Jérôme Adam : offrir un regard inédit sur la famille et les addictions
Entrepreneur et producteur, Jérôme Adam (promo 98) nous parle de son parcours et du documentaire Tout pour être heureux ?, projeté le 26 novembre au Grand Rex. Inspiré de sa propre histoire – il a perdu son frère alors âgé de 35 ans –, ce film puissant réunit les témoignages intimes et percutants de proches de victimes d’addictions.
Propos recueillis par Lisa Dossou et Maïna Marjany
Diplômé de Sciences Po en 1998, vous avez fondé votre première entreprise à 23 ans. Qu’est-ce qui vous a poussé à entreprendre aussi jeune ?
Le premier déclic a eu lieu lors de mon échange à La Nouvelle-Orléans, où j’ai réalisé un MBA organisé par l’ESSEC. J’ai eu l’opportunité de travailler sur un projet d’entreprise et j’ai été marqué par l’état d’esprit de mes professeurs aux États-Unis. Par exemple, l’un d’entre eux m’a tenu un discours très positif sur l’échec potentiel. Il me disait : « Peut-être que tu vas rentrer en France et créer ton entreprise, peut-être que tu te planteras, mais tu auras appris pour les suivantes. » Ce regard décomplexé sur l’échec a été libérateur. À mon retour en France, j’ai suivi un cours d’entrepreneuriat qui m’a permis de peaufiner mon projet et de me lancer. Au-delà du projet en lui-même, qui m’animait profondément, je me retrouvais pleinement dans l’état d’esprit entrepreneurial : la prise de responsabilités, le goût du risque… Plusieurs rencontres importantes m’ont également donné la confiance nécessaire pour me lancer.
Pourquoi avoir choisi, ensuite, de vous orienter vers la production audiovisuelle ?
Après avoir fondé deux entreprises dans la technologie, j’ai eu envie de m’orienter vers un secteur plus communicatif, plus créatif, axé sur la transmission de messages. Je voulais parler du handicap, mais à ma manière, avec un ton décalé, sans que ce sujet me soit imposé ; j’ai perdu la vue à 15 ans et on me ramenait sans cesse à cette question. J’ai alors évoqué l’idée, audacieuse à l’époque, de vidéos humoristiques avec Guillaume Buffet, un ami rencontré dans le think tank Renaissance Numérique. Lui venait du milieu de la communication. Ensemble, on a commencé à produire ces vidéos sur le handicap qui ont donné la série J’en crois pas mes yeux.
Nous avons mis en place un modèle économique basé sur des partenariats d’entreprises, où chaque nouvelle société apportait un soutien financier et profitait de l’ensemble des vidéos. Plus il y avait de partenaires, plus nous pouvions réaliser d’épisodes ; c’était un modèle gagnant-gagnant très intéressant. On a aussi réalisé un documentaire de 26 minutes sur notre ascension du mont Ventoux en tandem. Guillaume étant un passionné de vélo, nous avons tenté cette aventure ensemble.
Pouvez-vous nous raconter la genèse de Tout pour être heureux ?
Au fil de ces projets, j’ai découvert le monde de la production audiovisuelle. J’ai rencontré un scénariste américain, Richard Schlesinger, avec qui j’ai entrepris d’écrire mon histoire familiale, autour de mon frère et moi. L’idée était de croiser deux parcours de vie, celui d’une personne aveugle et celui d’une autre aux prises avec une addiction, dans un contexte familial de transmission d’une exploitation viticole en Champagne. Le film voulait déconstruire l’idée que le handicap visuel est quelque chose de « subi » et l’addiction de « choisi ». On a donc écrit un scénario de fiction, mais au fur et à mesure qu’on le proposait à des producteurs ou réalisateurs, on nous répétait la même chose : un aveugle et un toxico dans le même film, ça fait beaucoup et le public n’est pas prêt pour ça.
Comme produire une fiction s’est révélé très difficile, j’ai pensé qu’un documentaire serait moins coûteux et plus réalisable. Mon intérêt s’est tourné vers l’entourage des personnes touchées par l’addiction, en particulier vers les fratries. Quand on parle d’addiction, on se focalise souvent sur la personne concernée, voire ses parents, mais rarement sur ceux qui l’entourent, pourtant souvent affectés. À mon sens, les fratries sont des confidents privilégiés qui peuvent apporter un regard unique, différent de celui des parents. Je voulais aussi explorer une autre question : quand ces frères et sœurs deviennent eux-mêmes parents, comment transmettent-ils ce vécu à leurs propres enfants ?
