Et à Sciences Po ? Renouer avec la nuance
En tant qu’université internationale en sciences humaines et sociales et comme nombre de grandes institutions à travers le monde, Sciences Po est traversée par les débats et conflits internationaux qui secouent nos sociétés. Pour assurer un dialogue apaisé, l’institution met à profit ses ressources en sciences humaines et sociales pour ouvrir deux formations axées sur le débat d’opinion et la liberté d’expression.
Par la Rédaction d’Émile et la direction de la communication de Sciences Po
Étudiants en amphithéâtre Émile Boutmy. (Crédits : Didier Pazery / Sciences Po)
Le cours « Règlement amiable des conflits et culture du débat »
Comment dialoguer quand on n’est pas d’accord ?
À la rentrée, Sciences Po a lancé une formation unique pour sensibiliser les étudiants à la résolution amiable des différends et des conflits. Portée par l’Observatoire des modes amiables de résolution des différends (OMARD) de l’École de droit de Sciences Po, cette initiative est le fruit d’un partenariat avec l’École nationale de la magistrature, le Conseil national des barreaux, le Conseil supérieur du notariat et la Chambre des commissaires de justice d’Île-de-France.
L’objectif de ce nouvel enseignement ? Permettre aux étudiants de naviguer avec nuance dans les débats contemporains, tout en maîtrisant les outils pour résoudre les conflits de manière constructive.
Soraya Amrani-Mekki, agrégée des facultés de droit, ambassadrice de l’amiable nommée par le ministre de la Justice, enseigne à Sciences Po et produit des travaux portant principalement sur la théorie générale du procès, la procédure civile, les modes amiables de résolution des différends, l’arbitrage et le numérique. Partant du constat selon lequel le conflit est inévitable, « inhérent à la nature humaine », la juriste évoque l’importance de se focaliser sur l’accompagnement et la gestion du conflit plutôt que de l’éluder. Autrement dit, cet enseignement vise à déterminer des moyens de réparer « une communication dysfonctionnelle » entre des opinions divergentes. L’objectif est de travailler sur ses différences de perspectives et de rechercher du commun pour essayer, ensemble, de construire les modalités d’une vie paisible, sans pour autant renoncer à ses opinions.
Un autre objectif de cet enseignement est de donner un nouvel élan à la communication entre étudiants. Aussi, sur la base du volontariat, ceux-ci seront sollicités pour devenir « médiateurs pairs » et participer au développement d’une culture de l’amiable sur les campus de Sciences Po. « Ces étudiants auront l’opportunité d’être formés par des professionnels de l’amiable pour devenir médiateurs au sein de leur campus respectif », précise Soraya Amrani-Mekki. Il s’agit d’entretenir un rapport sain au débat et d’apprendre à gérer les conflits d’opinion à l’amiable, c’est-à-dire par des voies de conciliation. La créatrice de l’OMARD souligne également le caractère indispensable de disposer de ce type de compétences dans le monde du travail, que la carrière soit politique, économique ou juridique, mais aussi sur le plan personnel, pour « développer des relations interpersonnelles de meilleure qualité ».
Le cours « La liberté d’expression en droit français »
Pourquoi est-il crucial de comprendre la liberté d’expression aujourd’hui ? Comment sensibiliser les futurs leaders d’opinion à ce sujet ?
En cette rentrée, Sciences Po a mis en place un nouvel enseignement obligatoire pour tous les étudiants de première et deuxième année.
Ce cours, créé par Vincent Forray, Julie Klein et Fabrice Melleray, professeurs de l’École de droit de Sciences Po, initie les étudiants aux fondamentaux juridiques de la liberté d’expression, y compris sur les réseaux sociaux. L’objectif ? Former des esprits libres, capables d’appréhender toute la complexité de ce droit primordial et d’engager des discussions éclairées.
Professeur à l’École de droit de Sciences Po où il enseigne l’épistémologie du droit, le droit des personnes et un cours pratique de droit comparé, Vincent Forray précise : « Ce cours s’efforcera de ramener chacun de ses développements au contexte particulier qui nous réunit aujourd’hui, c’est-à-dire la vie académique. » Cet enseignement entend donner une connaissance profonde de la liberté d’expression et « des droits et devoirs qu’elle implique juridiquement ». Sans cette culture juridique, la « lutte pour les droits » perd de son sens ; elle est « indispensable ».
Alors qu’elle trouve sur les réseaux sociaux de nouveaux espaces dans lesquels se déployer, la liberté d’expression s’accompagne inévitablement d’une « responsabilité renouvelée » qui oblige chacun et chacune d’entre nous autour des limites données à cette liberté. Le cours s’attache donc également à étudier l’évolution de la liberté d’expression, de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 aux pratiques contemporaines. « Le droit à la liberté d’expression a une vocation existentielle », puisqu’en permettant à tout le monde d’exprimer ses opinions, il consacre l’idée que chacun et chacune puisse avoir des idées différentes.
Cet enseignement entend donc « contribuer à l’épanouissement du débat ainsi qu’à celui de la vie politique et éthique sur nos campus », en revenant à la source de cette notion complexe. Vincent Forray cite ainsi un article de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen donnant la signification « la plus lumineuse » de cette liberté : « La libre communication des pensées et des opinions est l’un des droits les plus précieux de l’Homme. Tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »
Deux cours qui se font écho
Ces deux enseignements défendent donc le même objectif, celui qui consiste à entretenir un débat éthique et éclairé sur les différences d’opinions, tout en soulignant leur importance dans une société démocratique. Exprimer son opinion tout en laissant sa place à celle de l’autre est essentiel pour garantir la liberté d’expression. Si un conflit se révèle, alors la discussion, la conciliation est importante pour ne pas nuire à cette liberté, limitée et protégée. Il s’agit d’exprimer son opinion sans chercher à l’imposer à l’autre de manière contraignante.
Qu’est ce que l’OMARD ?
L’Observatoire des modes amiables de résolution des différends (OMARD), organisme crée l’an passé à Sciences Po par Soraya Amrani-Mekki, est une entité à double vocation ; d’une part, elle mène des recherches sur la résolution de conflits à l’amiable et l’intégration de ces méthodes dans des politiques judiciaires, d’autres parts elle forme des professionnels sur cette manière de communiquer et s’inscrit ainsi comme premier organisme de formation à l’amiable pluriprofessionnel.
Cet article a initialement été publié dans le numéro 31 d’Émile, paru en décembre 2024.