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Perte de biodiversité et élevage intensif: quels liens avec la circulation des virus?

La pandémie du Covid-19 trouverait son origine dans la multiplication des points de contacts entre le monde animal et les activités économiques humaines. Depuis une dizaine d’années, la communauté scientifique a multiplié les mises en garde contre la destruction des habitats abritant des espèces animales porteuses d’agents pathogènes dangereux pour l’homme. Parallèlement, les experts ont aussi alerté sur les risques que représentait l’intensification de l’élevage couplée à une consommation accrue des produits d’origine animale, toutes deux vecteurs de contagion. La crise du coronavirus agirait-elle comme le révélateur de la relation conflictuelle que nous entretenons avec les animaux? Alice Di Concetto, chargée d’enseignement en droit des filières agro-alimentaires à la faculté de droit de la Sorbonne et co-fondatrice de l’association InfoTrack, répond aux questions d’Émile et nous éclaire sur le lien existant entre protection animale et pandémie.

Le pangolin est une source naturelle de coronavirus mais son rôle dans l'émergence de l'épidémie de Covid-19 reste toujours incertain. Dans tous les cas, le trafic et la consommation d'animaux exotiques favorisent l'émergence de zoonoses. (Crédits: David Brossard/ Flickr)

À l’heure actuelle, que savons-nous du lien entre la crise sanitaire que nous vivons et la protection animale?

Il faut préciser qu’il existe encore des incertitudes quant au déroulement de la chaîne de transmission animal-homme du Covid-19. Il est revanche avéré que cette pandémie trouve ses origines dans un rapprochement de l’homme avec certaines espèces animales porteuses du virus, comme la chauve-souris, ou le pangolin, suspecté d’être l’hôte intermédiaire du Covid-19 entre la chauve-souris et l’homme. Tout comme les pandémies précédentes – SARS, Ebola, ou même le HIV – ce virus est à la base une zoonose ayant sauté la barrière homme-animal.

Dans le cas spécifique du Covid-19, il semblerait qu’un marché d’animaux vivants ou fraîchement abattus – les fameux « wet market » – ait été un des tout premiers foyers de contagion. Ces marchés ont réuni toutes les conditions pour la prolifération du virus étant donnée la présence de très nombreux animaux, y compris des espèces sauvages, retenus dans des conditions sanitaires déplorables. Mais la problématique des futures pandémies est bien plus générale et ne concerne pas seulement les consommateurs de viande issue des marchés humides asiatiques : il existe d’autres foyers potentiels, et cela est dû à la façon dont les humains, partout sur la planète interagissent avec les animaux.

Pouvez-vous nous éclairer sur l’émergence des zoonoses (maladies transmises des animaux aux humains) ?

Tout d’abord, la destruction des habitats a favorisé la multiplication de contacts entre humains et faune sauvage. La destruction des habitats, tels que les forêts primaires, notamment pour des activités agricoles intensives, dont l’élevage. On pense évidemment à la déforestation de l’Amazonie pour la culture intensive de soja à destination de l’élevage bovin, ou encore la destruction de la forêt primaire sur l’île de Bornéo, habitat des orang-outans, pour faire place à la culture de palmier.

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Le trafic d’espèces sauvages a également contribué à intensifier les contacts entre humains et animaux sauvages, surtout lorsque la chair des animaux trafiqués est destinée à être consommée. Ce phénomène concerne particulièrement la Chine, où la demande de certains produits issus d’animaux exotiques est soutenue, en raison des usages de ces produits dans la médecine traditionnelle – dont les écailles de pangolin. A tel point que le trafic d’espèces sauvages « se classe au 4e rang des activités illicites les plus lucratives au monde, derrière le trafic de drogues, les contrefaçons et la traite d'êtres humains » et fait l’objet de missions spécifiques d’Interpol. L’Europe n’est pas en reste, puisqu’elle représente également une importante destination de viande d’animaux exotiques, souvent braconnée (« viande de brousse ») et d’espèces sauvages vivantes trafiquées.

Enfin, les élevages sont des zones à risque d’où peuvent émerger des agents pathogènes menaçant la santé publique. Il est vrai que cela est moins le cas en Europe, où l’utilisation des antibiotiques en élevage a nettement baissé (moins 18% entre 2011 et 2016). Il faut saluer là le volontarisme de la filière mais aussi la campagne menée au niveau de l’Union Européenne par la Direction Générale de la santé, qui a fait de la lutte contre l’antibio-résistance une priorité. Mais cela n’a pas écarté le risque d’émergence de « super-bactéries », provenant d’élevages intensifs où l’usage des mêmes antibiotiques que ceux utilisés dans le cadre de la médecine humaine demeure routinier.

La maltraitance animale est structurelle dans les parcs à engraissement intensifs, où les animaux sont confinés par milliers, parfois dizaines de milliers selon les espèces, au sein d’un seul bâtiment. Le confinement extrême dans lequel vivent ces animaux crée un environnement particulièrement accueillant pour les maladies et rend donc indispensable l’usage d’antibiotiques. À cela s’ajoute le manque de diversité génétique dans l’élevage industriel, qui rend les animaux particulièrement vulnérables aux épidémies.

Bien avant l’épidémie de coronavirus, la Chine avait déjà été le théâtre de campagnes d’abattage de masse de porcs atteints ou suspectés d’être atteints de la peste porcine africaine, un virus particulièrement meurtrier pour les cochons. À cette occasion d’ailleurs, certains s’étaient émus des conditions des procédures de mise à mort d’urgence en Chine, suspectées d’être particulièrement cruelles à l’égard des animaux.

Comment améliorer le traitement des animaux et dans le même temps réduire les risques sanitaires liés à l’élevage intensif ?