Mais au moment de parler de ce projet à des producteurs et diffuseurs, j’ai encore été confronté à des incompréhensions, notamment concernant mon choix de m’intéresser aux frères et sœurs plutôt qu’aux personnes addicts. Un peu excédé par tous ces refus, j’ai décidé d’investir mes économies, de racheter les parts de mon associé et d’engager les fonds de l’entreprise pour me lancer.
Vous êtes ensuite passé de producteur à distributeur…
En 2019, j’ai trouvé un réalisateur, et nous avons commencé le tournage en 2020, au début de la pandémie de Covid. Autant vous dire que ça a été un tournage sportif ! Après 10 mois de montage, le film était prêt. La période qui a suivi n’a pas été simple non plus, les distributeurs m’ont fait comprendre que de nombreuses salles n’étaient pas encore rouvertes à cause du Covid. J’ai donc pris les choses en main et endossé la casquette de distributeur, en organisant moi-même des ciné-débats. J’ai également pu m’appuyer sur des partenaires qui nous avaient rejoints pendant le tournage, comme Médecins du Monde, la Fédération addiction et la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA).
Vous êtes-vous reconnu dans ces entourages de famille, dans les témoignages que vous avez recueillis ?
Il y a des similitudes fortes entre ces histoires et la mienne. Ce film m’a permis de soulager une partie de mes propres craintes notamment vis-à-vis de ma fille, de calmer ce sentiment de culpabilité. J’ai réalisé que, comme beaucoup de parents, j’avais cette peur que mon enfant puisse être, à son tour, confronté à des conduites à risque, que les mêmes schémas se reproduisent. C’est un sentiment très universel.
Ce n’est pas un film technique, pédagogique, mais vraiment un film sur les familles, sur les émotions. Je n’ai pas eu recours à un casting ou à une annonce pour sélectionner les témoignages du film. Tout s’est fait par bouche-à-oreille, naturellement, par des relations de confiance qui s’établissaient en général à la fin de conférences que j’ai données en entreprises en 2018, où les personnes venaient me voir et me raconter leurs histoires en lien avec l’addiction.
À travers les différents personnages du film, âgés de 22 à 65 ans, j’ai retrouvé un éventail de sentiments communs : la culpabilité, l’impuissance, le déni parfois, mais aussi beaucoup d’amour et même de la colère. Ce sont ces nuances, propres aussi à cette dimension intergénérationnelle, qui rendent ce film si particulier.
Quels sont vos projets pour la suite ?
Le projet le plus imminent est la soirée #NosFuturs « Donnons plus de futurs à nos jeunes », qui se tiendra le 26 novembre au Grand Rex. C’est un événement qui interroge les discours actuels sur la réussite et la performance, en soulignant que chacun possède des spécificités et des vulnérabilités auxquelles il faut répondre. Pour résumer, la première partie se concentrera sur la présentation de compétences psychosociales à nos jeunes, afin de leur donner les outils pour les aider à mener leur propre vie, à être bien dans leur peau, leur tête, avec les autres et prévenir ainsi les conduites à risque. La projection du film sera précédée d’interventions inspirantes de professionnels ou d’acteurs de la question. Il y aura aussi des animations ludo-éducatives, avec des jeux interactifs et des croquis en direct de l’artiste Marielle Durand, qui viendront enrichir l’expérience, pour rendre cette soirée à la fois divertissante et éducative.
La soirée événement #Nosfuturs « Donnons plus de futurs à nos jeunes »
Elle se tiendra le 26 novembre dans la mythique salle du Grand Rex, de 20h à 23h (ouverture des portes dès 19h00)
Au programme :
La projection du film documentaire Tout pour être heureux ?
Des interventions inspirantes de personnalités exceptionnelles, comme l’aventurier et para-athlète Philippe Croizon. Ainsi que des professionnels qui vont bousculer nos connaissances comme Florence Rizzo d’Ecolhuma et Collectif CPS ou Lucie Caubel membre d’Alliance Santé Mentale
Des animations, des débats pour réfléchir, des émotions pour réagir, des solutions de prévention pour agir
Et enfin, le lancement du fonds philanthropique « Tout pour être heureux » pour s’engager sur l’avenir