Marlène Schiappa : "Nous avons tout de suite su que le confinement serait un terreau favorable aux violences conjugales"

Marlène Schiappa : "Nous avons tout de suite su que le confinement serait un terreau favorable aux violences conjugales"

Le confinement imposé par la situation sanitaire a mené à une accélération du cycle de la violence au sein des couples et des familles. Selon la branche Europe de l’Organisation Mondiale de la Santé, les États membres ont fait état d'une augmentation allant jusqu'à 60% en avril des appels d'urgence de femmes victimes de violences de la part de leur partenaire, par rapport à l’année dernière. Face à cette situation de crise, comment l’État français a-t-il réagi pour faciliter le dépôt de plainte et la mise en sécurité des victimes ? Quels dispositifs efficaces pourront être pérennisés pour prévenir ces violences ? Marlène Schiappa, ancienne secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations, a répondu aux questions d’Émile.

Marlène Schiappa à la tribune de l'ONU lors de l'ouverture de la 63e session de la conférence sur la condition féminine en mars 2019 (Crédits photo: Nantilus/ WikipediaCommons)

Marlène Schiappa à la tribune de l'ONU lors de l'ouverture de la 63e session de la conférence sur la condition féminine en mars 2019 (Crédits photo: Nantilus/ WikipediaCommons)

Vous avez annoncé que le nombre d’interventions à domicile relatives aux violences intrafamiliales pendant le confinement a augmenté de 44 %. Par ailleurs, les appels vers le dispositif d’accueil de l’enfance en danger (119) ont augmenté de 90 % sur les trois premières semaines du mois d’avril. Aviez-vous anticipé cette dégradation rapide de la situation des femmes et enfants victimes de violence ?

Le confinement est venu percuter l’histoire personnelle et familiale de chacun. Cette situation où les exutoires sont moins nombreux a pu parfois créer de l'anxiété, des tensions, à cause par exemple de l’école à la maison… Lorsque vous vivez avec une personne violente, la situation peut dégénérer à tout moment.

Votre ministère a mis en place rapidement des dispositifs d’urgence pour venir en aide aux femmes et enfants victimes de violence. La protection de ces publics en danger a-t-elle été une priorité pour le gouvernement confronté à une crise sanitaire sans précédent ?

La lutte contre les violences conjugales est, et a toujours été, l’une des priorités du gouvernement. C’est le premier pilier de la grande cause du quinquennat du Président de la République, et le Grenelle des violences conjugales organisé de septembre à novembre de l’année dernière a mobilisé, derrière le Premier ministre, l’ensemble du gouvernement. Nous avons tout de suite su que le confinement serait un terreau favorable aux violences conjugales, c’est la raison pour laquelle nous avons agi rapidement. Nous avons par exemple immédiatement financé 20 000 nuitées d’hébergement et mis en place une plateforme d’hébergement des auteurs de violences, avec le Groupe SOS, pour mettre fin à la cohabitation avec les auteurs de violences et protéger les femmes confinées avec leur conjoint violent.

« Notre obsession a été de multiplier les points de contact à destination des victimes, afin que celles-ci puissent se signaler dans tous les lieux restés ouverts pendant le confinement. »

Quelles mesures d’urgence ont été prises par les pouvoirs publics pour faciliter le signalement de violences, voire le dépôt de plainte en pleine période de confinement ?

Notre obsession a été de multiplier les points de contact à destination des victimes, afin que celles-ci puissent se signaler dans tous les lieux restés ouverts pendant le confinement. Nous avons lancé le dispositif d’alerte en pharmacie, donné la possibilité d’alerter les secours par un SMS au numéro 114, ou encore ouvert, avec les associations locales, des permanences dans les centres commerciaux. Nous avons également largement diffusé, notamment sur les tickets de caisse de nombreux magasins, les différents dispositifs d’écoute et de signalement à disposition des femmes victimes de violences. Avec la FNACAV, nous avons également ouvert une ligne d’écoute pour les auteurs, afin d’empêcher le passage à l’acte.

Marche contre les violences sexistes et sexuelles à Paris le 23 novembre 2019 (Crédits photo: Jeanne Menjoulet / WikipediaCommons)

Marche contre les violences sexistes et sexuelles à Paris le 23 novembre 2019 (Crédits photo: Jeanne Menjoulet / WikipediaCommons)

La crainte de nombreuses associations de terrain, c’est le déferlement après le déconfinement de très nombreuses plaintes, qui n’auraient pas pu être déposées. Pensez-vous que les chiffres déjà préoccupants pourraient s’aggraver ?

Nous savons que les signalements et les interventions à domicile des forces de l’ordre pour des faits de violences conjugales ont augmenté pendant la période de confinement. Pour autant, certaines victimes, compte-tenu de la situation sanitaire exceptionnelle, ont pu avoir peur de se déplacer, reporter leur dépôt de plainte. Mais tout cela est difficilement quantifiable, c’est pour cette raison que j’ai confié à la Secrétaire générale de la Mission interministérielle de protection des femmes, Elisabeth Moiron-Braud, une mission sur les violences conjugales en période de confinement. Son rapport, qui me sera remis à l’été, nous permettra d’avoir davantage de visibilité sur ces chiffres.

« J’ai confié à la Secrétaire générale de la Mission interministérielle de protection des femmes une mission sur les violences conjugales en période de confinement. »

Quel premier bilan pouvez-vous tirer des mesures d’urgence mises en place pendant le confinement ? Leur efficacité a-t-elle été démontrée ? Certains dispositifs pourraient-ils être pérennisés ?

L’ensemble des dispositifs mis en place pendant le confinement ont fait leurs preuves. Pendant le confinement, il semblerait – mais je le dis avec énormément de précautions – qu’il y ait eu un féminicide tous les 4,2 ou 4,4 jours, contre tous les 3 jours habituellement. C’est trop, ce sera toujours trop, et nous pérennisons nos dispositifs pour les empêcher. La ligne d’écoute pour les auteurs de violences ouverte avec la FNACAV a pris en charge plus de 500 appels depuis sa mise en service le 6 avril, et une centaine d’auteurs ont accepté un accompagnement psychologique. Jusqu’à 91 points d’accompagnements ont été ouverts dans les centres commerciaux partout sur le territoire. Le dispositif d’alerte en pharmacie a offert une couverture exceptionnelle grâce aux 21 200 officines réparties partout en France.

« Pendant le confinement, il semblerait qu’il y ait eu un féminicide tous les 4,2 ou 4,4 jours, contre tous les 3 jours habituellement »

Enfin, le fonds spécial de 1 million d’euros est venu aider les associations de terrain accompagnant des femmes victimes de violences, qui ont brillamment continué à assurer leurs missions pendant le confinement. Nous avons apporté notre soutien à des projets d’équipement parfois très basiques, comme l’achat de matériel de travail à distance, ou bien des supports techniques pour la continuité de dispositifs d’écoute et d’accompagnement. Plus de 250 associations locales ont été ainsi aidées à poursuivre leur mission, et le budget supplémentaire que nous avons obtenu nous permettra d’en soutenir d’autres pendant la période de déconfinement.



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