Alexia Rey : "J’ai la grande chance d’avoir un double diplôme Sciences Po-Maraîchage !"

Alexia Rey : "J’ai la grande chance d’avoir un double diplôme Sciences Po-Maraîchage !"

En 2018, Alexia Rey (promo 13) s’associe avec Olivier Le Blainvaux, Polytechnicien, pour relever un défi de taille : « Nourrir les humains aujourd’hui et demain ». Les deux trentenaires créent de toutes pièces un modèle de ferme agroécologique en maraîchage optimisée par la technologie. En plein essor, NeoFarm a déjà levé 3,5 millions d’euros depuis 2018 et comptera trois fermes (dont le pilote) d’ici la fin de l’année. Émile s’est entretenu avec sa fondatrice.

Propos recueillis par Laure Sabatier

Photo d’une ferme pilote vue du ciel (Crédits : NeoFarm).

En 2013, vous êtes diplômée du master Finance et stratégie de Sciences Po. Après quelques années dans le conseil en RSE et la finance participative, vous créez NeoFarm. Comment vous êtes-vous tournée vers l’entrepreneuriat et l’agriculture ? 

Alexia Rey, co-fondatrice de la start-up NeoFarm (Crédits : DR).

J’ai toujours été sensible aux enjeux environnementaux et alimentaires. Enfant, je passais beaucoup de temps à la campagne. À Sciences Po, j’ai créé une association pour favoriser l’accès des étudiants à des produits de meilleure qualité. En parallèle, j’ai développé un fort intérêt pour la technologie, qui m’a poussée à suivre le parcours Entrepreneurs de Sciences Po lors de ma dernière année d’études. Après quelques années dans des grosses structures, j’ai eu envie de lancer la mienne. L’agriculture, au-delà d’être un secteur passionnant, a un rôle clé à jouer dans la réponse à la crise climatique. Elle produit 20 % des émissions de gaz à effet de serre en France tout en étant sa principale victime. J’ai donc décidé de me lancer en réunissant ces différents centres d’intérêt dans le projet NeoFarm. 

En plus de votre diplôme de Sciences Po, vous avez un brevet professionnel Responsable d’entreprise agricole. Pourquoi avoir fait cette formation ? 

On pense souvent que l’agriculture est un secteur fermé, accessible uniquement aux enfants et petits-enfants de maraîchers. Pourtant, je crois que toute personne intéressée par les questions alimentaires et environnementales devrait pouvoir se projeter dans ces métiers-là, parce que c’est par eux que tout commence. La réalité, c’est qu’ils sont très peu attractifs, seul 1 % de la population y travaille et la moitié des agriculteurs partiront à la retraite d’ici 2030. Ça me paraissait donc primordial de me former pour prendre la relève. Résultat, j’ai la grande chance d’avoir un double diplôme Sciences Po-Maraîchage ! Avec NeoFarm, j’espère donner envie à d’autres de faire de même.  

Justement, NeoFarm est présentée comme la ferme du futur, à la fois écologique, implantée localement et rentable économiquement, grâce à l’usage de la technologie. En quoi consiste votre modèle de production ? 

Il repose sur l’alliance entre agroécologie et technologie. La première consiste à produire en s’appuyant sur les services rendus par les écosystèmes naturels. Concrètement, nos fermes reposent sur différentes zones d’exploitation (sous serre ou en plein champ) qui sont entourées d’une grande biodiversité composée de mares, de bandes fleuries ou de haies bocagères. Cette diversité agit comme une auxiliaire de culture et assure la résilience de nos exploitations. L’agroécologie est très productive sur de petites surfaces, nos exploitations s’étendent donc sur un ou deux hectares. Cela correspond parfaitement à notre volonté d’être proches de pôles urbains. 

