L'histoire de l'Élysée, de la monarchie à la Ve République
La monarchie, l’Empire, la République… Le palais de l’Élysée a traversé les grandes périodes de notre histoire politique. Il a été façonné par le temps, mais aussi par les personnes qui y ont résidé. L’historien Jean Garrigues, auteur de deux ouvrages sur l’Élysée et les présidents français, nous offre une plongée historique, du XVIIIe siècle à nos jours, pour connaître l’évolution de ce lieu emblématique et comprendre le rôle joué par le palais de l’Élysée dans la vie politique française.
« La place est bonne. Malheureusement, il n’y a pas d’avancement », s’amusait le bon président Doumergue, locataire de l’Élysée de 1924 à 1931. C’était un temps où le chef de l’État, désigné par la majorité des députés et des sénateurs, n’était pas ce monarque républicain tout-puissant dont l’habit de lumière a été taillé sur mesure pour le général de Gaulle.
Depuis 1958, le président de la République n’est pas seulement l’incarnation officielle de la nation rassemblée mais il est aussi et surtout celui qui fixe les grandes orientations de la politique française, et de fait celui qui gouverne tout. C’est pourquoi l’Élysée est le point de mire de tous les regards, le Graal des ambitieux, le nirvana des hommes de pouvoir. Mais, une fois passée l’ivresse de la conquête, lorsque l’état de grâce s’estompe pour laisser place aux obligations de la charge, le palais présidentiel semble perdre de ses attraits pour celui qui l’occupe.
À un journaliste qui lui demandait, le 6 janvier 1970 : « Vous êtes donc heureux ? », Georges Pompidou répondit : « Heureux ? J’y ai renoncé. » Il éprouvait, sans doute plus que d’autres, la terrible sensation d’isolement qui gagne le locataire de l’Élysée, prisonnier de son propre pouvoir. Le général de Gaulle, qui détestait « cette maison trop bourgeoise » où « l’esprit ne souffle pas » avait pensé installer ailleurs la présidence dans des lieux plus appropriés à ses rêves de grandeur, tels les Invalides ou le château de Vincennes.
Il est vrai que cet élégant hôtel particulier, construit en 1720 par l'architecte Armand-Claude Mollet pour Louis Henri de La Tour d'Auvergne, comte d'Évreux, puis offert par Louis XV à la marquise de Pompadour en 1753, semblait destiné à la frivolité plutôt qu’au grand dessein du plus grand des Français.
De l’hôtel au palais
« Mon plaisir n'est pas de contempler l'or de mes coffres, mais de le répandre » aimait à répéter la Pompadour. Elle jouait les bergères dans les jardins, où paissait un troupeau de moutons aux cornes dorées et au cou enrubanné. Un temps destiné à loger les ambassadeurs extraordinaires, puis à servir de lieu d'exposition aux « personnes curieuses et amateurs de beaux-arts », l’Élysée devint en 1773 la propriété du banquier Nicolas Beaujon, qui l’acquit pour 600 000 livres et le fit agrandir et embellir par l'architecte du roi, Étienne-Louis Boullée. Il prit le nom d’« hôtel de l’Élysée » à la toute fin de l’Ancien Régime, lorsque s’y installa en 1787 la duchesse de Bourbon, sœur de Philippe-Egalité et tante du futur Louis-Philippe. Surnommée « Citoyenne Vérité » en raison de ses sympathies pour la Révolution française, elle fut néanmoins emprisonnée en 1793 dans la grande vague de la Terreur, et l’Élysée, loué puis vendu à un négociant flamand, fut transformé sous le Directoire en un établissement de « plaisirs ».
Des expositions ou des conférences très sérieuses y furent alors organisés mais également des bals populaires ou des jeux. Par ailleurs, des « chambres privées » accueillaient les amants d'une nuit. Joséphine de Beauharnais était l’une des « Merveilleuses » habituées de ces bals, sinon de ces chambres, où toutes les extravagances étaient permises. On vit même l’ascension d’une montgolfière dans les jardins de l’Élysée. Puis une partie de l’hôtel fut divisée en quinze appartements, dont l’un abrita le jeune Alfred de Vigny et ses parents. Il ne prit le statut de « palais » qu’en 1805 lorsque le beau-frère de Napoléon Ier, le maréchal Joachim Murat, s’y installa avec son épouse Caroline Bonaparte.
