Municipales : un scrutin piège pour En Marche ?
Les élections municipales de 2020 devaient être un test grandeur nature pour le mouvement des marcheurs. Faute de pouvoir investir un candidat dans les 36 000 communes de France et déstabilisée par l’impopularité grandissante du chef de l’État, la très jeune République en marche a connu des résultats décevants au premier tour. Entre approche "pragmatique", consistant à mêler investitures maison et soutiens à des élus jugés macron-compatibles, divisions spectaculaires et manque de figures locales, le parti présidentiel aborde le second tour lesté de grosses difficultés. Comment comprendre ces nouvelles alliances ? Quelle recomposition politique est attendue à l’issue de ce prochain scrutin ? Jérôme Sainte-Marie, politologue et président de Polling Vox, livre son analyse et ses pistes de réflexion à la rédaction d’Émile.
Alliances, fusions, frictions… Deux mois et demi après le premier tour, les tractations sont allées bon train avant la date butoir du 2 juin pour le dépôt des listes. Cela aboutit à un certain nombre de surprises, tel que le ralliement de Gérard Collomb au candidat LR à Lyon. À Nîmes, la tête de liste EELV se désiste en faveur de LREM. Comment analysez-vous ces alliances qui pourraient paraître illisibles pour les Français ? Que disent-elles des équilibres politiques dans notre pays ?
Ce long entre-deux tours des élections municipales illustre de manière parfois baroque l’émiettement de la vie politique française. À sa dualité puis à sa tripartition a succédé le choc de deux logiques, celle de l’affrontement entre « progressisme » et « populisme », le plus structurant dans l’opinion, et celle d’un combat entre la gauche et la droite, le seul vraiment installé dans le personnel politique au niveau local. Cette fragmentation de l’offre politique tient à la pluralité des oppositions au macronisme, ce que le comportement des groupes illustre à l’Assemblée nationale. Certains y verront le reflet d’une société française qui serait de plus en plus complexe.
Je crois que c’est exactement le contraire, et que la simplification de la vie sociale heurte de plein fouet les anciennes alliances partisanes et entraîne une phase transitoire de dispersion. Par ailleurs, deux formations jouent un rôle moteur dans cette pagaille municipale. D’abord LREM, qui réunit des élus ayant appartenu aux deux camps principaux de « l’ancien monde » et qui donc se prête à des montages originaux, ensuite EELV, dont certains leaders souhaitent se situer en dehors des clivages partisans et qui sont donc ouverts à ce que l’on pourrait aussi bien appeler des formules de rassemblement modernes que des combinaisons politiques immémorielles.
On observe que LREM se trouve en troisième position dans beaucoup de communes. Finalement, ces municipales signent-elles le grand retour du clivage gauche-droite traditionnel ? Et que penser de l’essor attendu de l’écologie politique lors de ces élections ?
Les élections municipales étaient un test important pour LREM, on allait savoir si ce mouvement formé ex nihilo autour d’une candidature présidentielle se transformerait en un parti enraciné dans l’humus territorial de notre démocratie. Cela semble mal engagé, et cela aura des conséquences dès septembre, lors des élections sénatoriales. Le renversement est spectaculaire par rapport aux élections législatives de 2017, lorsque des élus appréciés et compétents, de gauche comme de droite, avaient été balayés par la vague macroniste.
L’essor du vote écologiste, un an après la percée de la liste Jadot aux européennes, contient deux enseignements, au-delà bien entendu de la préoccupation environnementale dont il témoigne. Tout d’abord, cela signifie qu’une partie de la population ne souhaite pas s’inscrire dans le conflit vertical qui caractérise ce quinquennat, c’est-à-dire selon moi le choc entre un bloc élitaire et un bloc populaire. Ce sont souvent des membres des classes moyennes qui votent EELV, plutôt diplômés mais pas forcément dotés de revenus élevés. En langage classique, et sans que cela soit péjoratif, il s’agit de la petite bourgeoisie. Le vote écologiste lui évite d’avoir à se classer, si j’ose dire. Ensuite, on peut aussi interpréter ce choix comme une réticence à retrouver le clivage ancien entre la gauche et la droite. Il m’apparaît donc comme témoignant d’un double refus.
