation sans précédent ? Si les résultats des dernières élections semblent aller dans ce sens, l’étude de Vincent Tiberj n'arrive pas à la même conclusion.
Une droitisation française signifierait qu’une majorité de Français adhère à des valeurs conservatrices. L’auteur soulève le paradoxe de cette hypothèse et l’observation de la progression d’une ouverture à la diversité, à la tolérance et à la mixité au sein de la société. En fait, ce mythe résulte principalement d’une mise à l’agenda politique et médiatique des thématiques de la droite, donnant l’illusion qu’elles sont les sujets les plus importants aux yeux des Français.
Pour le sociologue politique, si ceci se voit confirmé dans les urnes, c’est parce que ces urnes ne sont pas représentatives de l’ensemble de la population française. En effet, ne se reconnaissant pas dans ces thèmes ni dans les propositions des partis, une large part de la société, particulièrement jeune, préfère ne pas s’exprimer.
Mythes ou réalités, cet ouvrage apporte une conception éclairante de la situation politique en France.
Auteur
Vincent Tiberj (promo 97) est professeur en sociologie politique à Sciences Po Bordeaux et chercheur au Centre Émile Durkheim depuis 2015. Entre 2002 et 2015 il a été chargé de recherche FNSP à Sciences Po Paris, d’abord au Cevipof puis au Centre d’études européennes.
Vincent Tiberj, La droitisation française. Mythes et réalités, Éditions PUF, 144 pages, 15€
Pierre Mauroy : le dernier socialiste
Figure essentielle de la tradition socialiste, Pierre Mauroy incarne pour beaucoup le dernier souffle de ce mouvement dont le parti originel, la SFIO, a connu de profondes mutations.
Avant d’accéder aux fonctions de Premier ministre sous la présidence de François Mitterrand en 1981, Pierre Mauroy s’est fait, dans la SFIO devenu Parti Socialiste, une place grandissante, lui permettant non seulement de mettre en avant ses compétences mais aussi de gagner en expérience pour mener un gouvernement socialiste réformateur. Il fut notamment un témoin direct de la première cohabitation, en tant que député du Nord élu en 1986.
Revenant ainsi sur l’histoire de Pierre Mauroy et son impact sur la vie politique française, l’auteur rappelle la manière dont il s’est fait le porte-parole de réformes sociales essentielles relevant de problématiques étonnement actuelles : la retraite à 60 ans, l’augmentation du SMIC ou encore la cinquième semaine de congés payés.
Auteur
Pierre Emmanuel Guigo (promo 11) est maître de conférences en histoire contemporaine à l’université Paris-Est Créteil, spécialisé dans l'histoire politique et de la communication. Il est également l’auteur d’une biographie de Michel Rocard (Perrin, 2020).
Pierre Emmanuel Guigo, Pierre Mauroy : le dernier socialiste, Passés Composés, 320 pages, 23€
Ce qu’il restera d’eux
Pour son troisième roman, Éloïse Cohen de Timary revient sur l’histoire de la Tunisie, des années 40 à l’indépendance, sur fond d’une trame familiale aux secrets enfouis.
Anne Dormoy, l’une des premières femmes médecins du pays, voit son quotidien bouleversé lorsque son fils, parti depuis des années, réapparaît à l’aune du foisonnement des revendications indépendantistes de l’Afrique du Nord. Révolté contre la domination coloniale sous laquelle se trouve alors la Tunisie en 1942, tout comme le Maroc et l’Algérie, son fils fait preuve d’un activisme poignant. Anne se trouve alors non seulement secouée dans son histoire personnelle et familiale mais aussi dans l’histoire plus large du destin de son pays.
Un roman qui aborde l’amour, l’exil, les convictions, ainsi que la mémoire, au travers d’un récit familial touchant et empreint de sensibilité.
Auteure
Éloïse Cohen de Timary (promo 06) est une écrivaine française. Également journaliste et rédactrice, elle est l’auteur de deux autres romans : Les amants météores (éditions JC Lattès) et Babylone underground (éditions Serge Safran) .
Éloïse Cohen de Timary, Ce qu’il restera d’eux, JC Lattès, 336 pages, 20,90€
Histoire du baptême. Du Moyen Âge à nos jours
Au fil des siècles, le baptême a perdu de son caractère de rite traditionnel dans la vie des français. Partant de ce constat, Vincent Gourdon étudie dans ce livre les causes du détachement de cette pratique qui est loin de se caractériser uniquement par la sécularisation de la société française.
Cette baisse de la tradition baptisimale n’est pas la traduction d’un déclin pour l’ensemble des pratiques rituelles proposées par la religion. En effet, les sciences sociales contestent l’idée d’un déclin de la religion et proposent plutôt de considérer un renouveau de la pratique religieuse que l’auteur lie ici à des reconfigurations familiales. Le bouleversement des rôles au sein de la famille impacte la façon dont le baptême est perçu, notamment au regard de la place nouvelle donnée à l’enfant.
Retraçant l’histoire de la vie de famille des Français depuis l’époque médiévale, Vincent Gourdon propose d’observer la pratique du baptême en parallèle des configurations familiales, une approche particulièrement éclairante du rapport de notre société au religieux
Auteur
Directeur de recherches au CNRS, Vincent Gourdon (promo 92) est spécialiste de l’histoire de la famille aux époques moderne et contemporaine. Il a cofondé Patrinus en 2006, le « réseau européen d’histoire sociale et culturelle du baptême et du parrainage », qui regroupe une centaine de chercheurs, en Europe et en Amérique.
Vincent Gourdon, Histoire du baptême. Du Moyen Âge à nos jours, Passés Composés, 400 pages, 23€
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