L’Empereur pris l’habitude de venir, déguisé, au bal du vendredi organisé par Murat. Puis, lorsque ce dernier devint roi de Naples, en 1808, Napoléon s’installa en personne à l’Élysée avec Joséphine. Après leur divorce, en décembre 1809, il lui offrit le palais, mais elle n'y habita pas vraiment. Napoléon récupéra donc l’Élysée le 13 février 1812 pour sa nouvelle impératrice, Marie-Louise, puis son jeune fils, le roi de Rome. Mais il n’y séjourna que peu de temps en 1813 et après sa première abdication, en avril 1814, c’est le tsar Alexandre Ier de Russie qui prit possession du bâtiment, après l'avoir fait fouiller par deux ingénieurs russes, craignant la présence de bombes. Napoléon y revint brièvement pendant les Cent-Jours et, après la défaite finale de Waterloo, c’est là, dans le salon d’argent qu’il dicta à son frère, le 22 juin, son acte de reddition : « Je m'offre en sacrifice à la haine des ennemis de la France. Ma vie politique est terminée et je proclame mon fils, sous le nom de Napoléon II, Empereur des Français. » Il quitta le palais le 25 juin 1815 pour la Malmaison, par la porte du fond du parc, donnant sur les Champs-Élysées.
Le roi Louis XVIII donna le palais de l'Élysée à son neveu, le duc de Berry en décembre 1815. Mais après l’assassinat de ce dernier par l'ouvrier Louvel, le 13 février 1820, son épouse Marie-Caroline, enceinte, déménagea aux Tuileries, et le palais resta quasiment inhabité sous la Restauration comme sous la monarchie de Juillet. Seuls y séjournèrent des monarques ou princes étrangers de passage à Paris, tel l'infant d’Espagne don Miguel en 1827, Albert de Saxe-Cobourg-Gotha en 1836, ou encore le vice-roi d’Égypte, Ibrahim Pacha en 1846. Lorsque la IIe République fut proclamée en février 1848, le palais prit le nom d'« Élysée national », et on y installa la commission des secours où siégeait le très populaire chansonnier Béranger. Puis, au lendemain de l’élection de Louis-Napoléon Bonaparte à la présidence de la République, le 10 décembre 1848, l’Élysée lui fut attribué par l’Assemblée nationale.
C’est ainsi que le neveu de Napoléon Ier s’installa dans les lieux qui avaient vu la gloire et la déchéance de son oncle. Des réceptions y furent organisées où défilèrent Victor Hugo, Lamartine, Eugène Delacroix ou encore Alfred de Musset. C’est dans le salon d’argent où son oncle avait abdiqué que Louis-Napoléon décida avec quelques fidèles de prendre le pouvoir par un coup d’État, le 2 décembre 1851. Proclamé Empereur un an plus tard, Napoléon III ne résida plus à l’Élysée, mais le fit totalement réaménager afin de recevoir des hôtes de marque, tels la reine Victoria en 1855, le tsar Alexandre II et l’empereur d'Autriche François-Joseph lors de l'Exposition universelle de 1867. Renommé l'« Élysée National » à la proclamation de la IIIe République, il échappa aux foudres des communards et le maréchal-président Mac-Mahon s’y installa en septembre 1874. Mais ce président monarchiste démissionna quelques jours après la loi du 22 janvier 1879, qui faisait officiellement et définitivement de l’Élysée la résidence des présidents de la République française.
Un palais maudit ?
De Jules Grévy à Albert Lebrun, douze chefs de l’État français ont occupé le palais présidentiel, mais les trois-quarts l’ont quitté avant la fin de leur mandat. À commencer par Grévy, certes réélu en 1886, mais qui dut démissionner le 2 décembre 1887, suite aux scandales des décorations. Son gendre Daniel Wilson, faisait en effet commerce des légions d’honneur et autres rubans honorifiques depuis son bureau de l’Élysée.
Son successeur Sadi Carnot fit aménager l'actuelle salle des fêtes, équiper le bâtiment central d'électricité et organiser le premier arbre de Noël de l’Élysée en 1889, mais il fut assassiné par un jeune anarchiste le 25 juin 1894. Jean Casimir-Périer abandonna la fonction présidentielle au bout de six mois, en janvier 1895, épuisé par les attaques de ses adversaires politiques.
