Pascal Cagni : "La France est devenue la nation la plus attractive d’Europe"
Diplômé de Sciences Po et HEC, Pascal Cagni préside le conseil d’administration de Business France, l’agence publique au service de l’internationalisation de l’économie française. Il a été nommé ambassadeur pour les investissements internationaux, en 2017, par le président de la République Emmanuel Macron. Il nous explique comment la France est devenue la nation la plus attractive d’Europe en 2019 et quels sont les leviers pour maintenir son leadership en cette période chahutée.
Propos recueillis par Bernard El Ghoul, Muriel Foenkinos et Catherine Hartog
BIO EXPRESS
1961 Naissance à Cernay, dans le Haut-Rhin.
1984 Diplômé de Sciences Po section Service public, de l’université de Strasbourg en droit des affaires. Également diplômé d’un MBA de HEC et de l’Executive Program de l’université de Stanford (USA).
1997 Vice-président et directeur général Europe de Packard Bell.
2000 Nommé par Steve Jobs vice-président et directeur général EMEA d’Apple.
2014 Créateur de C4 Ventures, fonds d’investissement en capital-risque.
2017 Nommé, par le président de la République, président du conseil d’administration de Business France et ambassadeur pour les investissements internationaux.
Parlez-nous brièvement de votre parcours.
En sortant de Sciences Po, j’ai débuté par un parcours classique en me dirigeant vers une carrière dans le droit et le conseil. Très rapidement, j’ai surpris tout le monde en me lançant dans la vente et dans un secteur en pleine expansion, mais encore à ses balbutiements : l’informatique et la tech. Le plus incroyable pour moi a été de réussir à bâtir un leader mondial de l’ordinateur avec Packard Bell en Anjou, où nous avons créé plus de 3 000 emplois dans un premier temps, puis de participer à l’une des épopées entrepreneuriales les plus folles du début du millénaire au sein d’Apple. En 2012, j’ai quitté la firme américaine et créé un fonds de capital-risque basé à Londres et à Paris. Enfin, en mai 2017, je suis revenu à l’une de mes premières passions, la sphère politique, en m’impliquant davantage pour mon pays via mon rôle d’ambassadeur aux investissements internationaux et de président du conseil d’administration d’une agence publique, Business France.
En quoi consiste justement ce rôle d’ambassadeur aux investissements internationaux que vous a confié Emmanuel Macron ?
Ma mission consiste à promouvoir et à valoriser la France comme terre d’accueil des investissements internationaux. Depuis ma prise de fonction, j’ai pu échanger avec plus de 800 CEOs et intervenir dans des grandes conférences internationales pour parler de notre beau pays. À mon arrivée, l’une des premières missions a été de reformer un Conseil stratégique de l’attractivité vieillissant. C’est dans cette optique que nous avons lancé le sommet Choose France à Versailles, en 2018. Depuis, cet événement est devenu un « must go » pour tous les grands patrons internationaux avant de se rendre à Davos. Le quatrième sommet Choose France, initialement prévu le 25 janvier, a été reporté en juin prochain, compte tenu de la situation sanitaire.
Pascal Cagni au Mexique (Crédits : Business France)
Quelles actions menez-vous, au sein de Business France, pour déployer l’attractivité de notre pays ?
Nos équipes sont présentes essentiellement à l’étranger, avec plus de 870 employés hors de France. Nous « dupliquons » un peu le réseau diplomatique, puisque l’on couvre plus de 120 pays, soit 95 % du commerce mondial. Nos chargés d’affaires vont chaque année à la rencontre de plus de 5 000 investisseurs étrangers pour leur parler de notre pays et tentent de les convaincre de s’y installer. C’est un véritable travail d’équipe pour soutenir tous les projets d’investissement en nous appuyant sur les partenaires de la Team France Invest, composée des ministères de l’Économie et des Affaires Étrangères ainsi que des Agences régionales de développement, de la BPI, des CCEF [Conseillers du commerce extérieur de la France, NDLR], de l’ANCT [Agence nationale de la cohésion des territoires, NDLR], de la direction générale du Trésor, de la direction générale des Entreprises. Nous menons également un travail sur l’image et la perception de la France et son environnement économique à l’étranger. Nous avons ainsi revu complètement l’architecture de la marque France, avec « Choose France » et des marques dites « communautaires » comme la French Tech, la French Fab et French Healthcare.
Dans quelle mesure le contexte pandémique affecte-t-il votre travail ?
