Le billet de Pascal : Un débat sous tension
Depuis 1974, s’est installée la tradition –non respectée en 2002- d’un grand débat d’entre-deux tours entre les deux candidats restés en lice à l’issue du premier tour. Le septième débat d’entre-deux tours de la présidentielle n’a vraiment pas ressemblé aux autres. Il a tourné très rapidement, du fait de la stratégie de tension maximale mise en œuvre par Marine Le Pen, au véritable pugilat où se sont échangés les noms d’oiseaux, les excommunications et les clichés. Le point d’orgue final a résumé la tonalité générale du débat : à Emmanuel Macron qui interpellait Marine Le Pen en lui disant qu’elle était « indigne », celle-ci lui répondait qu’il était le candidat « à plat ventre »…. On pouvait presque avoir une nostalgie du « monopole du cœur » que Valéry Giscard d’Estaing contestait à François Mitterrand en 1974 ou encore de l’opposition de 1981 entre « l’homme du passé » et « l’homme du passif ». Qu’en termes élégants, les oppositions étaient alors dites !
La brutalité est souvent le reflet du déficit d’un « pouvoir intérieur ». Or, à quelques jours d’un vote décisif, les électeurs sont à la recherche d’une femme ou d’un homme qui, avant d’exercer le « pouvoir extérieur », est capable de faire montre d’un « pouvoir intérieur ». Le débat démocratique, s’il exige le choc des arguments, des styles et des références, n’implique pas la disqualification de l’adversaire. Montaigne, dans ses Essais, nous invitait à « frotter et à limer sa cervelle contre celle d’autrui ». Le 3 mai au soir, cette préoccupation était bien absente sur le plateau du débat télévisé entre les deux candidats. En cela, le débat tournait souvent aux propos de meeting et s’éloignait de l’échange démocratique qui suppose l’écoute et la reconnaissance de l’autre. Le pur rapport de force est l’adversaire sans pitié de la démocratie. Marine Le Pen, au-delà de ses appels réguliers à développer la démocratie, a encore quelque problème avec cette composante essentielle de la culture démocratique qu’est la pleine reconnaissance de l’Autre. Emmanuel Macron, plus à l’aise dans le pluralisme démocratique et résistant avec une relative sérénité aux assauts de la candidate du Front national, n’a pas tout à fait été exempt d’une culture technocratique qui ignore que la politique n’est ni une science ni une pure rationalité. Les 16 millions et demi de téléspectateurs jugeront même si, comme d’habitude, ce type de débat est plus fait pour ranimer les croyances que pour en faire changer.