Félix Faure y perdit la vie le 16 février 1899 alors qu’il venait de quitter les bras de sa maîtresse Marguerite Steinheil, ce qui fit beaucoup jaser. Clemenceau en tira l’une de ses boutades fameuses : « Il se voyait César, il est mort Pompée. » En revanche, Émile Loubet, après avoir surmonté le coup de force du nationaliste Déroulède, put transmettre régulièrement en 1906 les pouvoirs présidentiels à Armand Fallières sur le perron de l’Élysée.
Élu en 1913, Raymond Poincaré fut un président de guerre, appelant les partis à l’Union Sacrée le 4 août 1914, mais obligé de quitter l’Élysée sous la menace des troupes allemandes quelques semaines plus tard. « J’ai bien fini par avoir le courage d’être lâche », dit-il, exilé à Bordeaux, avant de revenir le 9 décembre 1914. Paul Deschanel, élu en janvier 1920 contre le Père de la Victoire Clemenceau, ne fit pas long feu au palais, forcé à démissionner au bout de neuf mois à la suite d’une longue dépression. Alexandre Millerand, lui non plus, ne vit pas la fin de son septennat, préférant démissionner en juin 1924 que de subir la loi du gouvernement de Cartel des Gauches.
En revanche, Gaston Doumergue, populaire méridional surnommé « Gastounet », resta jusqu’au bout en fonctions, et il eut le privilège d’être le seul président protestant de notre histoire et de se marier à l’Élysée, une semaine avant de quitter le palais. Beaucoup moins chanceux, l’austère Paul Doumer, qui avait perdu quatre fils à la guerre, fut le second président assassiné, tombé en mai 1932 sous les balles de l’illuminé russe Gorguloff.
Le polytechnicien Albert Lebrun lui succéda ; il ne brillait pas par son charisme mais il fut réélu, faute de mieux, en 1939, avant de participer au naufrage de la IIIe République à l’été 1940. Laissé vacant par Hitler, puis négligé à la Libération par le général de Gaulle, qui lui préféra l’hôtel de Brienne, l’Élysée ne retrouva son lustre qu’en 1947 avec le premier président de la IVe République Vincent Auriol. Il aimait à s’y faire photographier jouant avec ses petits-enfants ou posant avec sa célèbre belle-fille, l’aviatrice Jacqueline Auriol. Mais la fonction présidentielle n’était que secondaire dans le « régime des partis » de la IVe, et c’est pourquoi fut élu en décembre 1953, au 13e tour de scrutin, un septuagénaire sympathique mais sans éclat, René Coty. Apprécié du plus grand nombre, il eut la sagesse, au plus fort de la crise algérienne, d’appeler au pouvoir « le plus illustre des Français », le général de Gaulle. Et c’est ainsi que les institutions de la Ve République, plébiscitées lors du référendum du 28 septembre 1958, firent de l’Élysée le centre de la vie politique française.
La résidence du monarque républicain
On l’a dit plus haut, le général de Gaulle ne s’y plaisait guère mais il y habita par devoir, réglant lui-même sa facture d’électricité. Il y reçut le chancelier Adenauer, seul chef de gouvernement étranger invité à coucher au palais, et avec lequel il signa le fameux traité de l’Élysée, le 22 janvier 1963, fondateur de l’axe franco-allemand. Georges Pompidou regagnait tous les mercredis soir son appartement du quai de Béthune, de façon à ne passer que quatre nuits par semaine à l’Élysée, mais il fit totalement réaménager le palais présidentiel pour en faire une sorte de vitrine de l’art contemporain. Tout fut modernisé, depuis le chauffage central, qui datait d’Albert Lebrun, jusqu’au parc lui-même, où l’on supprima notamment le bassin, croupissant foyer à moustiques.
Dans ses mémoires, Valéry Giscard d’Estaing raconte que lui aussi s’est d’abord senti mal à l’aide dans ce palais dont il n’aimait pas « l’odeur, renfermée, comme moisie », puis il s’y est peu à peu habitué à la différence de sa femme Anne-Aymone, qui considérait « l’Élysée comme un bureau auquel nous nous rendons le matin ». Président de la « décrispation », il invita quatre éboueurs du quartier de l’Élysée pour le petit déjeuner du 24 décembre 1974. Au risque de la surexposition, il ouvrit les portes de l’Élysée aux caméras de télévision pour le premier anniversaire de son élection. Mais, lui qui voulait « regarder la France au fond des yeux », s’est peu à peu isolé dans le palais présidentiel. « M. Giscard d’Estaing se comporte comme un roi », écrivit Raymond Aron, constatant la dérive monarchique du président de la « décrispation ». S’identifiant pour certains à Louis XV, il instaura une étiquette et des rituels destinés à le mettre en valeur, se faisant toujours servir avant les femmes et laissant vide la place en face de lui lorsqu’il ne recevait pas un visiteur de marque. François Mitterrand quant à lui remania ses appartements privés, faisant appel à Philippe Starck ou Jean-Michel Wilmotte, avec plus ou moins de bonheur. Sa femme Danielle détestait la chambre décorée par Garouste, surnommée par certains la « chambre du cauchemar ». Elle lui préférait son bureau à l’entresol du palais, d’où elle se livra à une activité militante aussi passionnée qu’encombrante pour la diplomatie de son présidentiel époux.
