En Essonne, Pierre Larrouturou (Les Écologistes) déterminé à conjuguer ses principes en lois
Émile part en campagne ! À l’occasion de ces législatives anticipées, le magazine suit six candidats, passés par Sciences Po, qui représentent les principaux partis en lice. À Gif-sur-Yvette, rencontre avec Pierre Larrouturou (promo 89), candidat Nouvelle Donne, investi par les Écologistes et le Nouveau Front Populaire.
Par Alexandre Thuet Balaguer
Pierre Larrouturou ne se déplace jamais sans sa pochette en plastique. À l’intérieur, il y classe avec soin son précieux matériel : ses données. Chaque thèse que l’ancien ingénieur agronome distille se doit d’être accompagnée d’un graphique, d’un courrier, d’un livre. Tout ce qu’il affirme est étayé par des faits ou des chiffres, eux-mêmes sourcés et vérifiables. Son argumentaire est dense et varié.
Déjà, en 1997, dans un portrait que lui consacrait Libération, ses « patati patati patati » traduisaient la passion d’un orateur sans doute prolixe mais sincère. Sans borne à ses illustrations, il peut vous éclairer la crise économique à partir d’un tableau comparatif des dernières estimations de croissance de la Réserve fédérale des États-Unis (FED) comme du témoignage de la boulangère du coin de sa rue.
Un territoire hétérogène
En ce mercredi matin, il nous expose son programme dans un bar-PMU de Gif-sur-Yvette, dans la 5e circonscription de l’Essonne. Il s’y présente, candidat investi par les Écologistes, le Nouveau Front Populaire et Nouvelle Donne – le parti qu’il a fondé en 2013. Ce sont les Verts qui lui ont « proposé », décelant chez lui « un bon profil », adéquat à la sociologie de la circonscription. S’il n’en est pas originaire, il la trouve pour le moins « attachante ». « C’est un espace avec des enjeux assez divers. Avec les centres scientifiques et technologiques de Saclay, où sont formés les ingénieurs de demain, c’est ici que s’appliquent les politiques de financement de la recherche. Sur d’autres villes, plus populaires, on est au cœur des problématiques sociales. Enfin, dans les territoires ruraux de la circonscription, l’agriculture joue un rôle important », décrit-il à Émile.
En 2022, la pluralité de l’électorat n’avait pas bénéficié au candidat de la NUPES Cédric Villani. Député sortant, le mathématicien avait troqué son étiquette LREM contre celle de l’alliance de gauche pour affronter un autre soutien de la majorité présidentielle Paul Midy, l’ancien directeur de campagne de Benjamin Griveaux lors des municipales de Paris. Ce dernier l’avait battu de 19 voix.
Deux ans plus tard, la recomposition politique à l’œuvre a bouleversé la conjecture. Si le député sortant se porte à nouveau candidat, le phénomène RN a gonflé. En Essonne, aux dernières européennes, la liste du parti est arrivée en tête, en récoltant près de 26 % des suffrages. Un résultat, certes, en-dessous de sa moyenne nationale (à 31,4 %), mais qui confirme une tendance à la hausse, de neuf points en cinq ans. Au cœur même de sa circonscription, le bourg rural historiquement à gauche de Villiers-le-Bâcle a préféré Jordan Bardella aux autres candidats.
Pierre Larrouturou lit dans cette France qui vote RN une expression de la colère du pays. Avec, en ligne de mire, la politique d’Emmanuel Macron. Il condamne les aspirations libérales du Président « au bilan catastrophique ». « Je ne vois pas un seul point sur lequel il y a eu du mieux. Dans tous les domaines, c’est un échec. Même sur la sécurité. À Orsay, on n’embauche plus aucun policier parce que plus personne ne veut le devenir », dénonce-t-il.
