Covid-19 et élection : récit d'une folle campagne américaine

Covid-19 et élection : récit d'une folle campagne américaine

L'élection présidentielle américaine de 2020 se déroule dans un contexte inédit. La pandémie de Covid-19 qui frappe de plein fouet les États-Unis a complètement bouleversé la campagne. Situation sanitaire, crise économique, traitement médiatique : Raphaël Camp (promo 2001), expatrié français aux États-Unis, nous livre son regard sur cette période exceptionnelle.  

 Propos recueillis par Charlotte Canizo et Maïna Marjany

Joe Biden versus Donald Trump : la course à la Maison blanche. (Crédits : Yalcin Sonat / Shutterstock)

Joe Biden versus Donald Trump : la course à la Maison blanche. (Crédits : Yalcin Sonat / Shutterstock)

La campagne pour l’élection présidentielle de 2020 se déroule dans un contexte tout à fait exceptionnel. Dans l’ensemble, comment les Américains réagissent-ils à la crise sanitaire ?

Le manque de réponse cohérente à la crise du Covid de la part de l’État fédéral et des États fédérés n’a fait que creuser le fossé existant entre les Américains. Une des manifestations de cette division est la remise en question de l’existence du virus lui-même, qui a conduit certains Américains à le considérer comme un canular et à ignorer les recommandations du C.D.C (Centers for Disease Control and Prevention).

L’écart est frappant entre des États républicains, comme la Géorgie ou la Floride, qui ont rapidement poussé leur population à reprendre une activité normale en dépit de la progression galopante de la pandémie, et les États ou villes démocrates, qui ont pris les précautions nécessaires et ont su inciter leurs habitants à adopter les gestes barrières, en particulier à New York où le virus a fait des ravages.

À la différence des Français, les Américains n’ont pas été forcés à rester chez eux, et les autorités s’en sont remis au bon sens de chacun pour rester chez soi et respecter les règles de distanciation. Le point de friction reste néanmoins pour beaucoup le refus des restrictions mises en place par les pouvoirs publics dans la gestion de cette crise sanitaire.

Huntington Beach, Californie / États-Unis - 1er mai 2020 : Des manifestants protestent contre la fermeture des plages et les ordres du gouverneur Gavin Newsom à rester chez soi. (Crédits : Shutterstock)

Huntington Beach, Californie / États-Unis - 1er mai 2020 : Des manifestants protestent contre la fermeture des plages et les ordres du gouverneur Gavin Newsom à rester chez soi. (Crédits : Shutterstock)

Comment les Américains perçoivent-ils la gestion de crise de Donald Trump ? À l’approche des élections, le mécontentement général à son encontre est plus fort qu’auparavant ou a-t-il réussi à se reconnecter à l’électorat qui lui a permis de prendre le pouvoir il y a quatre ans ?

Le président Trump a convaincu ses partisans qu'il pouvait à lui seul les sauver et ils continuent à le suivre aveuglément. Il est très clair pour l’autre moitié de la population que sa réponse tardive (nier le danger de la Covid et ensuite faire croire qu'il va juste disparaître) a conduit à des milliers de morts inutiles. 

Pour ceux qui considèrent sa présidence comme une menace, la véhémence et l’animosité à son égard ne font que croître. Son refus de la crise climatique alors que la Californie est en feu et les histoires récentes de l'ICE (Immigration and Customs Enforcement) séparant les enfants de leurs parents ne font qu'agiter la colère de ceux qui s'opposent à sa présidence et à son administration. 

Mais les disciples de Trump lui restent fidèles, refusant de voir ou de croire qu'il est autre chose qu'un grand homme qui a sauvé l’Amérique, notamment d’une plus grande crise économique. Certains groupes, comme le mouvement conspirationniste QAnon, voient en Donald Trump le seul homme capable de mettre fin à un complot nébuleux, qui serait ourdi par les démocrates. La recrudescence de milices armées pro-Trump, intervenant pour soutenir des commerçants refusant le confinement ou pénétrant dans le capitole du Michigan pour réclamer la réouverture du pays, sont autant de signaux positifs pour les autres partisans de Trump, que ce dernier continue de chauffer à blanc.

