Le billet de Pascal Perrineau - "La division des socialistes est une affaire ancienne"
Le dernier débat de la primaire de la « belle alliance populaire » organisée par le Parti socialiste a montré l’ampleur du clivage entre les deux cultures qui traversent le Parti. Manuel Valls et Benoît Hamon ont, dans leurs échanges souvent vifs, montré qu’ils n’étaient à peu près d’accord sur rien. Ni sur l’économie, ni sur le travail, ni sur la laïcité, ni sur la santé, ni sur l’état d’urgence… Cette fracture n’est pas si nouvelle qu’on veut bien le dire. Dès les débuts du socialisme partisan en 1905 la synthèse jaurésienne s’opposait à la rupture guesdiste. Quelques décennies plus tard, en 1936, le compromis prôné par Léon Blum entrait en dissonance avec la fuite en avant du « Tout est possible ! » prôné par le leader de la « gauche révolutionnaire » Marceau Pivert. Dans l’immédiat après-seconde guerre mondiale, le modérantisme de Léon Blum se brisera sur le gauchisme verbal de Guy Mollet. Enfin, avec François Mitterrand, les notions de « première gauche » et de « deuxième gauche » vont s’installer et vont permettre la « démonisation » de la seconde par la première.
La division des socialistes est donc une affaire ancienne mais qui était, jusqu’alors, la plupart du temps, surmontée par l’existence d’un leader (Jaurès, Blum, Mitterrand) qui s’imposait et imposait, au prix parfois d’une grande ambiguïté, la fameuse « synthèse ». Aujourd’hui les deux courants sont toujours là mais leur opposition est frontale sans qu’aucun leader légitime ne puisse les concilier et les faire cohabiter. Le choc entre ces deux cultures s’est exprimé depuis deux ans au sein du groupe parlementaire où les « frondeurs » ont mené la vie très dure au gouvernement de Manuel Valls. Ce dernier, par son tropisme libéral sur le plan économique et sa culture républicaine très « verticale », a pris à rebrousse-poil la culture du « noyau dur » des électeurs de gauche qui se sont déplacés à l’élection primaire. Ce qui reste du « peuple de gauche » est encore marqué aujourd’hui par une culture de l’alternative etpar une volonté de réenchantement du réel. Cette culture devrait peser de tout son poids dans la décision que les électeurs de gauche prendront au soir du dimanche 29 janvier. Mais, comme le disait Jean Jaurès, en 1903, dans un discours aux lycéens d’Albi : « le couragec’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel ». On peut avoir l’impression dans le choc des deux finalistes de la primaire de gauche que les deux impératifs fixés par le père-fondateur du socialisme français se sont déconnectés et peut-être définitivement dissociés.