Le Rassemblement National, formation d’opposition vigoureuse sur le plan national, semble rencontrer plus de difficultés à s’insérer au niveau local. En effet, si le parti de Marine Le Pen a conforté sa position lors du premier tour des municipales dans les communes qu’il détenait déjà, ses résultats sur le reste du territoire paraissent décevants. S’agit-il vraiment d’une contre-performance ?
Pour les élections municipales, le Rassemblement National souffre de deux difficultés principales. La première est de nature sociologique. Il exerce une fonction tribunitienne pour les catégories populaires - dans les intentions de vote pour l’élection présidentielle publiées par l’IFOP, la moitié des ouvriers et des employés voteraient aujourd’hui pour Marine Le Pen dès le premier tour - or celles-ci sont toujours davantage chassées des villes par l’évolution des prix de l’immobilier. Dès lors, il a été établi en 2019 que la liste Bardella réalisait un score de 14% seulement dans les communes de plus de 100 000 habitants, au lieu de 28% dans celles de moins de 3500 habitants, là où l’offre partisane est pratiquement inexistante lors des municipales. Ce handicap est aggravé par la difficulté persistante que le Rassemblement National rencontre pour constituer des listes dans les villes moyennes et les bourgs, du fait de son image toujours très clivante. On peut ajouter que les conditions très particulières du premier tour, le 15 mars dernier, semblent lui avoir nui : la très forte abstention, 55%, a accru le poids des seniors dans les suffrages exprimés, lesquels votent le moins pour le RN.
Il reste que huit de ses douze équipes municipales ont été reconduites dès le premier tour, et que contrairement à des expériences précédentes, sa gestion dans les communes conquises a été jugée correcte. Le grand enjeu pour le RN au second tour est bien connu : Louis Alliot emportera-t-il Perpignan, ville de 120 000 habitants, contre un « front républicain » constitué autour du maire sortant LR, Jean-Marc Pujol ? Qu’il gagne ou qu’il perde, les conséquences nationales en seront significatives, bien au-delà de cette ville.
Si la gestion de la crise sanitaire par le gouvernement est très sévèrement jugée par les Français, la popularité d’Édouard Philippe est en hausse. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?
La dissociation, au profit du Premier ministre, de la courbe de popularité des deux têtes de l’exécutif est devenue une habitude depuis le mandat de Nicolas Sarkozy. De fait, ce dernier concentrait les critiques des opposants, permettant à François Fillon d’apparaître comme plus modéré, moins clivant, voire plus responsable. D’une manière étonnante, le chef de l’État n’est plus vraiment identifié à l’État, rôle qui semble incomber désormais au chef du gouvernement. Le passage au quinquennat ne me paraît pas décisif, même s’il place plus rapidement le président de la République dans la situation d’avoir à se soucier de sa réélection.
Pour ne parler que d’Emmanuel Macron, il pâtit d’être enclavé dans son électorat de premier tour, tandis qu’Édouard Philippe bénéficie aussi d’une certaine influence parmi l’électorat de droite classique, celui qui était resté fidèle à François Fillon en 2017 mais qui ensuite s’est largement rallié au parti de l’ordre et de la réforme tel que représenté par la liste Loiseau en 2019. Il reste que face à l’épreuve du Covid-19, et sans préjuger de la justesse de la politique suivie par le gouvernement, le Premier ministre s’est imposé par un style retenu et rassurant, là où le président de la République s’est montré aussi expansif que parfois déroutant. À ce stade, Édouard Philippe profite aussi de deux éléments auprès de l’opinion : il ne lui paraît pas devoir être candidat en 2022, et en plus la rumeur circule d’une certaine distance entre le chef de l’État et lui. Devant la grande impopularité que connaît Emmanuel Macron depuis deux ans, ceci constitue plutôt un atout.