Covid-19 : quelle gestion de crise au Kenya ?

Covid-19 : quelle gestion de crise au Kenya ?

Le premier cas de Covid-19 a été recensé au Kenya le vendredi 13 mars, menant à une réaction rapide des autorités. Obligation du port de masques, mise en quarantaine des personnes revenant de l’étranger, dépistages massifs, ou encore baisse des salaires des membres du gouvernement… Comment le pays gère-t-il cette crise sanitaire ? Nassim Majidi, docteure affiliée au CERI de Sciences Po et co-directrice de Samuel Hall, a répondu aux questions d’Émile.

Le président kenyan Uhuru Kenyatta et son adjoint William Ruto ont réduit leurs salaires de 80% dans le but de libérer des fonds pour lutter contre la pandémie de coronavirus dans le pays. (Crédits : Kremlin)

Le président kenyan Uhuru Kenyatta et son adjoint William Ruto ont réduit leurs salaires de 80% dans le but de libérer des fonds pour lutter contre la pandémie de coronavirus dans le pays. (Crédits : Kremlin)

Quelles ont été les premières mesures prises par le gouvernement kényan pour lutter contre l'épidémie de Covid-19 ?

Le premier cas a été recensé au Kenya le vendredi 13 mars 2020. L’information a été rapidement transmise par le gouvernement et relayée par les différents modes de communication (radio, télévision mais aussi Facebook et WhatsApp). Le gouvernement du Kenya a annoncé la fermeture de tous les établissements scolaires le dimanche 15 mars avec prise d’effet quasi-immédiate (dès le lundi 16 mars, à l’exception des universités qui ont fermé leurs portes le vendredi suivant). Le gouvernement a également mis en place une cellule spéciale au sein de l’hôpital Mbagathi à Nairobi pour permettre une réponse coordonnée à tout cas de Covid-19, avec une structure prête à l’isolement. La réaction a donc été très rapide et rassurante. 

Cette prise de position du gouvernement kényan a mené, dès le 17 mars 2020, à ce que la Banque Mondiale débloque 60 millions de dollars pour financer la lutte contre le coronavirus, alors même que le pays ne comptait, à ce moment-là, que trois cas confirmés.

Cependant, ce qui a manqué à ces débuts, et ce qui manque en grande partie toujours, est une campagne de communication facilement accessible au grand public, en zones rurales comme urbaines, sur ce qu’est le Covid-19, les précautions à prendre et les mesures à tenir chez soi. Même si des infographies ont été développées dans les jours qui ont suivi ces annonces, celles-ci ne sont pas accessibles ou compréhensibles par tous. 

« Le discours du gouvernement, qui marque une distinction entre les autochtones et « les autres » peut mener à une division entre Kényans et étrangers. »

Une certaine inquiétude persiste, liée à l’annonce systématique de statistiques sur les « Kényans et les étrangers ». Le discours du gouvernement, qui marque une distinction entre les autochtones et « les autres » peut mener à une division entre Kényans et étrangers. Cette division pourrait, par la suite, mener à des troubles à l’ordre public. 

Quelle est la situation actuelle ?

Un mois s’est maintenant écoulé depuis ces premiers cas. Le Kenya a recensé presque 200 cas positifs (197 cas, 8 décès et 25 guérisons) au Covid-19 depuis le vendredi 13 mars et se prépare à beaucoup plus. Des mesures gouvernementales ont été prises, comme dans beaucoup d’autres pays, depuis le 22 mars 2020:

  • Fermetures des écoles ;

  • Fermeture des restaurants et bars ;

  • Suspension des vols étrangers à compter du 25 Mars 2020 (à l’exception des vols cargo );

  • Quarantaine obligatoire à la charge de l’individu ;

  • Pas de confinement mais une distanciation sociale obligatoire ;

  • Restriction sur les congrégations dans les églises, mosquées et toute réunion collective ;

  • Services funéraires restreints à la famille proche uniquement ;

  • Demande du gouvernement d’éviter autant que possible la monnaie papier pour privilégier la monnaie par téléphone mobile tels que le M-Pesa.

