Florian Zeller, un Alumni dramaturge sacré aux Oscars

Florian Zeller, un Alumni dramaturge sacré aux Oscars

L’année 2001 serait-elle un grand cru pour les diplômés de Sciences Po ? On la savait pourvoyeuse de personnalités politiques, notamment du président actuel, la voici également représentée – doublement – aux Oscars. En 2016, László Nemes ouvrait le bal, remportant la précieuse récompense du meilleur film étranger pour Le Fils de Saul. Cette année, c’est au tour de Florian Zeller d’être couronné pour son premier long-métrage, The Father. Celui qu’on connaissait écrivain et dramaturge et qu’on a découvert scénariste et réalisateur tout aussi talentueux, a reçu le prix du meilleur scénario pour l’adaptation de sa pièce sur grand écran, tandis qu’Anthony Hopkins, interprétant le rôle-titre, est reparti avec celui du meilleur acteur. L’occasion pour Émile de revenir sur le parcours de cet ancien de la rue Saint-Guillaume, auteur de cinq romans et 12 pièces de théâtre, dramaturge français vivant le plus joué à l’étranger.

Par Camille Ibos

 
Florian Zeller (Crédits : Manuel Braun)

Florian Zeller (Crédits : Manuel Braun)

 

La madeleine de Proust du journaliste, c’est d’avoir un jour interviewé un artiste qui semblait au sommet de son art, puis de comprendre quelque temps plus tard que ce supposé sommet n’était qu’une colline sur la route du créateur. En janvier 2015, l’ancêtre d’Émile, Alumni Sciences Po Magazine, avait rencontré Florian Zeller, diplômé de la promo 2001 : à 35 ans, il venait de remporter trois Molières pour sa pièce Le Père, qui raconte la difficile relation entre une femme et son père âgé sombrant dans la démence. Aujourd’hui, ce même Père, joué au théâtre par le regretté Robert Hirsch à partir de 2012, a été adapté au cinéma – en anglais – et interprété par Anthony Hopkins, devenu grâce à lui l’acteur le plus âgé à être oscarisé.

Derrière ce parcours jalonné de succès, un auteur quarantenaire né à Paris et qui, un an à peine après sa sortie de Sciences Po, publiait déjà son premier roman, Neiges artificielles. En 2004, son deuxième ouvrage, La Fascination du pire, remportait le prix Interallié, tandis qu’il faisait ses débuts au théâtre avec L’Autre. Le théâtre, « c’est par accident » que Florian Zeller l’a rencontré. Il a finalement trouvé dans cet art-là « une aventure très intense et très belle, une expérience de vie collective où l’on s’invente provisoirement une famille », comme il nous le confiait en 2015. Cette famille, ce sont les acteurs qui acceptent de jouer la pièce et envers qui il se sent « très reconnaissant ». En effet, s’il se définit d’abord comme « quelqu’un qui écrit, tout simplement », Florian Zeller travaille avant tout « pour quelqu’un ». La pièce Le Père a ainsi été initialement écrite pour Robert Hirsch avant même le choix du thème. 

Pour Florian Zeller, il est beau, ce paradoxe du théâtre, « lieu de doute plutôt que de conviction » : loin d’être une « arme politique », selon lui, il permet, tant à l’auteur qu’à son public, d’« entretenir le doute sur soi ». C’est peut-être pour cela que ce moment « qui finira par disparaître de la mémoire de chacun » a, à travers les époques et autant de résurrections que de représentations, rassemblé des gens « mal assis » dans des « salles plongées dans le noir ». Depuis fin mai, ces mots s’appliquent aussi, de nouveau, aux salles de cinéma françaises et Florian Zeller s’apprête à réaliser l’adaptation sur grand écran de sa pièce Le Fils, avec Hugh Jackman et Laura Dern. En attente de savoir à laquelle des Muses restantes cet artiste aux multiples casquettes s’attaquera, après celles du théâtre, de la littérature et du cinéma, nous vous enjoignons vivement d’aller découvrir The Father, preuve s’il en est que Sciences Po mène vraiment à tout, y compris aux plus prestigieuses cérémonies de Los Angeles. 


Nous vous proposons de découvrir quelques extraits de l’interview de Florian Zeller publiée en 2015 dans le numéro 11 d’Alumni Sciences Po Magazine :

Propos recueillis par Anne-Sophie Beauvais et Jason Wiels

Comment l’étudiant sur les bancs de la Rue Saint-Guillaume s’imaginait-il, quinze ans plus tard ?

Je rêvais d’écrire, c’était mon projet. À Sciences Po, je me suis lié avec d’autres personnes qui partageaient cette même envie. On baignait dans une vie intellectuelle assez forte. Ces études m’ont passionné et connecté au monde, malgré le vertige de savoir si on va trouver sa place quand on a 20 ans.

Comment vous définiriez-vous ?

Comme quelqu’un qui écrit, tout simplement.

Vous êtes passé du roman à la dramaturgie, est-ce une forme d’expression qui vous convient mieux ?

