Jean-Louis Vaez-Olivera, médecin au cœur de la crise : "L’obsession budgétaire conduit toujours à des impasses"

Jean-Louis Vaez-Olivera, médecin au cœur de la crise : "L’obsession budgétaire conduit toujours à des impasses"

Face à l’urgence de la crise sanitaire, Jean-Louis Vaez-Olivera, médecin réanimateur devenu directeur de structures sanitaires en France et à l’étranger a « repris sa blouse blanche » et intégré les équipes Covid de l’hôpital de Poissy-Saint-Germain-en-Laye. Pour Émile, il revient sur son expérience et les difficultés rencontrées ces deux derniers mois. Au-delà des pénuries d’équipements médicaux, la crise du coronavirus a mis en exergue, selon lui, le manque de moyens mais surtout le manque de gestion au sein des hôpitaux français.

Patient en réanimation (Crédits photo: Halfpoint/ Shutterstock)

Patient en réanimation (Crédits photo: Halfpoint/ Shutterstock)

Qu’est-ce qui vous a poussé à « reprendre votre blouse blanche » et à intégrer les équipes Covid19 des hôpitaux de Poissy et Saint-Germain-en-Laye ?

Ce qui doit être fait doit être fait ! On n’a pas été médecin au SAMU par inadvertance. Conscient de mes lacunes, j’ai cependant pu apporter ma contribution grâce à l’organisation pragmatique de l’équipe médicale (en binôme) dans ces circonstances particulières.

« Le plus dur pour l’équipe a été d’affronter une forte mortalité à laquelle la majorité des soignants n’était pas habituée. »

Pouvez-vous nous décrire votre expérience « sur le front » pendant cette crise ?

Les unités Covid étaient essentiellement composées de volontaires des différents services hospitaliers et de néo-retraités, ce qui générait une dynamique très positive. Les premières semaines, on naviguait à vue avec un nouveau protocole de soin par jour ; puis progressivement un standard de prise en charge thérapeutique a été élaboré. Le plus dur pour l’équipe a été d’affronter une forte mortalité à laquelle la majorité des soignants n’était pas habituée dans un service qui n’était pas une réanimation. Difficile aussi de dialoguer avec certains patients et leurs familles dans un climat de stress médiatique intense et une incompréhension des contraintes liées aux maladies infectieuses (insultes reçues pour imposer au médecin la prescription du fameux traitement n’ayant d’ailleurs toujours pas fait ses preuves...) ; heureusement la grande majorité des patients et leurs familles nous bombardaient plutôt de nourriture... ce qui était très réconfortant !

Avez-vous été confronté à la pénurie d'équipements sanitaires ? Comment a-t-elle été surmontée ?

La débrouillardise et le dévouement des cadres infirmiers (merci Jennifer et Ahmed) nous ont permis de toujours avoir le minimum indispensable en termes d’équipements de protection même si périmés ou à usage unique... devenu multiple ! En revanche, la mauvaise qualité du matériel non médical, en particulier le matériel informatique non performant et les locaux inadaptés, pénalisait très fortement les équipes : un handicap de plus dans le contexte Covid-19 mais avant tout inadmissible au quotidien.

« La mauvaise qualité du matériel non médical, en particulier le matériel informatique non performant et les locaux inadaptés, pénalisait très fortement les équipes... »

Pensez-vous que notre système hospitalier sera en mesure d'accueillir une nouvelle vague de patients du Covid-19, en cas d'une nouvelle flambée du nombre de malades suite au déconfinement ?

En cas de deuxième vague, nous serons mieux armés car nous connaissons mieux l’adversaire. Il faut espérer que les stocks de produits indispensables seront reconstitués en temps et heure. Concernant les personnels, nous n’avons tenu que grâce à l’engagement de certains (implication, sens de l’intérêt général et du devoir médical). On ne sera donc prêt que si l’on s’appuie sur ces personnes révélées par le Covid-19, qu’ils soient soignants ou non, publics ou privés. Il serait très démotivant que ceux qui ont fui le combat reprennent leurs petits pouvoirs et leurs ambitions carriéristes comme si de rien n’était ! Ne faisons pas en mai 2020 les mêmes erreurs qu’en mai 1945…

Les locaux de certains hôpitaux publics en France se révèlent décrépis et inadaptés. Ici le centre hospitalier de Longjumeau en Essonne (Crédits photo: Véronique PAGNIER/ WikipediaCommons)

Les locaux de certains hôpitaux publics en France se révèlent décrépis et inadaptés. Ici le centre hospitalier de Longjumeau en Essonne (Crédits photo: Véronique PAGNIER/ WikipediaCommons)

Au cours de la crise, vous avez travaillé sur deux sites. Avez-vous constaté des différences ?