Jacques Chirac, quant à lui, décida à la manière gaullienne de résider en permanence à l’Élysée, avec sa famille. Il fit d’ailleurs revenir le mobilier du général dans le bureau présidentiel, tandis que Bernadette faisait orner leurs appartements privés d’une photo du grand homme en Irlande. Elle prit très au sérieux son rôle de maîtresse de maison, et l’on sait que ce fut un crève-cœur pour elle de quitter le palais présidentiel. Nicolas Sarkozy en a fait le point de départ d’un parcours de footing dans Paris avec son Premier ministre François Fillon. Il y épousa Carla Bruni, le 2 février 2008, dénouement heureux du roman-feuilleton présidentiel.
Quant à François Hollande, il lui est arrivé de pique-niquer dans le parc du palais avec sa compagne Julie Gayet. C’est ainsi que la vie publique et la vie privée du chef de l’État se sont peu à peu confondues, mettant un point final à un demi-siècle d’opacité et de secrets, que certains ont pu qualifier d’hypocrites, mais qui préservaient la majesté de la fonction.
Le lieu du pouvoir
Les images les plus médiatisées de l’exercice de l’État sont un reflet trompeur de l’activité présidentielle, car elles éclairent surtout la représentation au détriment du travail de fond, celui qui consiste à lire des dossiers, des rapports, à les annoter, à discuter avec son directeur de cabinet ou avec son entourage, à tenir des réunions informelles avec des ministres, des collaborateurs de l’Élysée, des chefs du parti majoritaire, à accorder des audiences de toutes sortes ou encore à bavarder avec des visiteurs du soir, qui lui donnent le pouls de la France ou lui révèlent les dernières rumeurs du microcosme.
Valéry Giscard d’Estaing aime à raconter ses entretiens avec le général de Gaulle, dont il était le ministre des Finances, et la manière dont le chef de l’État l’écoutait « avec une sorte d’indifférence appliquée » avant de lui fixer le cap à suivre. Ce travail quotidien, obscur, ingrat, qui fait l’essentiel de l’activité présidentielle, nous est heureusement connu par les abondants témoignages de tous ceux qui ont, un jour ou l’autre, contribué à la gouvernance présidentielle, et qui se vantent d’avoir eu l’oreille du monarque. Certains ont même dévoilé les petits secrets du conseil des ministres du mercredi, auquel le général de Gaulle donna une majesté toute monarchique, celle du roi en son conseil, dans une atmosphère compassée que Valéry Giscard d’Estaing, alors jeune secrétaire d’État, décrivait comme « d’un impérissable ennui ». Lorsque les ministres socialistes du gouvernement Mauroy, issus de l’alternance de 1981, firent irruption pour la première fois dans le salon Murat, bruissant d’allégresse comme des collégiens,
François Mitterrand se chargea de les réduire au silence, glissant à son voisin Michel Jobert : « Il ne faut tout de même pas qu’ils se croient encore au comité directeur du parti socialiste… » La veille, il faisait précéder ce grand happening gouvernemental d’un déjeuner plus intime avec le Premier ministre, le secrétaire général de l’Élysée et le premier secrétaire du parti socialiste, et c’est là, si l’on en croit Lionel Jospin, que « les choses se décidaient ». Dans cette ruche plus ou moins bourdonnante qu’est l’Élysée, chaque chef de l’État a ainsi dessiné un style de coopération ou de subordination qui font parfois apparenter les conseillers du président à des courtisans autour d’un monarque.