Économiquement, les politiques de Bruno Le Maire le laissent amer. Sur la taxation financière du capital – un de ses grands combats – il s’insurge d’un contresens. Sur la table, il nous sort une lettre écrite par le ministre des Finances polonais durant les négociations pour une taxe sur les spéculations. C’est écrit noir sur blanc : son gouvernement ne s’alignera pas sur la version française, qui refuse toute intervention sur les transactions financières. « C’est totalement idiot. Ça nous rapporterait 57 milliards d’euros par an en Europe si on taxait à hauteur de 0,1 % », clame-t-il. Avant de comparer : « Aux Etats-Unis, même Biden l’a fait », en mettant en place une taxe de 1 % sur les rachats d’actions. Même musique sur le blocage des prix : « En Espagne, Sanchez l’a fait, en baissant la TVA…. Il a laissé une respiration aux plus précaires. En France, les travailleurs étouffent. Tous les commerçants que je croise me disent qu’ils en ont marre de Le Maire ».
Son constat sur Emmanuel Macron est bien plus ancien. L’ancien ingénieur l’a rencontré dès 2012, juste avant l’élection de François en Hollande. « On m’avait conseillé d’aller le voir, en disant qu’il pourrait avoir un poste important chez les socialistes. Je l’avais appelé pour qu’on se parle. Il m’avait invité dans son bureau, à Rothschild. La caricature », se souvient-il. Au rendez-vous, le banquier d’affaires crée immédiatement une complicité autour de son engagement phare : la semaine de 32 heures. « Il m’avait accueilli directement en me disant "Pierre, je ne vous ai jamais parlé mais nous nous connaissons déjà. J’étais aussi dans les jeunesses rocardiennes et je militais [sur ce point]". J’étais content, j’avais beaucoup d’espoir ».
Mais alors que le jeune premier d’Amiens gravit des échelons, l’incompréhension monte à mesure des promesses trahies. Secrétaire Général adjoint de l’Élysée, il reçoit Michel Rocard et Pierre Larrouturou. « À chaque fois que je lui en parlais, il rejetait la faute sur le Président. Rocard lui avait demandé une entrevue avec lui. Il l’avait éconduit ». Laconique, Emmanuel Macron leur avait fait part de sa conclusion cinglante sur François Hollande : « Vous savez, on ne change pas un homme ». Prémonitoire. « Il m’avait nommé au Haut-Conseil pour le Climat, mais j’en étais parti avant les européennes de 2019. Maintenant, ça fait quatre ans qu’on ne se parle plus ». Entre eux, la rupture a été consommée.
Un agronome social
Cette contestation du libéralisme économique, il en a également aiguisé ses armes durant ses études, à AgroParisTech puis à Sciences Po. « Je m’en rappelle encore, on se pressait pour assister aux cours de droit constitutionnel de Ronny Abraham », se souvient-il. Sa carrière commence chez Andersen Consulting, en tant qu’ingénieur consultant, à la fin des années 80.
En parallèle, il s’engage politiquement, dans la ligne de « deuxième gauche » – sociale-libérale – de Michel Rocard, en adhérant au PS. Ensemble, ils se lient d’amitié pour défendre des causes communes. Avec, en tête de proue, la semaine des 32 heures. Pierre Larrouturou en a eu l’idée dès 1993, dans le but de partager le travail et réduire le chômage. En 2004, ils cosignent avec Stéphane Hessel un Traité de l’Europe sociale, incluant ces objectifs. Des critères qu’ils souhaitent faire adopter par un référendum paneuropéen.
Aujourd’hui, ce vœu lui tient encore à cœur. Européen convaincu, il est élu de Strasbourg sur la liste du PS/Place Publique en 2019 et devient rapporteur général du budget de l’UE pour le Parlement sur la période 2021-2027. « Le premier Français en 20 ans, autant vous dire que j’avais peur », concède-t-il. Durant son mandat, il entame une grève de la faim pour « le climat, la santé et l’emploi », en augmentant leurs ressources par une taxation du capital. En accord avec son projet de « Pacte Finance Climat », co-réfléchi avec le scientifique Jean Jouzel, ils souhaitent redéfinir une économie, dans laquelle les financements sont dirigés de manière pérenne vers la transition énergétique. Fin 2018, l’UE adopte un projet de traité dessus.
