Michaël Darmon : "Sarkozy et Macron, deux personnalités complètement différentes"
Journaliste et éditorialiste politique, Michaël Darmon est l’auteur de plusieurs livres sur Nicolas Sarkozy (Sarko Star, 2004 ; La vraie nature de Nicolas Sarkozy, 2007…). Nous l’avons fait réagir à l’interview accordée par l'ancien président à Émile. Celui qui l’a suivi, observé et côtoyé pendant des années nous offre ici des clés de lecture passionnantes pour mieux comprendre les ressorts de sa personnalité et de sa conquête politique. Nous l’avons également questionné sur la ressemblance (supposée) entre Emmanuel Macron et Nicolas Sarkozy. Son verdict est sans appel : les différences supplantent largement les similitudes !
Votre première réaction à la lecture de l’interview de Nicolas Sarkozy par Émile ?
Dans cet entretien, Nicolas Sarkozy apparaît, avec du recul, comme le sage. La manière dont il regarde maintenant son propre passé, son parcours, est intéressante et au fond assez honnête.
C’est assez rare qu’il revienne ainsi sur son passé, ses premiers pas en politique, ses échecs ?
Finalement, oui. Je l’ai souvent entendu dire : « Je n’ai pas de nostalgie, je ne regarde pas en arrière ». Il fait peu d’exercice d’introspection, en tout cas pas en public ou avec des journalistes. En même temps, bien qu’il n’ait pas tendance à regarder dans le rétroviseur, il a toujours été nimbé d’une forme de mélancolie, par rapport à une jeunesse qu’il n’a pas eue. On sent une sincérité de quelqu’un qui se dit : où est ma place ? Se battre pour trouver sa place a toujours été un combat pour lequel il a donné beaucoup d’énergie.
Dans cet entretien, Nicolas Sarkozy nous parle de ses années Sciences Po. Pensez-vous que cet épisode est important dans sa vie ?
On se demande, en effet, ce qu’il vient apprendre à Sciences Po. On a l’impression qu’il aurait déjà pu donner des cours d'application sur la vie politique française. Je pense que ce qu'il souhaitait principalement c'était un diplôme ou une socialisation statutaire ; ce qui en dit beaucoup sur sa volonté de trouver une place dans la société. Dans l’interview, il raconte d’ailleurs avec beaucoup d’honnêteté qu’il était un élève assez atypique, qui ne passait pas son temps à hanter les amphis.
Nicolas Sarkozy évoque également ses échecs et prononce cette phrase : « il n’y a pas de noblesse si on ne sait pas perdre ». Vous qui l’avez beaucoup observé, quel est son rapport à l'échec ?
L’échec est quelque chose qu’il n’a jamais vraiment théorisé. Dans les moments où il construisait sa conquête politique, il théorisait plutôt la victoire. À cette période, l'une de ses phrases fétiches était : « la victoire se donne à celui qui la désire le plus »…
À cette époque de la conquête politique, quels étaient les motivations de Nicolas Sarkozy ?
Les moteurs de ces années-là sont principalement la revanche et la victoire. Puis, c'est sur le mot "rupture" que repose sa campagne présidentielle. Un terme qui a une dimension très personnelle puisqu'il fait écho à ce qu'il vit à cette période ; il est en rupture avec ceux qui l’ont porté, notamment sa famille chiraquienne, et avec son épouse d’alors. Cette double rupture lui procure une énergie très forte, qui le pousse en permanence et lui donne cette puissance hors du commun.
Dans cette interview, est-ce qu'une confidence vous a particulièrement surpris ?
Oui. Alors que Nicolas Sarkozy est peu enclin à faire des confidences, il révèle pourtant, dans cet entretien, une anecdote assez émouvante qu'il avait jusqu'à présent gardée pour lui : le dialogue qu'il a eu avec Jacques Chirac, sur le perron de l'Élysée, lors de la passation de pouvoir, où pour la première fois, il se permet de le tutoyer. Un échange qui témoigne du respect et de l'affection que Nicolas Sarkozy porte à celui qui fut son mentor.
Le Canard enchaîné avait rapporté en juin dernier la phrase de Nicolas Sarkozy « Macron, c’est moi en mieux ! ». Etes-vous d’accord ?
