Karim Amellal: "Pour la première fois, une volonté politique forte existe pour lutter contre la haine sur internet"
Édouard Philippe a présenté lundi dernier le nouveau plan gouvernemental contre le racisme et l’antisémitisme, qui prévoit en particulier de lutter contre la haine sur Internet. Au cours de cette annonce, le Premier ministre a martelé que les réseaux sociaux ne sont « pas des espaces hors sol » et que « tout ce qui y est publié doit répondre aux lois de la République ». Il a affirmé vouloir changer « le cadre juridique (français) qui date des années 2000 ». Pour cela, le gouvernement a confié une mission à la députée LREM Lætitia Avia (promo 2008), au vice-président du Crif Gil Taïeb, et à Karim Amellal (promo 2000), entrepreneur, enseignant à Sciences Po et écrivain. Ce dernier a accepté de répondre aux questions d’Émile sur les contours de sa nouvelle mission.
Quels sont les objectifs de la mission qui vient de vous être confiée ?
L’annonce a été faite par le président de la République, le 7 mars dernier, au diner du CRIF. Il a déclaré qu’il fallait que la lutte contre la « cyber haine » soit une priorité et qu’il était nécessaire d’améliorer les dispositifs et les outils permettant de lutter plus efficacement contre les contenus racistes et antisémites sur Internet.
Le Premier ministre, qui a présenté le nouveau plan gouvernemental contre le racisme et l’antisémitisme cette semaine, a souhaité donné à cette mission un sens politique. L’une de nos tâches va être de faire la synthèse des nombreux travaux et études déjà réalisés sur le sujet afin de définir un objectif commun. En étant très inclusif, très ouvert, surtout pas dogmatiques, en écoutant tous les acteurs, nous allons essayer de parvenir à un résultat qui réunisse un maximum d’adhésion quant à la légitimité de son ressort, de ses objectifs et de ses principes.
Même s’il est encore trop tôt pour parler en termes de moyens ou d’agenda, nous ferons des recommandations, qui pourraient déboucher sur une loi, qui serait un dispositif législatif complémentaire par rapport à ce qui existe déjà. L’idée serait également de se coordonner à l’échelle européenne.
Pourquoi cette mission vous a-t-elle été confiée ?
D’abord, il ne faut pas le cacher, parce que nous incarnons, comme beaucoup d’autres, ces problématiques. Nous intervenons tous les trois sur les questions de racisme et d’antisémitisme, à des niveaux divers. Laetitia Avia en tant que députée, mais aussi puisqu’elle a été la cible de propos haineux et explicitement racistes ces derniers temps. (Elle a notamment été menacée de mort dans une lettre raciste, qu’elle a choisi de publier en février dernier, ndlr.) Gil Taïeb qui, en tant que vice-président du CRIF, est en première ligne sur le sujet malheureusement toujours récurrent et virulent de l’antisémitisme. Enfin, moi sur le racisme de manière plus générale à travers mes livres – essais et romans -, mes enseignements et mes engagements associatifs multiples. Il se trouve également que j’ai lancé depuis un an une initiative qui s’appelle « What the fake », pour lutter contre l’extrémisme, la manipulation et la haine en ligne.
Beaucoup de travail a été réalisé sur ces sujets, notamment par de nombreuses associations et organisations dont il faut saluer l’engagement et la qualité des propositions. Nous ne partons pas de rien, loin s’en faut. Peut-être apportons-nous, à travers nos trois expériences, un regard un peu neuf, complémentaire, sur ce sujet grave, une dimension aussi un peu politique peut-être.
La lutte contre les contenus haineux sur internet, n’est-ce pas un combat perdu d’avance ?
Pas du tout, au contraire. Jusque-là, Internet est un espace qui n’a été que très peu régulé. Cela fait une quinzaine d’années que les « haters » prolifèrent, déversent leur haine, alors même qu’il y a des lois en France qui encadrent la liberté d’expression. Ça ne signifie pas qu’il faut rétablir le délit d’opinion, mais qu’il existe des règles. En France, on ne peut pas injurier, diffamer, tenir des propos négationnistes, antisémites, anti-musulmans, racistes, homophobes ou encore sexistes dans l’espace public, que ce soit dans la rue ou dans un journal. On considère que ces bornes concourent au vivre ensemble et à l’expression saine des libertés individuelles et des libertés collectives. Même si quelques progrès ont été faits par des plateformes, Internet reste largement, hélas, un espace d’impunité et d’irresponsabilité, alors que les mêmes règles doivent s’appliquer dès lors que les contenus sont publics (ils le sont tous à l’exception des conversations privées et des mails). Des outils existent pour faire respecter les lois, notamment des outils de signalement, mais ils sont trop peu utilisés. Il existe aussi une plateforme publique de signalement, Pharos, mais elle est dotée de trop peu de ressources.
Je crois aussi que, toujours faute de moyens, la réponse judiciaire est souvent insuffisante. D’autres pays ont décidé d’être plus radicaux. L’Allemagne a, par exemple, voté une loi l’année dernière, qui prévoit une sanction allant jusqu’à 50 millions d’euros pour les plateformes qui ne retirent pas un contenu signalé et considéré illicite dans les 24 heures. Il faut bien évidemment faire attention aux effets pervers, il ne s’agit pas d’instaurer une police de la pensée. Un axe essentiel de réflexion pour notre mission sera donc de s’interroger sur l’opportunité d’une nouvelle loi, et, le cas échéant, de déterminer ses contours. Est ce qu’il en faut d’autres ou amender celles qui existent ? Ce sera l’un des objectifs majeurs de notre mission. Pour la première fois, une volonté politique forte existe. Il faut maintenant agir.
Le plan contre le racisme et l’antisémitisme annoncé lundi dernier par Edouard Philippe prévoit un volet consacré à l’éducation. Allez-vous également travaillé sur ces questions ?
Le périmètre de notre mission se limite à Internet, mais d’autres acteurs vont intervenir sur d’autres aspects. Bien évidemment, pour lutter contre la haine sur Internet il y a un travail fondamental à faire en amont. Cela concerne l’éducation au sens large, mais aussi l’éducation aux medias et au sens critique.
Bio express :
Karim Amellal, né en 1978 à Paris, est écrivain, entrepreneur et enseignant à Sciences Po. Son premier livre Discriminez-moi ! Enquête sur nos inégalités, paru en 2005 chez Flammarion, est un essai sur les inégalités et les discriminations. En 2006, il publie son premier roman, Cités à comparaître (Stock), et prend la même année la direction du master d'Affaires publiques de Sciences Po. En 2010, il se lance dans une aventure entrepreneuriale en créant la plateforme d'édition de contenu vidéo universitaire SAM Network et, en 2013, le premier média participatif vidéo sur l'Algérie « Chouf-chouf ». Il vient tout juste de publier La Révolution de la servitude : Pourquoi l'ubérisation est l'ennemie du progrès social (Demopolis, mars 2018)