Analyse - Les affaires au cœur de l’élection présidentielle : quelles conséquences sur l’électorat ?

Analyse - Les affaires au cœur de l’élection présidentielle : quelles conséquences sur l’électorat ?

François Fillon, Marine Le Pen et Emmanuel Macron : trois candidats à l’élection présidentielle sont touchés directement ou indirectement par des affaires judiciaires. Quel impact sur les intentions de vote et sur la volatilité des électeurs ? Adélaïde Zulfikarpasic, directrice de BVA Opinion, nous livre son analyse. 

C’est un fait inédit dans l’histoire de la Vème République : l’un des candidats à l’élection présidentielle – et pas n’importe lequel puisqu’il s’agit du représentant de l’une des plus grandes familles politiques – est mis en examen et se présentera ainsi au suffrage des électeurs le 23 avril prochain. La candidate du Front national se trouve également en prise avec la justice, mêlée à plusieurs affaires dont celle des assistants parlementaires européens. Enfin, bien qu’Emmanuel Macron ne soit pas directement visé, le parquet de Paris a ouvert lundi une enquête préliminaire sur des soupçons de favoritisme autour de l’un de ses déplacements à Las Vegas en janvier 2016. Même si les Français ont développé un certain cynisme sur les questions d’intégrité de la classe politique, il est difficile d’imaginer que l’ampleur prise par les affaires judiciaires dans cette campagne puisse rester sans effet sur l’opinion et sur les électeurs.

Même si la situation est encore susceptible d’évoluer au cours des prochaines semaines, il est tout d’abord frappant de constater que les conséquences directes de ce climat affairiste sur les candidats et leur dynamique demeurent finalement assez limitées.

François Fillon est celui qui a le plus pâti de cette séquence, pour ne pas dire le seul. Il faut dire que la couverture médiatique de ce que l’on a d’abord appelé de #PenelopeGate avant de devenir le #FillonGate est sans commune mesure avec le sort réservé aux autres candidats et notamment la présidente du Front national. Mais si cette affaire a eu des conséquences indéniables sur sa dynamique électorale, celle-ci ne s’est pour autant pas totalement effondrée. Les chiffres sont, à cet égard, assez parlants : François Fillon était crédité de 25% des intentions de vote au mois de janvier, avant le début de l’affaire. Son socle électoral s’est peu à peu effrité pour tomber à son plus bas niveau (19%) juste après sa conférence de presse du 1er mars au cours de laquelle il a annoncé sa convocation par les juges en vue d’une probable mise en examen. Dès le rassemblement du Trocadéro, le socle électoral du candidat dela droite et du centre s’est partiellement reconstitué, pour atteindre 20% à 21% selon les enquêtes. Indubitablement, François Fillon y a laissé des plumes et a surtout perdu sa place de second, promis à un duel avec Marine Le Pen au second tour, au profit d’Emmanuel Macron. Ce dernier le devance désormais de 5 ou 6 points, selon les enquêtes.

Mais il est assez frappant de constater que François Fillon n’a finalement perdu « que 5 points », ce qui peut paraître faible compte-tenu de l’ampleur des faits. Plusieurs explications à cela : tout d’abord, les sympathisants de la droite traditionnelle et notamment LR n’ont pas d’autre candidat. S’ils veulent rester fidèles à leur ligne politique et à leurs valeurs, ils n’ont pas tellement d’autre choix que de voter pour François Fillon (seule une partie des Juppéistes peut être tentée par un vote en faveur d’Emmanuel Macron, tout comme une partie des Sarkozystes peut basculer vers Marine Le Pen). Deuxième explication : l’électorat de droite est classiquement assez légitimiste. Or, François Fillon a largement remporté la primaire de la droite et du centre. Enfin, les électeurs de droite semblent moins sensibles à la question de la probité des candidats que la moyenne des Français : 5ème sujet cité par les électeurs lorsqu’ils évoquent les sujets d’actualité dont ils ont tenu compte pour faire leur choix de vote, il n’est cité qu’en 7ème position par les électeurs de François Fillon, 10 points en dessous de la moyenne (selon la dernière enquête BVA-Salesforce pour la Presse Régionale et Orange du 10 mars dernier). Reste à voir comment évoluera la situation de François Fillon dans les prochains jours, à présent que sa mise en examen est effective, même si on peut émettre l’hypothèse qu’il a « désamorcé la bombe » avec sa conférence de presse du 1er mars.