Je ne rêvais pas du tout d’écrire des pièces. C’est par accident que j’ai rencontré cet art-là. Il m’occupe beaucoup dans mes rêveries, mais pas aux dépens de l’écriture romanesque. Le théâtre a l’avantage d’offrir une expérience de vie collective, où l’on s’invente provisoirement une famille. C’est une aventure très intense et très belle.

L’époque est-elle favorable aux thèmes que vous abordez ?

Même si leur titre peut faire croire l’inverse, ces deux pièces [La Mère et Le Père, NDLR], que j’ai conçues comme un diptyque, ne portent pas sur la famille. Je ne me suis pas assis à une table en me disant : quel sujet vais-je traiter ? J’écris d’abord pour quelqu’un. Par exemple, le rôle du Père est pensé pour Robert Hirsch. C’est l’histoire d’un homme qui perd ses repères et la mémoire, il frôle la démence sénile. Ce sujet fait sûrement écho au vécu ou aux craintes des gens.

Vous dites aussi que vos pièces ne sont pas des « armes politiques ». Où est passé l’étudiant lecteur de Tocqueville ou de Marx ?

J’ai du mal avec ceux qui n’ont que la politique pour grille de lecture. Tout est politique ? On peut le soutenir, mais je trouve que beaucoup de choses échappent à cette simplification du monde. C’est encore plus vrai dans l’art, qui n’est pas l’endroit des réponses. Si on a des certitudes sur le monde que l’on veut défendre, il y a d’autres formes plus adaptées que le théâtre ou la littérature. Ce sont plus les lieux du doute que des convictions. J’ai peu d’intérêt pour le théâtre de catéchisme.

Qu’est-ce qui a joué en votre faveur ? Le talent ? Les rencontres ? Le culot ?

Ce n’est pas forcément intéressant de chercher à expliquer. C’est évidemment décisif d’avoir la chance d’être entouré par de grands acteurs. Il faut aussi aller les convaincre, avec ses textes, et être disponible pour savoir ce que l’autre cherche.

Vous avez mis le pied dans la porte, parfois ?

Ce n’est pas trop mon tempérament. En revanche, quand j’ai très envie d’écrire et de travailler pour et avec quelqu’un, je ne lésine pas sur le travail. C’est une façon d’aller le chercher.

Vous avez dû agacer, surtout en rencontrant tôt le succès ?

À un moment donné, c’est inévitable de susciter de l’agacement, voire de l’agressivité. L’important, c’est de savoir dépersonnaliser ces attaques. Face aux critiques, bonnes ou mauvaises, j’ai longtemps eu l’impression qu’on parlait de quelqu’un d’autre. Comme quand à l’écoute de sa propre voix sur un enregistrement, ça sonne faux. On a du mal à se reconnaître. Aujourd’hui, par souci de concentration, je lis les critiques distraitement, pour rester en prise avec ce qui m’intéresse. Il est plus difficile en revanche de se mentir à soi-même quand on écoute le public. S’il ne reçoit pas ce que l’on propose, on ne peut pas y rester sourd. Quand il y a ce malentendu, on est obligé de le prendre en compte. C’est ce qui permet de progresser.

À quel moment, justement, avez-vous senti que vous progressiez ?

En 2008, j’ai créé Elle t’attend. Quand la pièce a été jouée, j’ai senti que quelque chose ne prenait pas avec la salle. Et si les gens n’adhèrent pas à ce que vous faites, le théâtre peut aussi rendre très malheureux. Ce sont des confrontations difficiles, bien plus que de lire un mauvais papier ! Paradoxalement, cette expérience m’a permis de retrouver le goût du public : le théâtre a vocation à être partagé, il faut avoir ça en tête et à l’oreille.

Les pièces passent, mais les livres restent. N’est-ce pas frustrant de se dire que tout s’arrête quand le rideau tombe ?

Ce qui fait la beauté du théâtre est aussi ce qui fait la saveur de la vie : on sait qu’elle ne sera pas éternelle.

On vient au théâtre pour se sentir vivant ?

Depuis l’Antiquité, on vient dans des salles plongées dans le noir, mal assis, vivre un moment qui finira par disparaître de la mémoire de chacun. Si le théâtre est toujours là, aujourd’hui, c’est bien que l’humanité y puise quelque chose d’important ! Je pense qu’on vient y toucher du doigt la conscience de notre fraternité. On partage avec les autres un instant, qui, le lendemain, sera déjà une autre version. Voilà la beauté déchirante du théâtre.


Bio express

  • 1979 Naissance à Paris

  • 2001 Diplômé de Sciences Po

  • 2002 Publication de son premier roman, Neiges artificielles (Flammarion)

  • 2004 Reçoit le prix Interallié pour son deuxième roman, La Fascination du pire (Flammarion)

  • 2004 Débuts au théâtre avec L’Autre, au théâtre des Mathurins

  • 2010 La Mère est présentée au Théâtre de Paris.

  • 2012 Le Père est joué au théâtre Hébertot.

  • 2012 Publication de La Jouissance (Gallimard)

  • 2018 Le Fils, nouvelle pièce présentée à la Comédie des Champs-Élysées

  • 2020 Sortie de The Father, premier long-métrage avec Anthony Hopkins et Olivia Colman

  • 2021 Oscars du meilleur scénario et du meilleur acteur pour The Father


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