« Les disciples de Trump lui restent fidèles, refusant de voir ou de croire qu’il est autre chose qu’un grand homme qui a sauvé l’Amérique, notamment d’une plus grande crise économique. »

Dans ce contexte particulier, avez-vous l’impression qu’ils attendent autre chose des candidats à l’élection présidentielle cette année ? 

Raphaël Camp, CEO d’Eurovet Americas (Comexposium group), vit à New York depuis 2012. (DR)

Raphaël Camp, CEO d’Eurovet Americas (Comexposium group), vit à New York depuis 2012. (DR)

Rarement une campagne américaine se sera déroulée dans un tel climat de tension. D’un côté, pour le camp progressiste, il est vital de faire perdre Donald Trump. De l’autre, pour le camp conservateur, Donald Trump est le seul candidat à même de défendre leurs valeurs. Le candidat démocrate, Joe Biden, ne suscite pas le même enthousiasme que Donald Trump auprès de ses partisans. La crainte que Donald Trump gagne à nouveau a contraint la plupart des électeurs démocrates à nommer un candidat rassurant et modéré face à des personnalités plus radicalement progressistes et ardentes comme Bernie Sanders ou Elizabeth Warren.

Jusqu'à aujourd’hui, l’élection présidentielle américaine se résumait à une question unique, voter pour ou contre Trump. Le récent décès de la juge progressiste à la Cour suprême, Ruth Bader Ginsburg, figure de la lutte pour les droits des femmes, vient de rebattre les cartes de cette élection présidentielle. Pour convaincre la partie de ses électeurs critiques sur sa gestion de la crise, Donald Trump a tout intérêt à jouer sur la fibre conservatrice en s’engageant dans une course pour l’élection d’un nouveau juge avant la fin d’année. Cette bataille pour le contrôle de la plus haute institution judiciaire pourrait aussi mobiliser les électeurs démocrates !

« Le récent décès de la juge progressiste à la Cour suprême, Ruth Bader Ginsburg, figure de la lutte pour les droits des femmes, vient de rebattre les cartes de cette élection présidentielle. »

Quels sont, selon vous, les sujets les plus clivants de cette campagne ?

L’économie est le thème le plus important pour les électeurs américains. Profitant des bons résultats apparents de l’économie américaine, Trump prévoyait d’en faire son principal atout dans sa réélection. Depuis la crise du Covid, le chômage est passé au-dessus de la barre des 10%. Pour une majorité d’Américains, Donald Trump est le mieux placé pour relancer l’économie, même dans les sondages qui placent Joe Biden en tête.

En revanche, Joe Biden est perçu comme le candidat à même de restaurer la paix sociale. Les récents meurtres et violences policières révélés par les médias sociaux ont relancé le mouvement Black Lives Matter et ravivé les tensions raciales au sein du pays. En soutien, certaines villes américaines ont décidé de réduire leurs subventions à la police, ce qui a également provoqué de fortes réactions. Donald Trump, distancé dans les sondages par son rival, a bien compris l’intérêt qu’il avait de se placer comme le candidat de l’ordre et de la loi, et d’attiser la division.

En outre, je pense que d’autres problèmes, moins centraux dans cette élection, sont en ébullition depuis le début de cette année. La crise climatique fait l'objet d'une grande attention, alors que les forêts brûlent en Californie et en Oregon, et que l'administration Trump a autorisé les compagnies pétrolières à forer dans l'Arctique. Enfin, la politique étrangère de Trump est sous le feu des projecteurs. Les États-Unis ont quitté l'accord de Paris sur le climat et sont en train de se retirer de l'OMS. Les Américains, focalisés sur leurs affaires intérieures, ne semblent pas réaliser que ce qui se joue dans cette élection dépasse leurs frontières.

