L'infiltré - Au coeur du naufrage
Il y a quelques jours, l’ancien ministre socialiste des PTT, Louis Mexandeau, avait régalé les lieux d’une chanson paillarde à la gloire de Pénélope Fillon. De sa voix de stentor, il avait fait vibrer les murs de la buvette de l’Assemblée nationale et rire toutes les tables, députés LR compris.
Mais c’était il y a deux semaines, autant dire une éternité.
Ces derniers jours, on croit plutôt entendre jouer l’orchestre du Titanic en entrant dans la salle à l’heure du déjeuner.
Les députés qui reviennent encore de leur circonscription malgré la suspension des travaux parlementaires pensent trouver ici le réconfort des « copains » et même des adversaires, de ceux qui partagent le même quotidien, le même monde.
En réalité, ils y rencontrent, en croisant le regard de leurs semblables, le désespoir de ces futurs naufragés qui savent bien qu’il n’y aura pas assez de canots pour sauver tout le monde.
Comme sur le pont d’un bateau qui prend l’eau de toutes parts, ils commentent, interdits, la montée des périls et l’imminence de la catastrophe, tout en se répétant que « non, ce n’est pas possible, elle ne peut pas gagner ».
Ils savent pourtant mieux que personne qu’en politique rien n’est impossible. C’est d’ailleurs la seule règle qui existe. Avec plus de 25 % des voix au 1er tour, elle a déjà fait la moitié du chemin et il y avait bien des plafonds de verre à bord du Titanic...
Alors, comme des passagers de 1ère classe réveillés en pleine nuit, comme des somnambules, ils continuent à avancer et à commenter le naufrage. Sans rien pouvoir faire d’autre.
A droite, ils assistent au naufrage d’un homme. Un homme qui n’en finit pas de se contredire : tantôt demandant à la justice d’aller vite, tantôt lui reprochant d’être trop rapide, tantôt acceptant de se soumettre aux juges, tantôt criant au complot et à l’assassinat.
C’est peu dire que les députés LR sont chaque jour un peu plus surpris de la stratégie de défense de leur candidat. Qu’il ait embauché son épouse, ce n’est pas eux qui iraient l’en blâmer. Ils en ont vu d’autres...
Mais chacun s’interroge. « En bientôt deux mois d’affaire, il n’a pas pu trouver une trace de son travail auprès de lui ? Au moins un mail, une note, à brandir devant les journalistes... S’il n’a même pas ça, comment imaginer qu’on puisse le croire ? Comment imaginer qu’un juge puisse le croire ? »
Les plus durs se sont faits leur idée : « Il ne sait plus ce qu’il dit ». Les plus indulgents plaignent Pénélope : « La pauvre... Quand je pense qu’elle n’était même pas au courant... ». Les plus cyniques ont déjà enjambé la présidentielle, en campagne pour leur réélection : « Surtout qu’il ne lui prenne pas l’idée de venir chez moi ». Et les plus cultivés citent Jean-Philippe Smet. « Quand il répète : ‘Je ne me rendrai pas’, on dirait un forcené. Cette histoire ressemble de plus en plus au Requiem pour un fou de Johnny. »
Et, quand après avoir évoqué la figure exemplaire du Général de Gaulle (on se souvient de la phrase « qui peut imaginer... », devenue depuis le dernier hashtag à la mode sur les réseaux sociaux), il en appelle maintenant au meeting insurrectionnel contre les juges, les journalistes et ce « coup d’Etat institutionnel », certains tombent à la renverse. « En quelques mois, résume l’un de ceux qui a le sens des formules historiques, Fillon est passé du 18 juin 40 au 6 février 34. »
Mais c’est aussi un naufrage collectif auquel on assiste, celui d’une famille politique. La droite s’épuise dans ce combat perdu d’avance contre les institutions. Elle épuise ses électeurs et elle épuise l’idée même d’une alternance possible.
Dès lors, il ne reste que deux solutions possibles : le « il faut que tout change pour que rien ne change » d’Emmanuel Macron ou le saut dans le vide avec Marine Le Pen.
Car la gauche, persuadée qu’elle est de ne pouvoir gagner, a décidé de participer également à ce naufrage collectif. Pour cela, rien de plus simple, il lui suffit de continuer à faire ce qu’elle sait faire le mieux : touiller sa petite soupe sur son petit feu.
Après avoir vainement attendu que Jean-Luc Mélenchon sorte de sa mégalomanie légendaire (et désormais hologrammique) pour accepter de discuter avec lui, Benoît Hamon s’est immédiatement jeté, à titre de décompensation sans doute, dans les bras de Yannick Jadot. Le plus urgent était en effet de réserver 43 circonscriptions aux écologistes et une à Cécile Duflot qui allait pourtant répétant partout qu’elle serait à Pôle emploi dans quelques mois. Au moins, si elle est réélue, il y aura une demandeuse d’emploi en moins dans ce pays.
Et puis, parce qu’il ne manquait plus que lui, Manuel Valls a fait son grand retour. Il manquait trop à la France, à lui-même et à ses amis. En les réunissant mardi dernier à l’Assemblée nationale, il a fait découvrir à Benoît Hamon les joies de la contestation interne. Il fallait bien que dans cette histoire ce naufrage, il y ait aussi un arroseur arrosé.