Les sites de Poissy et Saint-Germain-en-Laye sont regroupés dans la même structure donc « gérés » de manière homogène. L’état de décrépitude des locaux marque dans les deux cas un absolu non-respect des personnels et des patients ! Je ne suis pas certain qu’il s’agisse uniquement d’un manque de moyens mais plutôt d’un manque de gestion. Ceci est, en partie, explicable par les interférences politiques ayant fortement impactées la construction d’un projet cohérent. Deux sites ? un site unique à Chambourcy ? un nouvel hôpital ? une extension de site avec maintien de l’existant ? Ces atermoiements sur plus d’une décennie ont conduit à une démotivation des personnels, générant un fort turnover au détriment de la qualité des soins, un gâchis d’argent public et surtout une absence de projet médical structuré laissant alors place à des solutions opportunistes.

« L’état de décrépitude des locaux marque un absolu non-respect des personnels et des patients ! Je ne suis pas certain qu’il s’agisse uniquement d’un manque de moyens mais plutôt d’un manque de gestion. »

L’organisation des services reste la même que celle que j’ai connu étudiant, il y a plus de 35 ans... inattendu vu l’évolution profonde de la prise en charge des patients et des outils de gestion !

Quant au profil des patients, il faut souligner le nombre de comorbidités graves ignorées ou non traitées (obésité, HTA, diabète…) : l’absence de prise en charge curative et préventive de certaines populations défavorisées pèse au final lourdement sur l’ensemble du système sanitaire.  

Selon vous, quel bilan pouvons-nous tirer de la crise du Covid-19 concernant notre système hospitalier ? Cette crise a-t-elle mis en exergue certaines failles ? Avons-nous des pistes pour y remédier ?

Grâce au dévouement, à la qualité professionnelle et à l’engagement de certains, le système a « tenu », et ce malgré des failles profondes :

  • Une très mauvaise collaboration entre les différents acteurs du Public, du Privé lucratif et non lucratif, alors que des soignants issus de ces différentes structures étaient volontaires et disponibles ;

  • Une hyper-centralisation pathologique : toute décision locale dépendant d’une cascade d’approbations bureaucratiques. En Suisse, le système fédéral cantonal permet une meilleure adaptation au réel ;

  • Une fracture entre soignants et administration : en deux mois, je n’ai jamais vu un membre de la Direction Générale parmi nous…

Les pistes sont infinies pour améliorer le système, focalisons-nous sur ce que Sciences Po peut promouvoir !

Dauphine a créé le MIAGE (Méthodes informatiques appliquées à la gestion des entreprises) pour remédier au retard de l’informatisation des entreprises. Un Master d’informatique appliqué à la gestion sanitaire, ouvert aux personnels médical et paramédical permettrait de mieux utiliser le formidable potentiel offert par l’informatisation en termes de soins et de gestion.

De plus, il faudrait rendre obligatoire pour tout étudiant postulant à l’EHESP (Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique) un CDD de 3 mois comme Agent des Services Hospitaliers dans une structure sanitaire pour enraciner leur connaissance du terrain.

Il faudrait également créer des passerelles permettant aux soignants expérimentés de pouvoir être formés à la gestion des hôpitaux .

On n’a jamais guéri un malade en soignant son thermomètre : l’obsession monomaniaque budgétaire ou financière — EBITDA — conduit toujours à des impasses !


Témoignage du docteur Catherine Veyssier-Belot

En charge des unités Covid sur le site de Poissy, CHI de Poissy-Saint-Germain-en-Laye (CHIPS)

“L'épidémie de Covid-19 a été une situation de crise et nous avons dû adapter, de manière exceptionnelle et en très peu de temps, notre organisation.

L’épidémie a mobilisé sur le terrain du soin, directement, un grand nombre d'acteurs. Elle a aussi eu pour effet de décloisonner : les spécialités ont fonctionné ensemble auprès de ce nouveau type de patients, qui ont occupé tout de même 6 unités, plus la réanimation, soit à un moment donné près de 150 patients. Les hôpitaux du GHT (groupement hospitalier de territoire) ont aussi été ré-organisés pour accueillir les patients en environnement Covid ou au contraire non-Covid.

La direction a été très présente et à l'écoute pour nous aider à gérer cet afflux massif de patients, avec par exemple des réunions de crises bi-hebdomadaire pendant des semaines, une grande réactivité sur l'emploi de nouveaux collègues au sein des unités Covid pour faire face et une grande réactivité sur la fermeture ou l'ouverture de salles d’hospitalisation ou sur l’organisation des plannings des soignants, là encore pour faire face. Le mot d’ordre était de s’adapter et d’anticiper les difficultés en modulant l’organisation en amont le plus possible. 

J'ai vécu cette période, très dure, comme un rapprochement et une collaboration resserrée. Et personnellement, ainsi que le médecin coordonnatrice des unités Covid, nous avons été en rapport avec le DAM (directeur des affaires médicales) très fréquemment (présent aux urgences en cas d’afflux massif et de difficultés d’admission d’aval), et avons visité avec la DG (directrice générale) les unités Covid. La mobilisation s’est faite conjointement pour assurer au mieux cette période de soins totalement inédite.”



 

 

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