Ses combats se retrouvent dans le Nouveau Front Populaire. Il s’est engagé sous leur étiquette afin de proposer une alternative viable. La gauche doit, selon lui, investir des sujets qu’elle a trop longtemps abandonnés. « Sur l’agriculture, lorsqu’il y a eu la crise en janvier, j’étais le seul à accueillir à Bruxelles les tracteurs avec Marion Maréchal. À cela, vous ajoutez les "avec tout ce qu’on voit à la télé" et vous comprenez pourquoi l’extrême-droite est si haute », nous relate-il. Bien plus que de la délaisser, son camp politique a nourri des désillusions chez de nombreux électeurs. En poursuivant sur les éleveurs, il nous cite l’exemple du « quota laitier », pour fixer un prix minimum, que François Hollande n’a jamais appliqué. Un frein qui bloque cet électorat rural à basculer à gauche.
Pourtant, leurs lignes de convergence pullulent. Sur le social, l’économique ; l’écologie, aussi. « On m’avait invité à un congrès de la FNSEA. Le numéro 3 des Jeunes Agriculteurs m’avait dit : “on n’est pas du tout climato-sceptique, on voit les conséquences au quotidien”. Et nous, on est les seuls à avoir la réponse », affirme-t-il. Un des militants accompagnant Pierre Larrouturou conclut ainsi la discussion : « de toute manière, Renaissance va perdre. C’est soit nous, soit le fascisme ».
Des lendemains qui chantent ?
Le Nouveau Front Populaire, et son programme, incarnent une transformation en profondeur du pays, que beaucoup accusent d’être « anti-nationale » en plongeant la France dans un gouffre financier. L’équipe de campagne de la majorité présidentielle a chiffré à 286 milliards d’euros le prix des mesures. Pour la socialiste Valérie Rabault, la note s’élèverait à 106 milliards d’euros de dépenses nouvelles.
Nemo, co-fondateur de Nouvelle Donne Sciences Po et engagé aux côtés du candidat dans la campagne, nous assure que Pierre Larrouturou « renforce la crédibilité de la gauche sur ces questions. C’est un économiste qui sait de quoi il parle ». Misant sur un programme keynésien, les bénéfices seraient plus forts, grâce à des répercussions impactantes des investissements sur la consommation et la confiance. « Ça tient », veut croire un autre soutien lors d’un tractage.
Sur le marché de Gif-sur-Yvette, c’est toutefois une interrogation plus politique qui taraude les électeurs. « Vous vous êtes alliés à Mélenchon », lui lance-t-on. Le candidat ne se démonte pas et rétorque : « moi, c’est Larrouturou ». Alors que le leader de la France Insoumise monopolise les polémiques, les militants tentent de nous persuader : « le Nouveau Front Populaire n’est pas une NUPES II ! ». Moins hégémonique dans l’alliance, le parti dirigé par Manuel Bompard serait entré dans des logiques « de compromis », respectant les individualités de chacun.
Tout en reconnaissant l’essentiel de la gauche : son combat anti-fasciste. Et au nom des citoyens. Pierre Larrouturou s’y rallie pleinement. Du premier Front Populaire, de Blum, Lagrange et Daladier, le candidat de Nouvelle Donne consacre une autre figure : le peuple. « Au début, Blum ne voulait pas des congés payés. Mais les ouvriers, les syndicats, les grévistes, les manifestants l’ont convaincu. Son gouvernement a signé les accords de Matignon. Il en est resté fier toute sa vie. Il faut savoir écouter le peuple, c’est lui le véritable héros de 1936 ».