« Les Américains, focalisés sur leurs affaires intérieures, ne semblent pas réaliser que ce qui se joue dans cette élection dépasse leurs frontières. »

Les médias américains traitent-ils cette campagne comme toutes les autres ou la crise sanitaire bouscule-t-elle le traitement médiatique ?

Les médias américains sont tout aussi divisés que le pays lui-même. Les opinions des journalistes se polarisent autour de la personnalité de Trump. On entend souvent que chaque élection est plus importante que la précédente mais cette année, l’élection présidentielle américaine me semble bien plus capitale compte tenu de la crise sanitaire et des implications à long terme des politiques de l’administration actuelle.

Par ailleurs, les campagnes massives de désinformation, l’intervention de puissances étrangères et la résurgence des théoriciens du complot, participent largement à la confusion dans le traitement de l’information. Les électeurs américains ne sont pas nécessairement bien informés et vont aller voter début novembre en glanant des informations au dernier moment. Les sondages montrent aussi que la majorité des Américains ne sont ni passionnés par la politique, ni par cette élection.

« Les campagnes massives de désinformation, l’intervention de puissances étrangères et la résurgence des théoriciens du complot, participent largement à la confusion dans le traitement de l’information. »

Vos activités professionnelles ont-elles été impactées par la pandémie de Covid-19 ? Est-ce le cas de beaucoup de personnes dans votre entourage ?

Je travaille pour Comexposium, un groupe international leader dans l’organisation de salons et de grands événements. En France, nous sommes bien connus pour l’organisation de la Foire de Paris et du Salon de l’agriculture. Mon secteur professionnel a été bien sûr très touché par cette crise. Au moment où nous parlons, la filiale que je dirige aux États-Unis a lancé un salon digital pour remplacer le salon physique qu'il produit depuis 15 années. Cela a été l’occasion d’innover et de revoir entièrement notre offre. Cela ne suffit malheureusement pas à maintenir les bénéfices de l'entreprise, et nous avons été obligés de nous séparer d’une partie de nos employés. Parmi les membres de ma famille et mes proches, il y a des artistes, des restaurateurs et beaucoup d'autres qui ont été fortement touchés par cette pandémie et continuent de lutter pour retrouver un emploi. Le prochain trimestre s’annonce difficile, nous ne sommes pas encore sortis du tunnel.

Êtes-vous optimiste sur la capacité des États-Unis à se relever économiquement de la pandémie ? Qu’en est-il des Américains, sont-ils très inquiets pour l'avenir économique du pays ?

Tout comme lors de la crise économique de 2008, je crois que les Américains pensent que leur nation est trop grande pour échouer. L’élasticité légendaire de l’économie américaine et les performances record de la bourse sont des raisons pour lesquelles beaucoup d’Américains ne semblent pas trop préoccupés pour l’avenir économique de leur pays. Pourtant malgré la croissance, le secteur manufacturier était en récession depuis 2018, signe d’une dynamique mauvaise pour l’industrie américaine. 

« L’élasticité légendaire de l’économie américaine et les performances record de la bourse sont des raisons pour lesquelles beaucoup d’Américains ne semblent pas trop préoccupés pour l’avenir économique de leur pays. »

Par ailleurs, la pandémie a poussé les familles les plus aisées à déserter les centres villes et à se réfugier dans des maisons en banlieue. Cette migration, si elle s’avérait pérenne, risquerait de décimer l’économie locale et d’entrainer la faillite des grandes villes, qui connaissent déjà de sérieux problèmes pour financer leurs infrastructures publiques. À New York, où je vis, la plupart des magasins sont encore fermés, de plus en plus de sans-abris sont dans la rue, et si l’épidémie semble dorénavant maîtrisée (avec un taux de contamination extrêmement bas), la ville ne parvient pourtant pas à retrouver son dynamisme et ses attraits d’avant la crise sanitaire.



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