Pennylane, une licorne dans le vent
En 2024, la France compte 30 licornes, ces start-up valorisées à plus d’un milliard de dollars. Parmi elles, Pennylane, née en 2019, offre des solutions de gestion financière aux TPE-PME. Nous avons rencontré deux de ses cofondateurs passés par Sciences Po, Arthur Waller et Félix Blossier.
Propos recueillis par Caroline Blackburn et Maïna Marjany (promo 14)
Avant Pennylane, vous avez fondé, en 2012, une première start-up, PriceMatch. Quelle en a été la genèse ?
Félix Blossier : Avec Arthur, nous nous sommes rencontrés dans le cadre de notre Bachelor à Sciences Po, puis nous avons suivi un double diplôme Economics and Public Policy à Sciences Po et Polytechnique. Nous avons rencontré les autres fondateurs de PriceMatch dans le cadre de nos études – au lycée, à Polytechnique ou à Sciences Po (Khalid El Guitti, promo 13). La société a été lancée en parallèle, en année de césure du master.
Arthur Waller : C’est l’envie d’avoir un impact qui nous a poussés à créer PriceMatch. Après nos stages de master dans de grandes organisations, nous souhaitions une structure plus petite pour élargir notre influence. L’idée était d’appliquer au secteur hôtelier le « pricing dynamique » du domaine aérien, afin d’aider les hôtels à optimiser leur taux de remplissage en ajustant leurs prix au bon moment.
L’incubateur de Sciences Po, où nous sommes restés 18 mois, nous a fourni le soutien nécessaire. Le mentorat de Maxime Marzin ainsi que l’accès à des locaux et à des soutiens financiers nous ont permis de nous fixer des ambitions élevées et de les réaliser. À l’époque, l’écosystème des start-up n’était pas aussi développé, d’où l’importance de l’accompagnement par l’incubateur.
Comment s’est passée la suite ?
A. W. : Les aides financières ainsi que nos prêts étudiants nous ont permis de vivre 18 mois. Puis nous avons commencé à attirer nos premiers clients payants… et nous avons reçu un mail du fonds d’investissement Partech. Nous les avons rencontrés et ils ont décidé d’investir. À partir de ce moment-là, nous avons commencé à décoller, nous professionnalisant et grandissant rapidement.
F. B. : Lors du rachat, en 2015, j’étais stagiaire de l’ENA dans le Morbihan. Les autres cofondateurs sont allés travailler chez Booking pour continuer à développer la solution.
A. W. : Pendant trois ans, notre aventure nous a menés à Amsterdam, au siège de Booking. C’est la plus grande entreprise d’e-commerce en Europe. L’ambiance a grandement influencé celle de Pennylane : nous disons souvent aux nouveaux arrivants que 90 % de notre culture d’entreprise découle de cette expérience. C’est là que nous avons appris à constituer, mais surtout à gérer des équipes d’ingénieurs, le cœur de métier de Pennylane.
Comment est née l’envie de créer une nouvelle start-up ?
A. W. : Après une pause de neuf mois, nous avions un sentiment d’inachevé. Nous avons donc décidé de former quasiment la même équipe pour lancer une nouvelle entreprise.
Pour la première start-up, notre démarche n’était pas très méthodique. Cette fois-ci, forts de notre expérience, nous avons fonctionné différemment. Nous nous sommes fixé trois critères : un marché vaste où la technologie fait la différence, de préférence un marché de remplacement ; une solution à un problème bien identifié, validée par nos interlocuteurs ; et payante. Après six mois de recherche et de tests, nous avons trouvé notre idée, un outil comptable de gestion tout-en-un, et c’est là que les voyants sont passés au vert.
Pouvez-vous nous pitcher Pennylane ? Comment se différencie-t-elle ?
A. W. : Les petites entreprises gèrent leurs finances avec une multitude d’outils – extranets bancaires, systèmes de ventes spécifiques (les caisses enregistreuses ou les CRM), factures d’achat stockées dans des boîtes, logiciels de paie pour les salariés et Excel pour le business plan. Ensuite, il y a l’expert-comptable, qui utilise souvent son propre logiciel. Cette dispersion des données dans les TPE/PME entraîne une duplication des tâches et une perte de temps considérable. Le problème majeur est l’absence de vision globale et à jour des finances, ce qui entrave la prise de décision pour le développement de l’activité. Notre solution vise à résoudre ce problème en regroupant toutes ces composantes sur une plateforme dédiée à la gestion financière et comptable, offrant une vue personnalisée selon les besoins de chaque utilisateur. Notre rôle consiste à traduire le langage de la gestion en langage comptable et vice versa, tout en offrant une interface adaptée à chaque profil.