Nous sommes particulièrement impactés : la baisse des investissements étrangers dans le monde est estimée à 40 % en 2020, selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced). C’est un tsunami pour le commerce mondial et international. L’arrêt des déplacements internationaux nous a obligés à revoir notre action afin de maintenir le contact avec les investisseurs étrangers. En attendant de pouvoir repartir à leur rencontre, le passage à un mode digital nous permet aujourd’hui de continuer à échanger et à le faire avec une flexibilité accrue, puisque l’on peut être en visio le matin avec l’Asie et s’adresser à des Américains dans l’après-midi !
Quelle est la situation actuelle de la France en matière d’investissements étrangers ?
En dépit du choc économique brutal et soudain du Covid-19, les résultats sont là : la France a su, en 2020, rester un pays attractif pour les investissements étrangers. Elle a attiré 1 215 projets d’investissement d’entreprises étrangères, à l’origine de la création ou du maintien de 35 000 emplois – soit le deuxième meilleur bilan enregistré au cours des 10 dernières années. La moitié des projets concerne de nouvelles implantations et les filiales déjà installées en France continuent d’accroître leur présence dans nos territoires. C’est une chute de 17 % par rapport à 2019, mais c’est bien meilleur que dans le reste du monde. Pour rappel, en 2019, pour la première fois en deux, voire trois décennies, la France était devenue la nation la plus attractive d’Europe. Et c’est un cabinet indépendant, EY, qui le dit, et nous a placés devant l’Angleterre et l’Allemagne. Ce résultat découle de réformes structurelles et d’une confiance renforcée envers notre pays.
Pouvez-vous nous donner des chiffres sur l’implantation des entreprises étrangères dans le maillage industriel français ?
En 2020, un quart des investissements concerne des activités de production. On le sait peu, mais lorsque des entreprises industrielles étrangères s’installent en France, elles irriguent l’économie sur tout le territoire : 71 % des investissements industriels sont réalisés dans des villes de moins de 20 000 habitants. Les 28 000 filiales d’entreprises étrangères ou internationales ne représentent que 1 % des entreprises implantées en France, mais elles concernent près de 10 % des emplois et 21 % des emplois industriels.
Quels pays investissent le plus dans l’Hexagone ?
Les États-Unis restent le premier investisseur en France avec plus de 17 %, les années Trump n’y ont rien changé. Ensuite, bien sûr, il y a l’Europe, pour des raisons de proximité et de logistique, avec 64 % des projets d’investissements. En premier lieu l’Allemagne, avec 16,5 % des projets, suivie de l’Angleterre et l’Italie. La France possède des atouts uniques et souvent méconnus : par exemple, un cinquième de toutes les usines, centres logistiques et de R&D implantés en Europe le sont en France.
Quels sont les grands défis à relever pour continuer de donner envie aux investisseurs étrangers ?
Les études menées au sein de Business France, appuyées par celles d’EY, OpinionWay et Ipsos tracent cinq grandes priorités exprimées par les investisseurs. D’abord, la relance. À la faveur du plan lancé en septembre 2020, l’un des plus massifs d’Europe avec 4 % du PIB déployés, je pense qu’ils ont matière à être satisfaits. C’est d’ailleurs confirmé par le baromètre de l’AmCham-Bain qui montre que 96 % des investisseurs américains approuvent le plan de relance français. Un plébiscite ! Il y a aussi cette décision de Bruno Le Maire et du gouvernement, courageuse en période de crise, de vouloir baisser les impôts de production – à hauteur de 10 milliards. Nous allons dans la bonne direction. La force du marché domestique est la deuxième priorité. Or les prévisions de reprise française sont plus élevées que pour le reste de la zone euro. Le taux d’épargne a explosé, avec une collecte nette du Livret A avoisinant les 85 milliards qu’il s’agit, maintenant, de mobiliser vers de l’investissement productif.
La troisième requête des investisseurs concerne l’accès aux talents. Rappelons que nous disposons d’un actif de plus d’un million d’ingénieurs, autant qu’en Allemagne. Nous avons régulièrement des prix Nobel, plus de 25 % des médailles Fields, 75 000 étudiants en thèse, 300 000 chercheurs et de nombreux doctorants internationaux. Enfin, nous avons réussi à lutter contre la fuite des cerveaux – moins de 12 % des jeunes partent travailler à l’étranger alors qu’il y a quelques années, se chiffre grimpait à 16 %.
