Tribune - Emmanuel Macron, révélateur du vote de classe

Tribune - Emmanuel Macron, révélateur du vote de classe

Dans une tribune publiée le 28 mars dernier dans Le Figaro, Jérôme Sainte-Marie analyse les données disponibles sur les intentions de vote. Selon le politologue, la nouvelle offre politique incarnée par Emmanuel Macron serait de nature à revivifier et accentuer les clivages sociaux que son discours prétend transcender.

L’afflux éclectique autour d’Emmanuel Macron est logiquement perçu comme un affaiblissement du clivage gauche-droite. De fait, l’éventualité d’un duel de second tour entre l’ancien ministre de l’économie et Marine Le Pen serait le signe que lui succèderait un conflit ouvert sur la mondialisation, entre ceux qui l’estiment inévitable et bienfaitrice, et d’autres qui pensent possible et nécessaire de s’en protéger. Pour autant, le phénomène Macron annonce-t-il la fin du vote de classe, originellement puissant dans l’opposition entre gauche et droite ? L’analyse des données disponibles révèle bien au contraire que la nouvelle offre politique qu’il incarne revivifie et accentue les clivages sociaux que son discours prétend transcender.

Cette question du vote de classe ne se réduit pas à de simples différences de niveau dans le choix électoral exprimé selon la catégorie sociale dans laquelle on situe les individus. La pluralité objective des positions dans la hiérarchie professionnelle, celle des revenusou celle du patrimoine, ne devient un puissant facteur politique que lorsqu’elles son perçues par les intéressés comme les assignant à des groupes différents. C’est pourquoi il faut aussi considérer la classe sociale subjective, c’est à dire le sentiment que l’on peut avoir d’appartenir à un des grands ensembles identifiés au sein de la société, comme par exemple les catégories populaires ou bien les gens aisés. C’est ce que permet la dernière enquête électorale de l’institut BVA pour Orange et la Presse quotidienne régionale.

Tout d’abord, voit-on apparaître d’autres clivages décisifs, par exemple, compte tenu de la jeunesse d’Emmanuel Macron, l’âge des électeurs ? Rien de tel, au contraire de ce que l’on constate pour François Fillon, qui réalise un score six fois supérieur chez les retraités que parmi les électeurs de moins de 35 ans. Pourquoi alors a-t-on souvent l’impression d’une proximité particulière des jeunes pour Emmanuel Macron ? Tout simplement parce que ce choix est effectivement hégémonique parmi certains d’entre eux : 38% des étudiants et élèves en âge de voter le choisirait, au lieu de 25% de l’ensemble 18-24 ans, ce qui signifie que le vote En Marche ! est nettement plus bas parmi les jeunes en apprentissage, en activité, ou bien en recherche d’emploi. Le destin que des derniers anticipent pour eux-mêmes est visiblement différent de la jeunesse toujours scolarisée à cet âge. Il y a là, masqué par une apparence générationnelle, le premier indice d’un puissant clivage social.

Cette impression se renforce lorsque l’on s’intéresse à la catégorie socio-professionnelle des électeurs. Alors que le niveau moyen d’intentions de vote pour Emmanuel Macron est de 26% dans cette enquête, il n’est que de 17% parmi les ouvriers, et de 42% parmi les cadres supérieurs. Le contraste est vertigineux avec Marine Le Pen, dont le score est de 51% dans la première catégorie et de 12% dans la seconde. Encore ne s’agit-il que des intentions de vote pour le premier tour. Par ailleurs, si Emmanuel Macron est devancé parmi les retraités par François Fillon, il fait jeu égal avec lui chez les personnes travaillant à leur compte, Marine Le Pen arrivant en tête dans cette catégorie qui compte les professions libérales, mais aussi les artisans et commerçants.

L’électorat Emmanuel Macron est donc socialement typé, et correspond à une France qui aborde la mondialisation libérale avec confiance. Non seulement la situation objective de ses électeurs est, en moyenne, relativement avantageuse, mais leur positionnement subjectif à cet égard concorde. Ainsi, le niveau des intentions de vote en faveur du leader d’En Marche ! frôle les 40% chez ceux qui pensent appartenir aux classes « privilégiées », « aisées », ou « moyennes supérieures », ensemble qui représente un peu moins du tiers de l’électorat. Parmi les « classes moyennes modestes », où se classent spontanément près de la moitié des Français, son score serait aujourd’hui de 22%. Et parmi les « classes populaires » ou « défavorisées », il rassemblerait moins de 15% des électeurs. A des niveaux bien sûr différents, cette structure de vote se rapproche de celle concernant François Fillon. A l’inverse, le contraste est brutal avec Marine Le Pen, qui, par exemple, réunit sur son nom 39% des électeurs s’identifiant aux « classes populaires », au lieu de 16% seulement de ceux qui pensent appartenir aux « classes moyennes supérieures » ou « aisées ».

Que l’on considère la classe sociale subjective ou la catégorie socio-professionnelle telle que la définit l’INSEE, le premier tour de l’élection présidentielle creuse dans l’électorat des reliefs puissants.  Aussi, dans sa masse, le choix politique des Français n’est-il pas devenu un vote aérien, détaché de toutes contingences matérielles, suivant le souffle de la mode et du caprice individuel. Il n’est pas davantage celui d’un électeur-consommateur, dont l’apparition est pourtant annoncée depuis des décennies. Ou bien, si l’on tient à cette métaphore du consommateur, celui-ci a des choix très dépendants de son budget personnel.

La modernité électorale doit être cherchée ailleurs. La gauche et la droite sont de vieux massifs électoraux érodés par des décennies de pouvoir national ou local, au point que s’estompaient les saillances du vote anciennement liées au conflit du travail et du capital. Cette tendance est aujourd’hui inversée parle surgissement successif du vote pour Marine Le Pen et pour Emmanuel Macron, qui ensemble mobilisent plus de la moitié des intentions de vote de premier tour. En centrant leur projet sur deux visions antagonistes du rapport à la mondialisation, ils interpellent les électeurs sur leurs ressources pour s’y confronter. Ils proposent tous deux une offre idéologique nouvelle, également radicale, qui brise les compromis de la gauche comme de la droite autour du libéralisme économique et culturel. Ce faisant, ils réactivent le vote de classe. La seule surprise tient à ce que celui-ci, aujourd’hui, ressemble beaucoup à l’ancien.

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