F. B. : Nous proposons une alternative à l’outil actuel utilisé par les experts-comptables. Son principal avantage réside dans la centralisation des données au même endroit, simplifiant la gestion financière. Et nous incluons un compte professionnel pour le client dans l’outil, sans augmentation de prix.
A. W. : J’ai rencontré 120 chefs d’entreprise pour identifier leurs problématiques. J’ai constaté que de nombreux dirigeants – cela va de la femme d’un plombier, responsable de la partie administrative, au chef d’une PME – éprouvaient des difficultés à prévoir leurs recrutements en raison du manque de visibilité sur leur trésorerie et les délais de paiement. Notre objectif est de répondre à ce besoin concret : offrir une solution permettant de savoir si l’entreprise peut se permettre de recruter ou d’investir.
Cinq ans après la création de Pennylane, combien d’employés avez-vous ?
F. B. : Nous sommes plus de 400, la moitié dans des fonctions tech au sens large (développement, produit, data) et le reste essentiellement dans des fonctions commerciales et d’accompagnement client.
Devenir une licorne, était-ce un de vos objectifs ?
F. B. : Ce n’était pas un but en soi, c’est pourquoi nous n’avons pas communiqué outre mesure sur le sujet. Cependant, en créant Pennylane, nous avions ce niveau d’ambition : simplifier le problème de gestion à grande échelle et ne pas avoir de plafond dans notre développement.
A. W. : Au commencement, l’un de nos critères majeurs était en effet l’ampleur du marché. Notre idée n’était pas une révélation incroyable, ce qui nous a amenés à nous demander pourquoi personne ne l’avait encore mise en œuvre. Outre-Atlantique, ce concept est exploité par d’énormes entreprises, bien plus grandes que la nôtre aujourd’hui. Elles opèrent dans quatre pays et pèsent 200 milliards. Mais elles sont face à une barrière naturelle puisque, compte tenu des différences de législation, leur outil n’est pas transférable en France et en Europe. Par ailleurs, il est indéniable que les données manipulées dans ces logiciels sont précieuses et sensibles, il est donc préférable qu’elles soient gérées par une entreprise européenne.
Forts de vos expériences, pensez-vous que l’environnement français soit favorable à la création de start-up ?
A. W. : Actuellement, l’environnement est encore plus propice au développement des start-up qu’il y a 10-15 ans. C’est un cocktail d’éléments : les initiatives des pouvoirs publics, mais également les synergies avec d’autres start-up et les outils qui facilitent la gestion quotidienne.
F. B. : C’était plus difficile de recruter à l’époque de PriceMatch. Aujourd’hui, il est beaucoup plus facile d’attirer des talents, l’écosystème ayant évolué. Par ailleurs, l’État nous sollicite régulièrement pour savoir ce qui pourrait être amélioré. Certains aspects sont perfectibles au niveau de la législation, notamment en ce qui concerne les horaires et l’encadrement du télétravail ; les questions relatives au droit du travail ne sont, en effet, pas toujours adaptées à notre mode de fonctionnement, qui est plus flexible.
Quels sont vos projets à moyen et à long terme ?
A. W. : À court terme, notre objectif est d’équiper de plus en plus de cabinets d’experts-comptables et de fournir nos services à davantage d’entreprises (150 000 à ce stade). Nous constatons que notre outil devient de plus en plus adapté aux besoins de plus grandes sociétés. Nous visons également à proposer davantage de services financiers, tels que notre compte professionnel et des options de paiement intégrées à notre solution.
À moyen terme, nous souhaitons étendre notre modèle à d’autres pays d’Europe continentale, où les acteurs anglo-saxons n’ont pas encore pénétré le marché et où les solutions sont toujours gérées par des acteurs historiques et vieillissants. Mais nous envisageons cette expansion avec prudence pour éviter les écueils.
Cet article a initialement été publié dans le numéro 30 d’Émile, paru en juillet 2024.