Fin mars, des mesures économiques spéciales ont été partagées par le président Kenyatta avec le parlement. Ces mesures incluent une baisse de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qui diminue de 16% à 14%, la non-imposition des salaires les plus bas (en dessous de 200 euros par mois), et une baisse du salaire du président de 80% et d’autres représentants gouvernementaux. 

« Des restrictions accrues ont été annoncées, fin mars 2020, pour toute personne ayant voyagé depuis l’étranger. Une liste de 57 établissements validés pour les périodes de quarantaine, maintenant obligatoires, a été partagée et appliquée de manière ferme. »

Des restrictions accrues ont également été annoncées, fin mars 2020, pour toute personne ayant voyagé depuis l’étranger. Une liste de 57 établissements validés pour les périodes de quarantaine, maintenant obligatoires, a été partagée et appliquée de manière ferme. Ces établissements, pour la plupart des hôtels de la capitale mais aussi des universités, appliquent des taux journaliers allant de 35 euros à 90 euros la nuit. Les frais sont imputables aux personnes ayant voyagé. Ceci a mené à beaucoup de confusion et de frustration : certains hôtels avaient fermé à l’annonce des premiers cas du Covid-19 et n’étaient ainsi pas préparés pour cet afflux, d’autres n’avaient pas les équipes de maintien nécessaire, et plus largement, les frais sur 14 jours de quarantaine ont représenté un coût financier particulièrement élevé pour les personnes concernées. 

Au courant du mois d’avril 2020, le gouvernement a annoncé des mesures spéciales telles que :

  • le port du masque obligatoire dans tous les espaces publics mais également dans les véhicules de transport, privés ou publics. Un non-respect du port du masque, par exemple en voiture, pourrait mener à 200 euros d’amende ou l’équivalent de six mois d’emprisonnement ;

  • une limitation des déplacement sur des zones spécifiques, notamment pour la capitale et les villes de la côte kenyane, interdisant ainsi tout mouvement vers et depuis ces zones. Alors que les mouvements sont autorisés par exemple dans la ville de Nairobi, il n’est plus possible de sortir ou d’entrer dans la ville. Ceci a surtout servi à éviter des mouvements de population pour les fêtes de Pâques.

Le vendredi 10 Avril 2020, le gouvernement a également annoncé une augmentation des tests de dépistage du Covid-19, qui seront ainsi datés de manière plus systématique, prévoyant ainsi – et prévenant la population – d’une hausse certaine des statistiques liées au nombre de cas de coronavirus dans le pays. Alors qu’au mois de mars 2020, le test s’appliquait seulement aux populations entrées en contact avec des personnes testées positives (environs 2500 personnes placées en quarantaine dans différents hôtels), il est donc prévu que ces tests soient maintenant appliqués dans d’autres zones à risque. Le gouvernement a ainsi rappelé que le Kenya reste l’un des pays les plus actifs sur le plan du dépistage.

D'une manière générale, est-ce que la population applique scrupuleusement les règles et restrictions mises en place ?

Le gouvernement a dû pénaliser le non-respect des directives afin que celles-ci soient appliquées par le plus grand nombre. Il n’est plus possible depuis le 7 avril 2020 par exemple d’entrer dans un supermarché sans un masque.

Cependant, trois types d’inquiétudes persistent.

Tout d’abord, le gouvernement a révélé en mars 2020 que certaines directives n’étaient pas respectées par des membres du gouvernement. Ceci est par exemple le cas du sous-gouverneur de Kilifi qui a refusé de se mettre en quarantaine, et a ensuite été testé positif au virus. Cette violation de la quarantaine est assez répandue et a donc donné suite à une quarantaine obligatoire dans les établissements publics.

De nombreux bars continuaient à opérer illégalement ou en cachette, malgré les directives du gouvernement. La police locale est chargée de s’assurer de l’application des décisions nationales au niveau local. 

