L'hôtel de l'Artillerie : une longue et tumultueuse histoire
Successivement noviciat dominicain, musée d’armes et site militaire, l’hôtel de l’Artillerie, situé place Saint-Thomas-d’Aquin, inaugure avec Sciences Po une nouvelle page de sa longue et tumultueuse histoire.
Une vocation religieuse et intellectuelle
En 1632, l’ordre des Dominicains réformés, dit des Jacobins, s’installe sur les terres de la puissante abbaye royale de Saint-Germain-des-Prés, au cœur du faubourg champêtre du même nom, dans une maison sise rue des Vaches, pour y fonder un noviciat. Saint-Germain est alors un vaste domaine rural, propriété de l’abbaye et de l’université de Paris, situé en dehors de l’enceinte fortifiée de la cité. Le bourg accueille depuis le XVIe siècle de puissants seigneurs et gens de robe qui fuient l’aristocratique quartier du Marais, surpeuplé et insalubre, pour y établir de spacieux hôtels particuliers. Nombre de fondations pieuses, monastères et couvents prospèrent également sur ces terres religieuses.
Sur un terrain de sept arpents (trois hectares), les frères dominicains font édifier à partir de 1682 un ensemble conventuel achevé en 1740. Les galeries du cloître desservent réfectoire et cuisine, salle capitulaire et chapelle, pharmacie et infirmerie, et abritent dans les étages cellules et bibliothèque. Elles s’entourent de basse-cour, jardins, verger et potager. Établissement de formation, le noviciat pouvait alors accueillir jusqu’à 50 frères et disposait d’une riche bibliothèque comptant quelque 14 000 ouvrages.
La Révolution française met un terme à cette vocation religieuse, en ordonnant l’interdiction des vœux monastiques et la dispersion des ordres et congrégations. Les bâtiments sont remis à l’autorité militaire et affectés à la fabrication d’armes, les frères relégués au grenier avant d’en être chassés en 1793.
Une conversion militaire et scientifique
Commence alors la deuxième vie du site, placée sous l’étendard de la Guerre, des sciences et des techniques. Dès 1795, les galeries du cloître accueillent, au gré des guerres révolutionnaires et des conquêtes impériales, des armes et armures impropres à l’usage. Le cloître devient musée par l’aménagement de galeries et salles d’exposition ouvertes au public, jusqu’à son transfert aux Invalides, en 1871. Dès 1795 également, le Comité central d’artillerie s’installe dans l’ancien couvent, tient séance dans le Salon rouge et loge secrétariats et bureaux dans les étages. C’est en 1886 que les deux cours prennent le nom de deux célèbres artilleurs : le général Gribeauval (1715-1789), inventeur du système du même nom permettant de réorganiser les services et sections d’artillerie pour les rendre plus mobiles et plus efficaces, et le général Treuille de Beaulieu (1809-1886), directeur de l’Atelier de précision et père du fusil Chassepot. Au fil des ans, et en dépit des plaintes répétées d’un voisinage peu rassuré par les activités potentiellement explosives des militaires, s’établissent sur le site les services techniques et inspections des poudres et munitions, du matériel et du harnachement, des armes portatives, le dépôt des plans, cartes et dessins, l’atelier de lithographie, photographie, cinématographie et optique, la bibliothèque et les archives. S’y côtoient des personnels scientifiques et techniques hautement qualifiés, spécialistes de chimie, de métallurgie, de mécanique, de métrologie et de balistique, puis, après 1945, de physique atomique et d’électronique au sein de la nouvelle Direction centrale du matériel et du Laboratoire central de l’armement. À l’étroit dans des locaux inadaptés, le transfert est décidé en 1949, effectif en 1964. Saint-Thomas-d’Aquin accueille dès lors des services de l’état-major et, à partir de 1975, la Sûreté militaire.
Les travaux incessants d’agrandissement, de surélévation et de densification, de démolition et de réaménagement témoignent des multiples vies du site de l’Artillerie, sur lequel se côtoient des ensembles architecturaux d’époque et de style variés. Classés et restaurés à partir de 1982, les bâtiments entrent à présent dans la troisième phase – universitaire et scientifique – de leur tumultueuse histoire. C’est donc sur les traces lointaines et pourtant familières des novices dominicains des XVIIe et XVIIIe siècles et des ingénieurs militaires du XIXe siècle que marcheront à l’avenir les étudiants et enseignants-chercheurs de Sciences Po.