C’est ainsi que Pierre Juillet et Marie-France Garaud furent les éminences grises de Georges Pompidou et les mentors du jeune Jacques Chirac. François Mitterrand, tel un monarque absolu, aimait jouer de la rivalité entre ses conseillers courtisans, tel Jacques Attali, dont le bureau jouxtait le sien, ou d’autres aux attributions mal définies, tel François de Grossouvre, surnommé le « ministre de la vie privée », essentiellement chargé de protéger l’anonymat de Mazarine. Beaucoup plus convivial et direct, Jacques Chirac aimait réunir ses proches collaborateurs, Dominique de Villepin, Alain Juppé et quelques autres, le dimanche après-midi à l’Élysée. François Hollande y travaille dans une ambiance de « copains » où le tutoiement était la règle.
Dans le système ultra-présidentialisé de la Ve République, tout part de l’Élysée et tout y revient. C’est le navire-amiral de tout le dispositif institutionnel, au point que l’on peut se demander parfois à quoi servent le Premier ministre, qualifié de « collaborateur » par Nicolas Sarkozy, ou le Parlement, devenu trop souvent une chambre d’enregistrement du bon vouloir présidentiel. C’est pourquoi l’Élysée est l’objet de toutes les attentions médiatiques, la scène centrale de la représentation politique.
La scène centrale
Les présidents sont tenus à une série de rituels immuables, inhérents à l’exercice du pouvoir. Y figure notamment ce que, selon Raymond Aron, le général de Gaulle porta au rang d’une « œuvre de grand art » : les conférences de presse, retransmises en direct depuis la salle des fêtes de l’Élysée. Cette grande messe médiatique était ordonnée et orchestrée par le président-monarque, distillant depuis l’estrade où il trônait en majesté les bons mots et les formules assassines qui faisaient le bonheur des quotidiens du lendemain. Les saillies gaulliennes contre l’Europe du « volapück » en mai 1962 ou contre « la politique de la Corbeille » en octobre 1966 sont devenues des classiques, de même que la réponse du normalien Georges Pompidou, interrogé le 22 septembre 1969 sur l’affaire Gabrielle Russier, et répondant par des vers de Paul Éluard. Par la suite, il est vrai que les conférences de presse, rebaptisées « réunions de presse » par Giscard, n’ont pas retrouvé le lustre de la période gaullienne, un peu noyées qu’elles sont dans le flot ininterrompu de la communication présidentielle.
De même pour les vœux aux Français du 31 décembre, presque intangibles jusqu’à nos jours, à l’exception de ceux auxquels Giscard associa, au coin du feu, sa femme Anne-Aymone, ou de ceux prononcés depuis Strasbourg par François Mitterrand, sous le signe de l’Europe. De même encore pour la litanie des vœux aux corps constitués, qui occupent le mois de janvier présidentiel. Ils sont précédés de quelques jours par l’arbre de Noël de l’Élysée, instauré en 1889 par le président Sadi Carnot, et qui vit Giscard accompagner Claude François au piano en 1980. Jacques Chirac en fit même un spectacle, organisé à l’Olympia puis au théâtre Mogador sous Nicolas Sarkozy.
De même pour la fameuse garden-party du 14 juillet, elle aussi inaugurée à la fin du XIXe siècle, et qui suit le défilé militaire dans les jardins de l’Élysée, souvent prétexte à une interview du chef de l’État, devenue elle aussi rituelle depuis Giscard. De même enfin pour les nombreux banquets et réceptions qui jalonnent l’année présidentielle, permettant à l’hôte de l’Élysée de faire les honneurs du bon goût français à ses invités. C’est ainsi, par exemple, que le général de Gaulle reçut en dix ans les représentants de 63 pays, parmi lesquels le président américain JFK, dont l’épouse Jackie, née Bouvier, en mai 1961, ne laissa pas indifférent le grand Charles.
En mai 1972, Georges Pompidou faillit déclencher un incident protocolaire en prenant le bras de la reine d’Angleterre Elisabeth II pour l’aider à monter les marches de l’Élysée. Et l’on ne compte plus les chefs d’État de la « Françafrique » qui se sont succédé depuis un demi-siècle sur le perron du palais présidentiel, comme un vestige de l’empire colonial déchu. C’est ainsi que de réceptions en sommets, de conférences en dîners de galas, les hôtes de l’Élysée essaient d’incarner avec plus ou moins de bonheur la grandeur de notre histoire républicaine et le mythe de la Grande Puissance. En dépit de toutes les déceptions et de toutes les critiques, l’engouement des Français pour l’élection présidentielle prouve que cette histoire est encore la nôtre.