Covid-19 : Une mission pour protéger nos anciens
Particulièrement touchées par l’épidémie de Covid-19, les personnes âgées souffrent également de la solitude et de l’isolement accrus par les mesures de confinement. Face à ce constat, le ministre de la Santé, Olivier Véran, a souhaité la création d’une mission pour lutter contre l’isolement des seniors en période épidémique, dont le premier rapport d’étape et les premières recommandations ont été dévoilés le 6 avril. Nommé à la tête de cette mission, l’ancien député et président du conseil général de l’Essonne Jérôme Guedj va devoir coordonner la mobilisation nationale. Pour Émile, il revient sur les objectifs et les enjeux de sa mission.
Vous avez souhaité remplir votre mission en partant du terrain. À qui souhaitez-vous vous adresser en particulier pour coordonner le plus efficacement possible la lutte contre l’isolement des personnes âgées ?
Cette crise dramatique, particulièrement mortifère pour les personnes âgées, a mis en lumière une bonne nouvelle : la disponibilité de notre société pour lutter contre l’isolement des plus fragiles. Famille, voisins, bénévoles, aidants, acteurs de la vie économique et sociale, entreprises, mutualistes, organismes de protection sociale, associations, collectivités locales, c’est un écosystème pluriel et dynamique qui s’est mobilisé dès les prémices de la crise. Le plus souvent hors de tout cadre public.
C’est donc avec l’ensemble de ces acteurs que j’ai souhaité travailler, en partant de l’existant et de l’ensemble des solutions innovantes et bonnes pratiques développées dans les territoires. La clé du succès de ce plan de mobilisation nationale, c’est bel et bien le dynamisme de l’ensemble des forces vives, mais aussi de prolonger le formidable élan de solidarité actuel.
Je le clame haut et fort : il y a les gestes barrière pour endiguer la propagation du virus, il faut aussi appliquer les gestes solidaires pour démultiplier les gestes de solidarité. J’en profite pour saluer la solidarité dont j’ai moi-même bénéficié, puisque un, puis deux, étudiants de Sciences Po m’ont contacté pour m’aider bénévolement dans mon travail et ils n’ont pas chômé vu le rythme ! Mon message pour les Français, c’est donc « téléphonez, téléphonez, téléphonez », prenez des nouvelles de vos proches, aidez vos voisins et engagez-vous dans la vie associative et le bénévolat !
Vous avez remis le 6 avril dernier un premier rapport au ministre des Solidarités et de la Santé. Quelles recommandations figurent dans ce rapport et quelles sont les mesures d’ores et déjà prises par le gouvernement à destination des personnes âgées ?
Ce premier rapport d’étape formule 42 recommandations, dont certaines ont été immédiatement reprises par Olivier Véran. Ainsi d’un numéro vert national d’écoute, de soutien psychologique et d’orientation pour les personnes isolées et fragiles : un partenariat étroit avec l’État va permettre de démultiplier les capacités d’écoute du numéro mis en place par la Croix-Rouge dès le 20 mars, tandis que plusieurs entreprises et mutuelles que j’ai contactées une à une ont gracieusement mis à disposition des écoutants.
Nous travaillons également à favoriser le partage et la capitalisation des initiatives, pour que chacun puisse s’en saisir et se les approprier : une plateforme gouvernementale sera lancée dans les prochains jours et constituera le portail de référence de tous les acteurs de la lutte contre l’isolement des personnes âgées.
Enfin, Olivier Véran m’a demandé jeudi 18 avril plus spécifiquement de réfléchir à l’allègement des conditions de confinement en Ehpad et de détailler les modalités précises de reprise des visites des familles et des bénévoles. Concilier nécessaire protection des résidents et rétablissement du lien avec les proches, c’est l’enjeu d’un deuxième rapport d’étape remis le 18 avril et qui a débouché sur les annonces du Premier ministre le dimanche 19 avril. Un sprint pour concerter et produire les recommandations et une mise en oeuvre immédiate.
Les maires, les élus locaux, les acteurs associatifs, les professionnels des Ehpad et des services à domicile, se sont mobilisés et engagés auprès des personnes âgées pendant cette crise qui les touche si durement. Quelles leçons tirez-vous de cette mobilisation pour nos anciens ? Le maillage de protection et d’aide apportées aux personnes âgées est-il toujours efficace ?
Les élus locaux, les associations et les professionnels du soin et de l’accompagnement n’ont pas attendu des directives nationales pour se mobiliser pendant cette crise. Leur investissement immédiat et conséquent a été salutaire, ils déploient au quotidien des trésors d’imagination et d’inventivité pour répondre au cas par cas aux situations.
Cette crise témoigne du rôle indispensable, éminemment noble, des professionnels du soin et de l’accompagnement, ces « invisibles de la solidarité » que plus personne ne peut ignorer. Mais aussi de l’engagement de longue date d’associations sur ces questions, et du rôle fédérateur des élus locaux dans la coordination des réponses.
C’est bien à l’échelle locale que peut s’organiser le repérage et la réponse aux enjeux de fragilité ; c’est pourquoi j’ai proposé la création dans chaque mairie de cellules de coopération territoriale. L’idée est de structurer un réseau déjà existant, les acteurs du sanitaire, du médico-social et du social, pour transmettre et partager l’ensemble des demandes touchant à l’isolement.
À travers cette coopération renforcée, il s’agit d’éviter que quiconque ne passe à travers les radars de la solidarité nationale, mais aussi d’aller au-devant des plus fragiles, pour apporter des réponses concrètes à leurs besoins essentiels quotidiens. D’autant plus avec un confinement prolongé au-delà du 11 mai qui sera fortement recommandé pour les plus fragiles
En 2006, le ministre de la Santé Xavier Bertrand, avait gagné un arbitrage épique contre Bercy grâce à Jacques Chirac. Le président avait eu cette phrase : « On ne mégote pas avec la santé des Français. ». Pensez-vous qu’il en est de même aujourd’hui ?
Avec la santé des Français… et avec l’isolement des plus fragiles, ai-je envie de rajouter. Cette forme de confinement permanent des aînés, que les Petits Frères des Pauvres qualifient de « mort sociale », ne peut plus rester le parent pauvre de nos politiques sociales.
Au-delà, dans la continuité des précédents rapports et travaux sur la question, c’est une ambitieuse réforme sur le grand âge et l’autonomie que le secteur attend et dont il a tant besoin. Le président de la République a parlé du nécessaire « plan massif pour les aînés » de l’après-crise. L’enjeu est d’aborder sereinement et de réussir la révolution de la longévité.
Santé, mobilité, logement, évolution des établissements et des services, moyens humains et financiers, priorité donnée à la prévention : ces sujets devraient mobiliser l’ensemble des acteurs dans les prochaines années, et ce de manière transversale. Si l’objectif de ma mission est de répondre aux conséquences délétères de la crise, il est tout autant de poser les jalons d’une mobilisation pérenne pour que perdure cette attention à l’autre et que la puissance publique pense continuellement son action à travers un œil de vieux.
Jérôme Guedj tient à saluer le travail des étudiants de Sciences Po, Nicolas El Haik-Wagner et Lola de la Hosseraye, qui l’aident bénévolement dans sa mission.