Le deuxième volet, la technologie, permet d’optimiser ce modèle agricole en déchargeant au maximum les agriculteurs des tâches pénibles et à faible valeur ajoutée. Les fermes sont dotées d’un portique automatisé qui se déplace au-dessus des cultures et peut réaliser une douzaine de gestes, comme la préparation du sol, le désherbage ou la mise en culture. Ce temps gagné permet à l’agriculteur de se consacrer à des tâches plus délicates et de se concentrer sur la connaissance de ses écosystèmes, clients et fournisseurs. 

La gestion des exploitations NeoFarm passe aussi par une application…

Oui, les données que le maraîcher recueille sur son exploitation tout au long de la journée sont centralisées dans une application. Il s’agit de données très variées, allant de l’état d’une plantation à un manque d’intrants [éléments rajoutés dans le sol pour améliorer le rendement des cultures, NDLR] en passant par une invasion de nuisibles. L’application traite ces données à travers un logiciel ERP [Enterprise Resource Planning, NDLR], qui permet de suivre l’évolution des cultures et de planifier les différentes échéances de l’exploitation. Être agriculteur, c’est faire 20 métiers en même temps ! Grâce à ce système d’application, le maraîcher peut déléguer un peu de ses nombreuses tâches, notamment sur les activités de gestion. 

Vous vous adressez à des collectivités territoriales et à des particuliers désireux de mettre en place le modèle NeoFarm. Comment les accompagnez-vous dans le déploiement de leur exploitation ? 

Nous faisons le maximum pour faciliter le travail de nos partenaires en fonction de leurs attentes. Certains sont déjà installés et souhaitent se diversifier et gagner en résilience, d’autres partent de zéro. Dans tous les cas, nous assurons la conception, l’installation et la configuration des infrastructures en fonction du territoire et nous apportons la solution technologique adaptée. Nous recrutons les équipes, nous les formons aux pratiques agroécologiques et technologiques. Une fois la ferme lancée, nous proposons aussi un accompagnement qui peut aller de la supervision de l’exploitation agricole à une aide ponctuelle de maintenance des outils ou de gestion administrative. 

Aujourd’hui, près de 12 % des agriculteurs produisent en bio, mais la consommation reste conditionnée à des prix considérablement plus élevés que ceux des produits issus de l’agriculture conventionnelle1. Comment répondez-vous à cette difficulté inhérente à la filière bio ? 

Nous nous sommes alignés sur le prix des produits bio. Cela a un coût, celui de la juste rémunération de nos producteurs. Grâce à notre modèle, ils touchent un salaire deux fois supérieur à celui du secteur, tout en bénéficiant de la stabilité d’un CDI et d’heures de travail définies. Ceci dit, la question de l’accessibilité est centrale. Elle passe d’abord par le fait de distribuer nos produits via des circuits courts, sur des marchés ou à la ferme, et de privilégier des partenaires comme La Vie Claire ou le réseau Biocoop, dans les villes proches. 

Elle passe aussi par l’augmentation de la production et des effets de volume grâce à la technologie, et au déploiement à plus grande échelle de notre modèle. Notre objectif à long terme est de mailler le territoire par grappes de fermes pour mutualiser les équipements et les compétences. Nous pourrions alors produire pour la grande distribution ou la restauration collective et toucher un public de consommateurs plus large. 

Votre modèle est à contre-courant de la tendance générale en agriculture. Comment a-t-il été reçu ? 

Plutôt bien ! Nous avons remporté plusieurs prix et distinctions, notamment de Bpifrance, de la Région Île-de-France, de l’Ademe et du ministère de la Transition écologique. Nous sommes au cœur des défis de la troisième révolution agricole et entourés de tous les acteurs qui s’en préoccupent. Une première levée de fonds [2,5 millions d’euros, NDLR] nous a permis de commencer le déploiement de notre modèle, fin 2020. Nous en avons initié une deuxième, en avril 2022, afin d’accélérer notre développement en exportant et en multipliant notre modèle. Nous souhaitons intensifier nos ventes en France et pourquoi pas en Europe. À terme, plus de 20 000 fermes pourraient être installées ou accompagnées par NeoFarm.


Cet entretien a initialement été publié dans le numéro 25 d’Émile, paru en juin 2022.

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