Les coulisses de la chute de l’URSS
Le 26 décembre 1991, au terme de plusieurs années d'instabilité politique chronique, la dissolution de l'URSS est officiellement prononcée. Cet épisode de l'histoire soviétique soulève encore aujourd'hui de nombreuses questions. Comment l'URSS en est-elle arrivée là ? Quelles réformes ont été envisagées pour tenter d'éviter sa chute ? Pendant ces années charnières, Christian Mégrelis (promo 1965) a été au plus près du pouvoir russe. Seul économiste étranger au sein du cabinet de Mikhaïl Gorbatchev, il vient de publier Le naufrage de l'Union soviétique : choses vues, un ouvrage qui permet de s'immerger dans les coulisses du pouvoir soviétique. Il raconte son expérience à Émile.
Propos recueillis par Charlotte Canizo et Maïna Marjany
Après plusieurs années passées au ministère de la Défense et au sein du monde de l’entreprise, vous avez rejoint, à la chute du mur de Berlin, le cabinet du Président de l’URSS et son Premier ministre afin de sensibiliser les élites économiques et politiques mondiales aux changements de la perestroïka. Comment avez-vous été introduit à ce poste ?
Je suis arrivé au Kremlin via l’Académie des Sciences de l’URSS, section « Économie » à travers des contacts privés que Chantal, mon épouse, avait avec des professeurs de russe voisins. Au vu des changements en cours, je me suis décidé et tout est allé très vite. La ville de Moscou devait élire sa première municipalité non communiste et Gavriil Popov, candidat, était devenu un proche de Gorbatchev et son candidat favori. Or, celui-ci était un de mes premiers contacts à l’Académie des Sciences. Et, de surcroît, nous avions la même origine : grecs pontiques tous les deux, lui par sa mère et moi par mon père.
J’étais stupéfait par l’enthousiasme de l’Académie pour l’économie de marché. Je me disais qu’il fallait l’utiliser pour forcer le destin. Tous les grands économistes soviétiques, conduits par Aganbeguian et Albalkine, ne rêvaient que de ça. Et, indirectement, comme je le compris un peu plus tard, la même influence se manifestait à Léningrad auprès d’un jeune chef des relations internationales à la Mairie, Vladimir Poutine, via Wassily Leontief, prix Nobel d’économie américano-russe.
En tant que seul économiste étranger dans l’équipe, quel était votre état d’esprit lors de votre arrivée ?
Je fus extrêmement bien accueilli et écouté à tous les niveaux de commandement de l’URSS. Les difficultés sont venues de Jeffrey Sachs et sa « thérapie de choc » qui avait, parait-il, fonctionné en… Bolivie et qui avait visiblement des instructions pour empêcher la réforme, puis pour saboter le Plan des 500 jours. Ce qu’Eltsine lui a permis de faire en éloignant l’Académie des Sciences.
Vous avez joué un rôle de premier plan dans l’élaboration du « Plan des 500 jours ». Une de vos missions principales était de promouvoir les réformes envisagées par le pouvoir soviétique auprès de la communauté internationale. Comment les réformes proposées par ce plan étaient-elles perçues par les pays occidentaux ?
La « Perestroïka », la « Nouvelle pensée » était très bien reçue à l’ouest par les entrepreneurs, mais les politiques pensaient que c’était un piège pour permettre à l’URSS de trouver les crédits dont elle avait un urgent besoin. Au sein de la « Nouvelle pensée », la désétatisation était un noyau dur que le Comité central avait du mal à avaler. Ce fut ma mission que d’organiser des réseaux d’influence et de favoriser les contacts des grands patrons de l’époque avec la haute direction soviétique. Nous avons conduit des conférences sur la Perestroïka économique à Paris, Londres, Madrid, Bruxelles, New York, puis nous avons créé le « Club de Moscou » pour les stars du business qui pouvaient y rencontrer le patron et son Premier ministre, Valentin Pavlov. Maurice Allais y a eu une certaine influence, ainsi que Raymond Barre.
Quelques années après avoir rejoint le cabinet de Mikhaïl Gorbatchev, l’URSS s’est de plus en plus enfoncée dans la crise jusqu’à son effondrement précipité en 1991. Vous attendiez-vous à une chute aussi rapide de l’URSS ?
Non, l’effondrement a été une grande surprise bien que ma proximité avec l’un des comploteurs, Valentin Pavlov, aurait dû me donner des indices. Mais je n’étais pas soviétique…
Même si la perestroïka promue par Mikhaïl Gorbatchev n’a pas abouti, quel héritage principal l’ancien dirigeant de l’URSS a-t-il laissé selon vous ?
L’héritage de Gorbatchev, c’est la sortie du communisme sans guerre civile. Il n’y a aucun exemple dans l’histoire d’une révolution aussi radicale qui se soit faite pacifiquement. J’explique pourquoi dans le livre. La disparition de l’URSS, dont on l’accable dans la Russie profonde, est imputable à Eltsine, pas à lui.
Vous avez joué un rôle-clé au cours des négociations de coopération entre l’Union Européenne et l’ex-URSS. Que pensez-vous de l’évolution des relations russo-européennes ces dernières années ?
En réalité, c’était avant la fin de l’URSS. Je raconte comment j’ai réussi à convaincre le président et son Premier ministre de l’importance de s’appuyer sur l’Union européenne pour contrebalancer l’animosité persistante de Washington. La première visite officielle de Valentin Pavlov à Bruxelles, reçu par Jacques Delors, et la signature des accords TACIS avec l’URSS ont marqué le succès de mes démarches. L’ère Eltsine a vu TACIS se déployer dans toutes les républiques ex soviétiques. Tout a bien fonctionné jusqu’à l’affaire ukrainienne. Depuis, TACIS est plus actif avec les autres républiques de l’ex-URSS qu’avec la Russie.