Analyse - Les "primo-votants" de 2017, entre défiance et recomposition politique

Analyse - Les "primo-votants" de 2017, entre défiance et recomposition politique

Ils ont l'occasion de voter pour la première fois, mais se déplaceront-ils jusqu'aux urnes ? Pour qui envisagent-ils de voter ? Que pensent-ils de la scène politique française ? Anne Muxel, directrice de recherches CNRS en science politique au CEVIPOF, nous offre une photographie détaillée des "primo-votants" de 2017, initialement publiée sur le site The conversation.

Chaque nouvelle élection est l’occasion d’un renouvellement générationnel du corps électoral. Les jeunes primo-inscrits sur les listes électorales qui pourront voter pour la première fois à une élection présidentielle en 2017 représentent 3,3 millions de nouveaux électeurs potentiels, soit 7,4 % de l’ensemble du corps électoral. 

Des citoyens critiques

Ces primo-votants potentiels préfigurent les citoyens de la France de demain. Ils font leurs premiers pas en politique dans un contexte de profonde recomposition du paysage politique et d’indéniables mutations des usages démocratiques. Ils sont porteurs, souvent en les amplifiant, des changements qui opèrent au cœur même de la citoyenneté contemporaine.

Enfants de la crise de la représentation politique, ils font leurs armes de citoyens dans une conjoncture politique et sociétale où se combinent une forte défiance institutionnelle et un intérêt pour la chose publique et même politique, où l’affaiblissement de la norme civique du devoir de voter laisse une plus grande part à l’abstention devenue plus légitime, où enfin la protestation dans les urnes comme dans la rue fait partie intégrante de la panoplie du citoyen.

Bref, leur socialisation politique s’établit à partir d’un triptyque caractéristique – défiance, intermittence du vote, protestation – qui configure leurs attitudes politiques comme leurs comportements électoraux au sein d’un modèle de citoyenneté à la fois plus individualisé, plus expressif et plus critique.

Ils souscrivent aussi à une demande générale de démocratie directe. Une large majorité considère que « la France pourrait être mieux gouvernée si l’on avait davantage recours au référendum pour que les citoyens aient le dernier mot » (63 %) et que « le vote blanc n’est pas assez pris en compte » (69 %) (Enquête ENEF 2017 du CEVIPOF, vague 9). Mais ils sont aussi moins favorables que leurs aînés à penser qu’il serait salutaire pour le pays de « rendre le vote obligatoire » (45 % contre 51 %). Cela mérite d’être noté.

Tout autant qu’un devoir le vote est aussi un droit. Y est associé pour eux le droit de ne pas voter.

Un faible désir de participation

Ils abordent l’élection présidentielle dans un climat de profonde déception envers l’exécutif. François Hollande avait fait de la jeunesse le cœur de cible de sa campagne. Cinq ans plus tard, les deux tiers des jeunes (66 %) considèrent que la situation du pays s’est « dégradée » depuis l’arrivée au pouvoir de François Hollande (69 % de l’ensemble des Français) (Enquête ENEF du CEVIPOF, vague 12). L’ensemble des chiffres mentionnés dans cet article provient de l’analyse de la vague 12, mi-mars 2017.

Bien qu’assez largement intéressés par l’élection présidentielle (73 %), les primo-votants ne manifestent pas de réels signes de mobilisation pour la campagne telle qu’elle se déroule. Tout se passe comme si celle-ci ne déclenchait pas un désir de participation particulier. Le sismographe de l’intention de participer reste assez plat sur la durée, et semble s’infléchir à l’approche de la présidentielle : 54 % déclaraient être certains d’aller voter lors de la vague 8 de l’ENEF 2017 en novembre 2016, 56 % en janvier lors de la vague 9, et 51 % le sont en vague 12, soit au début du mois de mars 2017. Chez leurs aînés, l’intention de participer se situe entre 10 et 15 points en moyenne au-dessus (66 % mi-mars), mais on observe une même tendance à la démobilisation (- 2 points en deux semaines).

Les primo-votants tentés par l’abstention au premier tour expriment en majorité une abstention de nature politique. Ils mettent en avant leur insatisfaction envers l’offre électorale (48 %) et une volonté de « manifester leur mécontentement » (31 %). Un petit tiers (31 %) exprime un doute sur la capacité de l’élection à changer réellement les choses.

Près d’une moitié d’indécis

Devant les choix à faire pour le premier tour, leur perplexité, à l’instar de celle des Français, est assez largement partagée. Même parmi ceux qui se disent certains d’aller voter, une moitié (48 %) reconnaît pouvoir encore changer d’avis. Et ce sont les étudiants qui se montrent en la matière plus indécis que les jeunes actifs (54 % contre 44 %).

Alors que l’intérêt pour l’élection concerne l’ensemble des primo-votants sans distinction, le niveau d’abstention potentielle n’est pas le même entre les étudiants (42 %) et les jeunes actifs (51 %). Les facteurs sociologiques de l’abstention liés aux conditions d’insertion socioprofessionnelle et au niveau de diplôme créent des écarts bien repérés. Néanmoins, la tentation du retrait de la décision électorale reste présente même pour les plus diplômés.

Pour rappel, lors du premier tour de l’élection présidentielle de 2012, 32 % des étudiants s’étaient abstenus. L’abstention de nature politique s’inscrit dans un profond renouvellement des usages comme des significations du vote. Et cela est perceptible chez les tout jeunes électeurs.

Marine Le Pen, devant Emmanuel Macron

Parmi les primo-votants, certains d’aller voter, et formulant un choix, un quatuor de candidats arrive en tête : Marine Le Pen obtiendrait 29 % des voix, Emmanuel Macron 27 %, tandis que Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon en récolteraient chacun 15 %. À la différence de leurs aînés, les primo-votants écartent d’entrée de jeu la candidature de François Fillon (8 %).

Les choix de vote recoupent des fractures sociales et culturelles au sein de la jeunesse. Le vote frontiste enregistre des écarts importants entre la jeunesse étudiante (24 %) et la jeunesse au travail (44 %). Mais un quart de suffrages parmi les étudiants n’est pas rien et témoigne de l’attrait de Marine Le Pen dans des segments diversifiés de la jeunesse française.

Reste une ligne de partage assez nette selon le genre. Alors que 34 % des jeunes hommes pourraient voter pour la candidate frontiste les jeunes femmes ne sont plus que 25 % dans les mêmes dispositions. Benoît Hamon attire un peu plus les étudiants que les actifs (22 % contre 16 %). Quant à Emmanuel Macron, pour l’instant il rassemble davantage et capte les voix de primo-votants venant de tous les horizons.

Il faut prendre ces chiffres avec précaution tant l’incertitude électorale reste forte. En définitive, les nouveaux entrants dans l’arène électorale ne sont pas très différents de leurs aînés, à ceci près, et ce n’est pas anodin : la gauche semble résister mieux en leur sein et capitalise tous candidats confondus un tiers de leurs suffrages (33 % contre 25 % dans l’ensemble de l’électorat), la droite de gouvernement incarnée par François Fillon se trouve marginalisée, et l’abstention pourrait en bout de course les concerner davantage.


Article original publié sur The Conversation

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