Pour Marine Le Pen, la situation est différente. Sa dynamique électorale ne semble en rien avoir été affectée par les affaires dans lesquelles elle est citée. Créditée de 26% des intentions de vote selon la dernière enquête BVA, elle fait toujours la course en tête, à égalité avec Emmanuel Macron. La logique de ses électeurs diffère de celle des électeurs de François Fillon. Pour partie, ils adhèrent à la thèse du complot. Pour les autres, quand bien même les affaires se révèleraient vraies, leur candidate n’avait pas tellement le choix : face à un système qui ne l’aide pas, elle n’a d’autre choix que de se servir du système ! A l’image de cet électeur FN, membre de notre communauté POP2017, qui nous dit en substance : « Les banques refusent de lui prêter de l’argent pour financer sa campagne, comment voulez-vous qu’elle fasse autrement ? » Ce sentiment est accentué par le fait que ce soit de l’argent « européen » qui est détourné, ce qui ne les choque pas, même s’ils le financent comme contribuables : c’est en quelque sorte moins répréhensible à leurs yeux, car cela concerne l’Union Européenne ; or, les électeurs FN rejettent tout ce qui a trait à cette institution.

Enfin, il est encore trop tôt pour mesurer l’impact éventuel de l’enquête ouverte en début de semaine sur la dynamique d’Emmanuel Macron, sachant par ailleurs que les faits ne sont pas du même ordre et ne le mettent pas en cause directement. Observons par ailleurs que les candidats de la gauche n’ont en rien bénéficié des déboires des candidats de la droite.

En revanche, une chose est certaine : cette séquence a eu un effet délétère sur la perception, déjà très négative auparavant, qu’ont les Français de la classe politique. Elle a creusé le fossé déjà très grand entre les électeurs et leurs représentants. Deux indicateurs témoignent de cette mise à distance : entre la fin du mois de janvier (début de l’affaire Fillon) et le début du mois de mars (fin du suspense sur l’éventuel recours à un « plan B » à droite), l’intérêt pour l’élection et l’intention de participation ont enregistré des baisses continuelles.

Ainsi, début mars, 72% des Français se déclaraient intéressés par l’élection présidentielle : ce score a connu une baisse de 3 points en une semaine et de 6 points en un mois. Désormais, l’indicateur d’intérêt semble s’être stabilisé mais il se situe au même niveau que ce que l’on mesurait en avril dernier, soit un an avant l’élection ! Cette évolution confirme le caractère inédit de cette campagne et traduit le désarroi des électeurs : habituellement, cet indicateur progresse au fur et à mesure que le scrutin approche. C’est l’inverse qui s’est produit ici, provisoirement, espérons-le.

Parallèlement, l’intention de participation s’est également orientée à la baisse concomitamment à l’affaire Fillon : entre décembre et janvier, 78% des électeurs se déclaraient certains d’aller voter au premier tour de l’élection présidentielle le 23 avril prochain. Cette proportion s’est émoussée progressivement, pour passer à 74% le 23 février et tomber à 72% juste après la conférence de presse de François Fillon le 1er mars. Elle est remontée à 74% le 10 mars, après l’épisode « Trocadéro » et le soutien de la droite à son candidat. En 2012, à la même période, un sondage LH2 indiquait une intention de participation déclarée à 81% (pour 79,5% de participation effective au 1er tour 2012) contre 74% seulement aujourd’hui, ce qui peut laisser craindre une participation aussi faible qu’en 2002 (71,6% au 1er tour 2002). Reste à savoir si ce niveau de participation – plus faible qu’habituellement pour une élection présidentielle – va se confirmer. La tournure que prendra la campagne dansles cinq semaines qui nous séparent du 1er tour sera, à ce titre, déterminante.

Enfin, aujourd’hui, 4 Français sur 10 ayant prévu de se déplacer pour aller voter le 23 avril prochain n’expriment pas d’intention de vote ou déclarent pouvoir encore changer d’avis. En 2012, à la même période, ils n’étaient que 3 sur 10. On observe donc une incertitude accrue de l’électorat, couplée à une forte volatilité. Elles sont caractéristiques de cette élection dans laquelle tout peut encore arriver.

Les affaires ne sont pas seules en cause dans cette situation inédite ou du moins pas directement : l’absence de débats de fond et de discussions autour des programmes des candidats qui en découle (les affaires ayant éclipsé tout le reste) laisse un goût amer aux électeurs et les plonge dans une grande perplexité. Comment faire un choix éclairé dans ce contexte ? Comment désigner un président en l’absence d’un « contrat » clairement établi entre les deux parties ? Cela reviendrait presque à lui signer un blanc-seing.  Le débat télévisé de lundi prochain pourrait jouer un rôle déterminant, selon sa capacité à réactiver ou non l’intérêt des électeurs en mettant les affaires de côté pour aborder – enfin ! – les sujets de fond. Quoi qu’il en soit, il reste moins de 40 jours pour donner envie aux Français de s’intéresser davantage à cette élection, à défaut de ré-enchanter la campagne. Il est trop tard pour cela.

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