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Laurent Gardinier, le restaurateur

Cinquième de notre série de portraits d’hommes et de femmes qui donnent vie, au quotidien, aux traditions gastronomiques françaises, découvrez Laurent Gardinier et le monde feutré des restaurants étoilés. Avec ses deux frères, il a racheté Le Taillevent, haut lieu du patrimoine culinaire français, qui a inspiré jusqu’au film Ratatouille.

Par Laurence Bekk-Day (promo 18)

Laurent Gardinier au restaurant Le Taillevent (Crédits photo : Vincent Capman)


Le philosophe Emil Cioran nous l’avait dit : « On ne saurait surestimer l’importance de la gastronomie dans l’existence d’une collectivité. » Les frères Thierry, Stéphane et Laurent Gardinier, propriétaires du Taillevent, s’y appliquent diligemment. Un restaurant doublement étoilé qui représente tellement l’archétype de la grande cuisine à la française qu’il a directement inspiré les créateurs de Ratatouille.

Crédits photo : Le Taillevent

À la carte, saumon d’Isigny à la vapeur végétale accompagné d’huîtres et de caviar, homard bleu en croûte de son, veau de lait fermier à l’oignon brûlé ou encore figues rôties à la vanille ; de quoi régaler une clientèle d’affaires pour le déjeuner, et plus étrangère le soir.

Des engrais aux étoiles

Laurent Gardinier, 51 ans, fait partie du club très sélect des restaurateurs parisiens. Affable et cultivé, invoquant Montaigne et en connaissant long sur la gastronomie, il s’assimile à un propriétaire « de maison de couture ou de maison de parfum : vous avez la responsabilité de faire prospérer l’entreprise, mais celle-ci repose aussi sur un créateur, un nez… ou un chef. » À l’origine, l’entreprise familiale n’officiait pas dans la restauration ; Laurent Gardinier se souvient combien elle s’est réinventée à chaque génération.

Son grand-père, « parti de rien, un exemple de l’ascension sociale que permettait la Troisième République », débute dans les engrais. La petite affaire se métamorphose, dans les années 1950, en un empire franco-américain qui emploie 6 000 salariés. Après avoir vendu, son père et son oncle prennent un virage vinicole sous l’ère Giscard, en achetant les champagnes Lanson et Pommery. L’acquisition est faite « par attrait des choses de la bonne chère et du bon vin », précise le descendant.

Crédits photo : Le Taillevent

La boucle gastronomique est bouclée lorsque les Gardinier acquièrent Le Taillevent, il y a sept ans. À deux pas des Champs-Élysées, dans l’ancien hôtel particulier du duc de Morny, cette institution reste l’un des tout derniers restaurants à revendiquer un service en salle à l’ancienne, avec des maîtres d’hôtel qui découpent, flambent et dressent sous vos yeux, comme à la Belle Époque, dans un décor tout en boiseries. « Ça n’a l’air de rien, mais découper une volaille en salle à la vitesse de l’éclair, la dresser dans une assiette de manière absolument parfaite, en quelques minutes et devant tout le monde, c’est une vraie expertise », rappelle le propriétaire.

Mais depuis l’ère Bocuse, « le premier qui est sorti de sa cuisine », les chefs sont devenus des stars et ont pris le pouvoir sur la salle. Aujourd’hui, un vent de nouveauté souffle sur la gastronomie, avec des jeunes chefs qui se mettent à leur compte, proposant des menus raccourcis aux prix serrés. Laurent Gardinier le voit plutôt d’un bon œil : « Ils proposent une qualité, un goût, une appétence et une jovialité inégalables ! » Même le haut du panier a dû s’adapter : « Il faut des assiettes qui ne soient pas submergées par une multitude de saveurs, pour avoir un meilleur équilibre. »

Tomber la veste pour déguster

Les 110 de Taillevent

Le restaurateur en a pleinement conscience, l’heure est au changement. Le temps des grands établissements qui obligaient à porter un costume-cravate est révolu. « Aujourd’hui, certains trentenaires viennent en tee-shirt. La veste est recommandée, mais elle n’est plus obligatoire », souligne-t-il. Nostalgie d’une époque où, d’après la légende, Le Taillevent était le seul lieu au monde où Serge Gainsbourg acceptait de revêtir une cravate. La réponse de Laurent Gardinier à ce bouleversement : Les 110 de Taillevent, une impeccable brasserie BCBG non loin de son grand frère étoilé, au service plus informel et qui propose des plats raffinés, à combiner avec un choix de 110 vins au verre. « La gastronomie, bien que paraissant extrêmement figée, est obligée d’évoluer avec la clientèle. » ●


Quatre questions à Laurent Gardinier 


Un produit emblématique de la France ?

Pour moi, c’est évidemment le foie gras.

Si vous aviez à composer une table idéale ?

Un jour d’hiver à la campagne, dans une grande salle à manger, avec une table en bois, et une grande cheminée derrière ; des chaises confortables, pas des bancs. En entrée, une jolie poêlée de cèpes. En plat principal, peut-être le plus difficile de la gastronomie : le lièvre à la royale. Cela prend entre 18 et 24 heures à faire, mais c’est absolument sublime. Puis du fromage : le summum, c’est un comté pas trop affiné. Pour finir, quelque chose de tout simple, une mousse au chocolat. Et je me verrais bien inviter Alain Finkielkraut et Michel Onfray, qui a une vision très intellectuelle de la gastronomie, et de l’importance sociale qu’elle a.

Selon vous, le repas est-il vécu différemment à l’étranger ?

Je pense qu’en France, il y a encore le réflexe du déjeuner, familial ou amical, qui reste un élément structurant assez fort. On a une cuisine qui est propice au partage. Pour bien connaître les États-Unis, le rapport entretenu à la nourriture là-bas est très différent de celui que nous avons ici.

C’est quoi, l’art de vivre à la française ?

C’est un art de la conversation, un art de cultiver la discussion, qui est souvent accompagnée d’une manière ou d’une autre par quelque chose à manger et à boire.