Les livres politiques du mois de février 2023
Tous les mois, Émile vous propose de découvrir une sélection de livres abordant des questions politiques sous différents angles. Au programme du mois de février, une réflexion philosophique sur la guerre, une biographie de la vice-présidente des États-Unis, un essai sur la parole contemporaine et une analyse des failles politiques de la France. À lire !
Par Ismaël El Bou-Cottereau
Pourquoi la guerre ?
Frédéric Gros interroge ici les enjeux philosophiques de la guerre, qui met en jeu des valeurs antithétiques, entre « héroïsme et barbarie ». Il défend l’idée selon laquelle la guerre ne découle pas seulement des pulsions agressives qui seraient inhérentes à la nature de l’homme, mais plutôt des rancœurs et des désirs collectifs de pulsion de mort.
Selon lui, la guerre en Ukraine ne symbolise pas le retour des conflits armés entre États : « Il faudra s’interroger en premier lieu sur ce qui nous a donné si fortement l’impression d’un retour de la guerre, alors même que le dernier demi-siècle a connu des formes inédites de violences de masse : guerres par procuration, guérillas, actes terroristes, guerre globale… C’est dans cette série sanguinaire qu’il faudra commencer par situer le conflit actuel. » Dès lors, la paix est-elle réellement possible, si ce n’est « la paix des cimetières » qui n’aboutirait qu’après les combats et la destruction mutuelle ? En convoquant la philosophie spinoziste, Frédéric Gros rappelle que l’idéal de paix correspond, au fond, à notre « sociabilité naturelle ».
L’AUTEUR
Frédéric Gros (promo 95) est philosophe et professeur à Sciences Po en humanités politiques. Il a publié de nombreux ouvrages, notamment Désobéir (2017) et La honte est un sentiment révolutionnaire (2021).
Pourquoi la guerre ?, éditions Albin Michel, 162 pages, 18 euros.
Kamala Harris, l’héritière
Le matin du 19 novembre 2021, Kamala Harris a été, durant 85 minutes, présidente de la plus grande puissance mondiale. Elle remplaçait alors temporairement le Président Biden, qui devait subir une opération médicale. Actuellement vice-présidente, à « un battement de cœur de la Maison-Blanche », occupera-t-elle un jour le Bureau ovale, malgré sa relative impopularité à cause – entre autres – de ses louvoiements sur la question migratoire ?
Le journaliste Alexis Buisson dresse ici le portrait de Kamala Harris et retrace ses années en tant que procureure, qui ont contribué à sa « naissance politique », mais aussi à brouiller son image. D’un côté, la facette progressiste – alternatives à la prison, lutte pour les droits des femmes – ; de l’autre, une vision parfois plus conservatrice, notamment sur les sanctions à l'encontre des parents dont les enfants sèchent l’école et une politique du tout carcéral à l’encontre des trafiquants de drogue. Une ambiguïté qui a été son principal talon d’Achille durant la campagne pour l'investiture démocrate en 2019.
L’AUTEUR
Correspondant du quotidien La Croix à New York, Alexis Buisson (promo 09) a été directeur du site French Morning, à destination des Français expatriés aux États-Unis.
Kamala Harris - L'héritière, l’Archipel, 251 pages, 20 euros
Quand la parole détruit
Dans cet essai, Monique Atlan et Roger-Pol Droit s’interrogent sur le statut paradoxal de la parole dans nos sociétés : la parole se démultiplie et, dans le même temps, on assiste à une raréfaction d’une parole qui engage véritablement le sujet. « Hors contrôle, ce tsunami de phrases – indéfiniment relayées, reproduites, enregistrées, diffusées… – nous submerge et nous ligote, au lieu de nous libérer », écrivent-ils.
Ils reviennent sur les enjeux éthiques et politiques de la parole depuis la Grèce Antique, tout en étudiant les mutations d’une parole contemporaine parfois porteuse de violence et de passions tristes. Une parole « anonyme, sans interlocuteur, décorporéisée et désymbolisée, à la fois éphémère, ineffaçable et indéfiniment duplicable. » Face à ces dangers, les deux auteurs esquissent « les grandes lignes d’une économie renouvelée de la parole », fondée sur l’expérience commune d’un dialogue fécond.
LES AUTEURS
Monique Atlan (promo 75) est journaliste. Elle a notamment travaillé pour France Télévisions.
Roger-Pol Droit est philosophe. Entre 2003 et 2013, il a enseigné à Sciences Po. Il est l’auteur d’une quarantaine de livres.
Quand la parole détruit, éditions de l’Observatoire, 320 pages, 22 euros.
On aura tout essayé…
La France est-elle ingouvernable ? La politologue Chloé Morin pose cette question à de multiples personnalités issues de l’ensemble du spectre politique (Édouard Philippe, François Ruffin, Valérie Pécresse, Marine Le Pen).
L’ouvrage met en lumière une France clivée, embourbée dans une administration peu efficace. Une France peu habituée à la culture du compromis et dans laquelle l’inflation législative ne permet pas une évaluation sérieuse des politiques publiques.
Plus encore, c’est l’affaissement du niveau du débat politique, illustré dernièrement par les invectives lors de l’examen de la réforme des retraites à l’Assemblée nationale, qui inquiète profondément l’auteure. Ce manque criant de « travail intellectuel » des partis de l’arc républicain participe de la désillusion des Français. Chloé Morin regrette aussi que la parole politique soit autant aseptisée : « ce qui manque de plus en plus à notre débat public, c’est la sincérité. La sincérité de convictions exprimées en dehors de tout calcul de carrière, de toute crainte du mauvais buzz. La sincérité qui va souvent avec un autre mot désuet, quasi-disparu du débat public, la spontanéité. »
L’AUTEURE
Chloé Morin (promo 10) est politologue et étudie notamment l’opinion publique. Elle a été conseillère des Premiers ministres Jean-Marc Ayrault et Manuel Valls entre 2012 et 2016.
On aura tout essayé…, éditions Fayard, 400 pages, 20,90 euros.