L'une des principales différences est celle de la personnalité. La matrice affective est fondamentale chez Nicolas Sarkozy, qui s’est construit sur une démarche de reconnaissance sociale. Emmanuel Macron n’est pas du tout dans cette logique-là, on le voit dans sa biographie, il a été sans arrêt choyé, aimé, et n’a pas eu à souffrir d’un sentiment de déclassement quelconque. De ce point de vue-là, leur comparaison est un contresens.
En revanche, l’âge, et l’audace sont certainement des points communs aux deux hommes. Je pense que lorsque Nicolas Sarkozy dit « Macron, c’est moi en mieux », il fait référence au culot, à la capacité d'observation et d'adaptation d’Emmanuel Macron.
Leur parcours politique, quant à lui, est bien différent. Lorsque Nicolas Sarkozy annonce son ambition élyséenne au début du dernier quinquennat Chirac, en 2002, il est en terrain quasiment conquis, ou du moins pratiquement dégagé. Ce qui n'est pas le cas d’Emmanuel Macron, qui émerge en deux ans et réussit à monter son mouvement à partir de rien. Par ailleurs, Nicolas Sarkozy a affiché son objectif de manière très claire face à Jacques Chirac, contrairement à Emmanuel Macron, dont l'ambition se dévoilera au fur et à mesure du quinquennat.
Au fond, si on veut vraiment comparer le nouveau président à un autre homme politique, c’est plutôt à Jacques Chirac qu’il faut le faire. En effet, Jacques Chirac a claqué la porte de Matignon en 1976, déclarant : « je n’ai plus les moyens de gouverner ». Puis, il crée son propre mouvement et prend le pouvoir. Quant à Nicolas Sarkozy, il ne claque jamais la porte mais réussit un autre exploit : alors qu’il est totalement au cœur de la machine chiraquienne en tant que ministre de premier rang, il parvient sans cesse à s'en démarquer.
Nous avons évoqué la conquête politique, mais qu’en est-il de l’exercice du pouvoir ? Les premiers jours des présidents Macron et Sarkozy se ressemblent-ils ?
À mon sens, ils ne se ressemblent pas. Avec Nicolas Sarkozy, on comprend très vite que la rupture n’était qu’un slogan de campagne. Quand il arrive à l’Élysée flanqué d’un côté de Raymond Soubie et de l’autre de Jean-David Levitte, il semble évident qu’il n’y aura pas de rupture et qu’on va repartir dans la liturgie assez classique de la gouvernance. Raymond Soubie est là pour faire tenir l’architecture du quinquennat sur la double face : identité nationale et "travailler plus, gagner plus". Jean-David Levitte est là pour envoyer des messages sur la continuité de la diplomatie française.
De son côté, Emmanuel Macron est dans une logique de transformation complète de la manière de gouverner. Par exemple, il souhaite que chaque ministre soit véritablement le patron de son administration et soit en capacité de nommer des directeurs d'administration, en phase avec les projets et les idées du gouvernement. Ça c’est nouveau, jamais personne ne l’a fait.
Nicolas Sarkozy disait toujours qu’une réforme, même amendée, même retouchée, même limitée était une bonne réforme. Emmanuel Macron, lui, choisit la transformation plutôt que la réforme, parce qu'il estime que les Français ne veulent plus entendre parler de réforme. Reste à voir comment il va réussir à "transformer" sa transgression en action.
Et ne pensez-vous pas qu’on retrouve une forme d’autoritarisme chez ces deux présidents ?
Non… Ce qui est important pour Nicolas Sarkozy c’est d’être apprécié, d'être compris, d'être proche des Français et de ses équipes. D’ailleurs, on lui a reproché d’avoir confondu proximité et familiarité, c’est sans doute là qu'il a trébuché. Emmanuel Macron, bien au contraire, tire les leçons des bouleversements de la fonction présidentielle sous Sarkozy et Hollande et revient à une forme de hiératisme, d’autorité. Un exemple, Nicolas Sarkozy n’a jamais licencié personne, il fallait patienter le plus longtemps possible, attendre que la personne ait un autre travail avant de lui demander de partir, etc. Avez-vous vu comment Macron a traité le chef d’Etat-major ?
Propos recueillis par Maïna Marjany (promo 14)