La voie réglementaire demeure la voie royale, évidemment. Idéalement donc, il faudrait rehausser les normes de bien-être animal dans la législation. Les normes de bien-être des animaux d’élevage sont fixées en droit européen au sein d’une panoplie de réglementation. En tout, six actes législatifs déterminent les normes minimales de bien-être animal dans le cadre de l’élevage dans l’Union européenne. Deux actes s’attachent à fixer des normes minimales de bien-être animal lors du transport et l’abattage. S’ajoute à cela trois autres textes qui fixent des normes concernant trois espèces en particulier : les poules pondeuses, veaux, porcs et les poulets dits « de chair ». Enfin, un texte général fixe les normes de bien-être pour l’ensemble des animaux d’élevage – y compris poissons, reptiles et amphibiens, élevés à des fins alimentaires ou autres.

Le confinement extrême dans lequel vivent les animaux d’élevage crée un environnement particulièrement accueillant pour les maladies (Crédits: Roger Cornfoot)

Les normes contenues dans ces textes sont malheureusement très peu ambitieuses : ainsi, l’utilisation de cages est toujours autorisée en droit européen dans le cadre de l’élevage des poules pondeuses, et à certains stades de la production pour les veaux et les truies gestantes. Certaines dispositions sont par ailleurs inapplicables, comme l’obligation de mettre à disposition la nourriture adéquate lors du transport de très jeunes animaux non sevrés. Sans même parler des dispositions de droit qui ne sont tout simplement pas respectées. Par exemple, le droit européen interdit aux exportateurs de transporter des animaux vivants à destination ou via des pays ne respectant pas les normes de bien-être animal fixée dans la réglementation européenne relative au transport des animaux. Pourtant, chaque année, des milliers d’animaux sont envoyés dans des pays en dehors de l’UE dont on sait que les infrastructures pour le transport d’animaux ne sont pas en conformité avec les normes européennes.

Il faudrait donc revoir en profondeur ces législations, de façon à assurer un niveau supérieur de bien-être pour les animaux d’élevage, mais aussi réduire les risques sanitaires et la pression sur les écosystèmes. La réduction de la densité sur les élevages (c’est-à-dire le nombre d’animaux ramenés sur la surface) serait une mesure allant dans ce sens. La Commission européenne s’est engagée à revoir au moins une partie de la législation dans le cadre du Pacte Vert européen, en évoquant la possibilité de réformer la réglementation sur les transports d’animaux vivants. À suivre, mais de façon générale, depuis la fin des années 2000, le législateur européen s’appuie davantage sur les initiatives volontaires des producteurs que sur une révision de la réglementation.

Comment alors les initiatives volontaires des producteurs peuvent-elles être encouragées et soutenues ?

En l’absence de tout espoir d’amélioration des standards en droit, l’information au consommateur offre une proposition intéressante comme levier de changement du traitement des animaux d’élevage.Cette information est délivrée à deux niveaux : lorsque le professionnel donne une information au consommateur, le plus souvent sur l’emballage du produit ; et entre les professionnels eux-mêmes, entre les acteurs des différents maillons de la chaîne de production (par exemple : entre l’éleveur et le transformateur), ou entre producteurs et acheteurs institutionnels (restauration collective et l’État agissant dans le cadre de la commande publique).

L’information au consommateur agit comme levier de changement des pratiques au sein de la filière de l’élevage en permettant l’expression de comportements de consommation (ou d’achat au sein de la chaîne de production) plus responsables vis-à-vis du bien-être animal.

Ainsi, l’on a pu assisté ces dernières années en France à une prolifération de cette information : les allégations relatives au bien-être animal prolifèrent dans les points de vente : « œufs fermiers », poules « élevées en plein air », veau « élevé sous la mère », « lait de pâturage », etc. L’année dernière, une étiquette bien-être animal a même été créée par une coalition d’associations de protection animale et en coopération avec la grande distribution. Parallèlement, la dimension du bien-être animal s’insinue par ailleurs de plus en plus dans le cahier des charges des labels « qualitatifs » historiques (ex : Label Bio, Label Rouge).

L’association que vous avez co-créée InfoTrack œuvre justement en faveur d’une meilleure amélioration de l’information au consommateur. Pouvez-vous nous en dire davantage sur la genèse de l’association et vos projets pour les mois à venir?

L'association InfoTrack est née à la suite d'un projet débuté en septembre 2017 hébergé au sein de la Clinique de l’École de droit de Sciences Po et faisant collaborer universitaires et étudiants. Le projet a été pensé par Aude-Solveig Epstein, maître de conférences en droit privé, qui a par la suite invité à collaborer Régis Bismuth, professeur à l’école de droit, et moi-même, alors tout juste diplômée d’un Master spécialisé en droit de l’animal. La première année, trois étudiants se sont joints au projet. Leur formidable travail nous a permis de remporter le prix Anthony Mainguené en 2018 et ainsi d’assurer sa pérennité par la création de l'association, le 15 janvier 2019. Notre équipe s’est alors élargie d’étudiants et d’experts.

Nous allons prochainement publier une liste de Principes directeurs pour assurer une information de qualité en matière de bien-être animal. Cette œuvre maîtresse nous a mobilisés ces trois dernières années.

Nous avons également comme projet de lancer une campagne de financement pour la suite. Nous souhaitons en effet nous atteler à l’analyse de l’ensemble des labels et étiquetage relatifs au bien-être animal au regard des Principes que nous avons mis sur pied, à commencer par les labels et étiquetages présents sur le marché agro-alimentaire français. À terme, ce projet s’élargirait à l’ensemble de l’UE, alors que les discussions dans le cadre du Pacte Vert européen parlent à ce stade de l’éventualité d’un étiquetage durable des produits alimentaires, voire de la création d’un label européen « bien-être animal » à l’image de l’étiquetage des produits biologiques.