La quatrième demande est relative à la décarbonation de l’économie. Et pour cela, la France va tirer parti du Covid pour devenir la première économie décarbonée d’Europe en 2050. Concrètement, on peut mentionner les sept milliards investis dans la filière de l’hydrogène vert. La France est aussi le premier pays émetteur d’obligations vertes et a su prendre des mesures courageuses, comme la fin des financements à l’export des énergies fossiles d’ici 2035. C’est un vrai tournant.
Enfin, le cinquième thème évoqué par les investisseurs, c’est la digitalisation de l’économie et de la société. Dans le cadre du plan de relance, la France a mis en place de nombreuses aides aux PME et ETI pour se digitaliser, soit en aidant l’investissement dans la tech soit en soutenant les commerces à se lancer sur le digital. Les excellents résultats de la French Tech en 2020, 5,4 milliards d’euros levés, soit une progression de 7 %, prouvent que la France a fait les bons choix pour développer son écosystème tech et le lancement récent du Scale-up Europe est l’occasion de renforcer notre leadership. C’est aussi le bon moment pour préparer la France et l’Europe à mieux intégrer l’économie du futur. Rappelons que nous n’avons pas su, nous les Européens, tirer le meilleur parti de grands cycles de l’innovation comme celui du personal computing, du web et même du mobile computing. Il nous faut maintenant épouser totalement les nouvelles technologies et bâtir un vrai leadership européen autour du cloud computing et de l’Intelligence artificielle.
Comment Business France accompagne-t-elle les investisseurs étrangers sur la durée ?
C’est un travail d’équipe, celui de la Team France Invest, que nous avons lancée cette année. Le rôle du préfet, du patron de la Chambre de commerce, du maire, du service économique de l’agglomération où l’investisseur choisit de s’établir est essentiel. Nous suivons autant les nouvelles implantations que les investisseurs déjà présents sur notre territoire. Faire une extension de l’implantation existante est tout aussi important et le retour en termes d’investissement est souvent meilleur ou plus rapide. D’ailleurs, les extensions représentent 41 % de l’ensemble des investissements en 2020. Il faut travailler sur les deux univers. L’accompagnement sur la durée consiste à impliquer les investisseurs dans la communauté et à se battre contre la peur de l’étranger, le fait que les dividendes ou le capital partent ailleurs, etc. Contrairement aux idées reçues, les entreprises étrangères sont souvent plus citoyennes ! Toutes, à leur façon, ont participé à la bataille contre le Covid. Il nous a donc paru naturel de les distinguer (environ 60 nommées et cinq lauréates) par les prix Choose France, que j’ai créés avec Business France et la communauté fédérée autour des entreprises internationales.
Une dernière question : vous êtes en quelque sorte ambassadeur de Sciences Po à l’étranger puisque vous incarnez cette formation. Quels sont, selon vous, ses atouts et sa plus-value ?
Sciences Po propose une formation exceptionnelle ! La vision du monde qu’elle permet de se forger est un réel avantage compétitif. En tant qu’alumni, nous devons être convaincus de la qualité et de la singularité de ce cursus. Ma plus proche collaboratrice est d’ailleurs une brillante diplômée de Sciences Po extrêmement complémentaire, tandis que de nombreux collaborateurs sont des diplômés de HEC, de l’EPFL à Lausanne, de l’Imperial College, à Londres et bien sûr des ingénieurs issus de nos excellentes écoles françaises. En 2009, quand vous demandiez à des Français entre 18 et 25 ans ce qu’ils voulaient faire plus tard, 13 % d’entre eux répondaient « entrepreneur ». Ils étaient près de 60 % en 2017 ! Je souhaite qu’une majorité des alumni de notre belle école puissent s’épanouir dans le monde de l’entrepreneuriat, car je suis persuadé que c’est dans le monde de l’entreprise – ou au moins autant que dans la sphère publique – que cette formation exprime le mieux son potentiel.
BUSINESS FRANCE EN BREF
Cet Établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) emploie 1 500 personnes et accompagne plus de 10 000 PME. Les missions de Business France : aider au développement international des entreprises et de leurs exportations, informer et accompagner les investisseurs étrangers en France, promouvoir l’attractivité et l’image économique de la France, de ses entreprises et de ses territoires, gérer et développer le Volontariat international en entreprise (VIE). Business France effectue également des actions de coopération internationale en valorisant ses domaines de compétences et en renforçant son influence lors de missions internationales.
Cet entretien est le compte-rendu d’une conférence organisée le 13 janvier 2021 par Sciences Po Alumni. Cet article a été initialement publié dans le numéro 21 d’Émile.