Analyse - Emmanuel Macron peut-il avoir le même leadership sur l’Europe que François Mitterrand ?
Enrico Letta, ancien Président du conseil italien et doyen de l’école des Affaires internationales de Sciences Po, analyse la politique européenne du nouveau président français. Dans un entretien accordé à Ouest France, il assure qu'Emmanuel "Macron a pris un leadership potentiel sur l’Europe, comme on ne le voyait pas depuis Mitterrand", mais "il doit maintenant être à la hauteur".
Quel est l’impact en Europe des élections françaises ?
Ce qui s’est produit est assez époustouflant. Personne ne s’attendait à voir la France lancer un message aussi fort. Le message d’une France qui tourne la page du populisme, et se propose de rebondir sur le plan européen. En plus, puisque la communication compte beaucoup aujourd’hui, ce changement a été d’autant plus fort que les attentes étaient très négatives, après la séquence Brexit-Trump.
Vous avez été surpris ?
Comme tout le monde. Macron a pris des risques, et cela lui a donné plus d’élan. La victoire de Trump avait donné l’impression que Le Pen pouvait gagner. Or, la France, ce n’est pas les États-Unis. Son discours était extrémiste, destructif. Elle ne parlait qu’aux humeurs et, en plus, sans le charisme d’entrepreneur à succès comme Trump, car c’est une politicienne depuis sa plus tendre enfance. Tout cela a beaucoup aidé Macron.
Vous avez le sentiment que la France est de retour en Europe ?
Macron a pris un leadership potentiel sur l’Europe, comme on ne le voyait pas depuis Mitterrand. En plus, en l’absence du Royaume-Uni, la France a un poids déterminant, étant la seule puissance nucléaire. Maintenant, il doit être à la hauteur. Tenir le cap sur la volonté de réformer, et le lendemain des élections allemandes obliger les Allemands à faire des réformes, à bouger.
C’est possible ?
Je pense que oui. Pour deux raisons. D’abord parce qu’on a eu, tous, très peur. Même les Allemands. Grâce à cette peur, Macron peut obtenir davantage. La chose qui me fait aussi penser qu’ils vont bouger, c’est que c’est aussi le sens de leurs débats internes. Le couple Merkel-Schulz, quelle que soit l’issue des élections de septembre, est le couple le plus proeuropéen que l’Allemagne ait jamais connu.
Même la CDU peut bouger ?
Oui, aussi en raison du Brexit et de Trump. Les défis extérieurs poussent à la cohésion. Tous les sujets qui pouvaient, il y a encore quelques mois, paraître des défis mortels pour l’Europe, sont devenus des atouts positifs.
L’effet domino du protectionnisme s’est arrêté ?
Oui, et c’est une bonne nouvelle. Un mouvement de repli aurait été très dommageable pour l’Europe.