Élections italiennes : le pari raté de l'extrême-droite
Les Italiens étaient appelés aux urnes dimanche dernier. Sept régions – plus de 20 millions d’habitants – devaient élire leurs présidents. Dans trois d’entre elles, une possible victoire de la droite aurait lourdement handicapé le gouvernement de Giuseppe Conte, coalition formée il y a un an entre le Mouvement 5 Etoiles (M5S) et le Parti démocrate (PD, centre gauche). Les Italiens devaient également se prononcer par référendum sur la diminution d’un tiers du nombre de parlementaires, une promesse électorale du M5S. Comment analyser les résultats de ces élections ? Quelles conséquences pour la scène politique italienne ? Quel est l’impact de la pandémie de Covid-19 sur ce scrutin ? Émile est allé interroger Marc Lazar, professeur en histoire et sociologie politique, directeur du Centre d'histoire de Sciences Po, spécialiste de la vie politique italienne, pour mieux comprendre le résultat de ces deux scrutins.
Propos recueillis par Sandra Elouarghi
Le gouvernement d’union de Giuseppe Conte, qui rassemble le Mouvement 5 Étoiles et le Parti démocrate (PD, centre gauche), redoutait le scénario catastrophe qui aurait vu la Ligue emporter trois des quatre régions actuellement à gauche (la Campanie, les Pouilles et la Toscane). Cette vague n’a finalement pas eu lieu. Comment analysez-vous cette bonne performance de la gauche aux élections ?
La gauche, le Parti démocrate (PD) en l’occurrence, a perdu les Marches, une région qu’elle dominait depuis un quart de siècle. Mais si elle a tenu dans les autres cela tient à divers facteurs. La Toscane a une longue tradition de gauche, socialiste à la fin du XIXème siècle, communiste après la deuxième guerre mondiale, puis après la fin du Parti communiste italien en 1991, elle a été gérée par les diverses formations de gauche qui ont émergé : le Parti démocratique de la Gauche, les Démocrates de gauche et donc désormais le PD. Cette région a beaucoup changé et le PD n’est plus du tout structuré comme l’était le PCI. Cependant, il existe encore un maillage territorial qui permet de mobiliser les électeurs face au danger que représentait la Ligue, laquelle a néanmoins énormément progressé. En outre, le candidat du PD a su attirer sur son nom les électeurs qui votaient auparavant Mouvement 5 étoiles.
En Campanie et dans les Pouilles, le succès du centre gauche comme on dit en Italie s’explique par la forte personnalité des présidents sortants, Vincenzo De Luca et Michele Emiliano, au style haut en couleurs. À l’évidence, la gestion de leurs territoires, notamment lors de l’épidémie de la Covid-19, a été appréciée par les électeurs même si leurs pratiques ont aussi suscité des controverses parce qu’elles ont parfois pris des aspects clientélistes.
Les résultats de ces élections ont donc plutôt conforté la coalition au pouvoir. Le gouvernement actuel peut-il avoir bénéficié de l’impact positif de sa gestion de la crise du Covid-19 ?
C’est très difficile à dire. Le président du Conseil bénéficie d’une popularité élevée du fait de son action durant la crise sanitaire. Cette popularité est due autant à sa position institutionnelle – il est le chef du gouvernement et les Italiens attendaient et attendent encore de la protection de l’Etat – qu’à sa personne qui progressivement s’est imposée. Cela ne signifie pas qu’il aurait du succès s’il se lançait un jour dans l’arène électorale.
Les électeurs se sont prononcés avant tout par rapport aux enjeux de leurs régions plus que par rapport aux enjeux nationaux. La preuve en est qu’ils sont allés voter nombreux pour le référendum malgré l’incertitude de la situation sanitaire, et qu’ils se sont déplacés encore en plus grand nombre lorsque ce scrutin était coupé avec celui des régionales.
Enfin, les présidents de régions qui se représentaient ont bénéficié de la prime au sortant. Outre la Campanie et les Pouilles, cela a été le cas en Ligurie au profit du centre droit, et en Vénétie avec Luca Zaia, membre de la Ligue. Ce dernier a particulièrement bien géré la crise sanitaire…
Pas de surprise du côté du référendum qui connaît lui une victoire facile du « oui » (avec près de 69 %). Le nombre des parlementaires passera donc de 945 à 600, comme l’avait promis le Mouvement 5 Étoiles (M5S, antisystème). Jusque-là, l’Italie avait le deuxième parlement le plus fourni en Europe, derrière celui du Royaume-Uni (environ 1 400) et devant la France (925). Le ministre des Affaires étrangères Luigi Di Maio, l'un des chefs du M5S, a salué « un résultat historique ». Est-ce vraiment le cas ? N’était-ce pas un référendum plébiscite ?
Je ne pense pas. Les principaux partis ont appelé à voter oui (avec plus ou moins d’enthousiasme et des divisions internes), seules des petites formations ont milité pour le non. Or un important débat politique et citoyen s’est engagé. Des journaux comme La Repubblica et La Stampa ont pris position pour le non, de vives controverses ont opposé les constitutionnalistes, les politologues et les intellectuels.
La victoire du oui revêt un double aspect. C’est une victoire de ceux et celles qui pensent que la classe politique est pléthorique et corrompue. C’est aussi l’expression de l’aspiration à une autre politique plus efficace. Aux responsables politiques désormais de donner une suite à ce référendum en adoptant une nouvelle loi électorale et en engageant d’autres réformes institutionnelles pour rendre la démocratie italienne plus performante et proche des Italiens.
Autre sujet de préoccupation pour Matteo Salvini : le président de la Vénétie, Luca Zaia, considéré comme un rival potentiel pour prendre la tête de la Ligue, a été réélu très largement à la tête de sa région, avec près de 77 % des voix. Ce succès peut-il lui permettre de challenger le patron de la Ligue qui sort grand perdant de ces élections ?
Luca Zaia n’a cessé de répéter qu’il n’envisageait pas de faire une carrière nationale. Salvini comme leader n’est pas contesté dans son parti, du moins pour le moment. En revanche, il est clair qu’il va lui falloir tenir compte de ceux qui lui reprochent ses inconséquences, son style, sa stratégie visant à transformer la Ligue en Ligue nationale alors que dans le Nord ses camarades sont attachés avant tout à l’autonomie régionale.
À deux reprises, Salvini a caressé l’espoir d’obtenir des élections anticipées, à l’été 2019 et maintenant en cas de large victoire de la droite aux régionales. On sait maintenant que la législature devrait durer au moins jusqu’en 2022 voire jusqu’en 2023. Il va devoir donc se préparer à une longue période d’opposition, repenser sa ligne politique et contenir également la montée en puissance de son allié, Giorgia Meloni et de son parti Fratelli d’Italia.