« Certains quartiers sont à risque accru, notamment les bidonvilles répandus dans la capitale où les standards d’hygiène et de logements ne permettent pas aux populations vulnérables de respecter les consignes de distanciation sociale, ou même simplement de se laver les mains régulièrement. Il n’y a pas eu d’annonces ou de mesures spéciales prises pour ces populations. »

Finalement, certains quartiers sont à risque accru, notamment les bidonvilles répandus dans la capitale où les standards d’hygiène et de logements ne permettent pas aux populations vulnérables de respecter les consignes de distanciation sociale, ou même simplement de se laver les mains régulièrement. Il n’y a pas eu d’annonces ou de mesures spéciales prises pour ces populations.

Ces risques s’appliquent aussi aux camps de réfugiés du pays – dans le nord-est à Dadaab et dans le nord-ouest les camps de Kakuma et de Kalobeyei. Alors qu’aucun cas de Covid-19 n’a encore été révélé dans ces camps, les agences des Nations Unies y appliquent des mesures de prévention, en lien avec le plan de réponse global instauré par le secrétaire général des Nations Unies, Antonio Gutteres.

Quelle est la situation médicale au Kénya ?

La grande crainte est que les services médicaux soient surchargés, et que les établissements publics n’aient pas les moyens de répondre à la demande. La seconde inquiétude est celle des tests, et des kits à disposition des médecins. Le Kenya est-il capable ensuite d’évoluer vers des méthodes de tests actifs plutôt que passifs ? Cette question s’est posée pendant le premier mois de la pandémie, et le gouvernement y apporte actuellement des réponses. 

Au tout début avril, le gouvernement a rappelé à sa population que les tests sont gratuits, pour tous ceux qui remplissent les critères énoncés. Lors de l’annonce du 10 avril 2020, le ministère de la Santé a stipulé que le Kenya allait commencer dès à présent le dépistage automatique. Avec des pronostics estimant le nombre de cas à 10 000 d’ici la fin avril dans le pays, les prochaines semaines seront cruciales pour le pays.

Au quotidien, qu'est-ce que cela change pour vous ?

Nous partageons notre journée, comme tout le monde, entre travail et cours à distance pour les enfants. En tant qu’entrepreneure, co-directrice et fondatrice de Samuel Hall, une entreprise sociale dédiée à la recherche dans les milieux de l’humanitaire et du développement, notre travail n’a pas encore été affecté. Nos bureaux s’étendent de l’Afrique de l’Est, à l’Afrique du Nord et à l’Asie Centrale. Toutes ces zones – et donc nos équipes – sont aujourd’hui en mouvement restreint ou en confinement. Nos pronostics prévoient un ralentissement possible en juillet 2020 mais nous serons d’ici là en mesure de couvrir les salaires de nos 55 employés sur trois continents (Afrique, Asie et Europe). 

« Notre mandat reste d’informer les politiques et décisionnaires sur les mesures nécessaires pour veiller au bien-être de populations marginalisées ou vulnérables. Nous allons donc nous assurer, pendant cette période, que leurs besoins sont communiqués aux décisionnaires, pour que la protection soit étendue aux populations migrantes, déplacées ou vulnérables. »

Ce qui est vital pour nous dès à présent, c’est d’adapter nos méthodes de recherche pour une situation de pandémie, et de former nos équipes sur l’utilisation de ces nouvelles méthodes. Nous nous rapprochons de nos partenaires académiques pour nous calquer sur les dispositifs pris au niveau mondial. Nous avons depuis dix ans un réseau de chercheurs locaux, d’organisations partenaires, et de représentants communautaires qui continuent à nous relayer les informations du terrain. L’utilisation d’outils de communication et technologiques est crucial pour nous, puisque notre mandat reste d’informer les politiques et décisionnaires sur les mesures nécessaires pour veiller au bien-être de populations marginalisées ou vulnérables. Nous allons donc nous assurer, pendant cette période, que leurs besoins sont communiqués aux décisionnaires, pour que la protection qui s’étend, par exemple, aux citoyens des pays du Sud, soit aussi étendue aux populations migrantes, déplacées ou vulnérables.





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