Pierre Dartout : "Un lien très fort perdure entre la France et Monaco"
Sciences Po Alumni a créé, à la rentrée, une nouvelle section internationale à Monaco. L’événement de lancement s’est déroulé à la résidence du ministre d’État de la principauté, Pierre Dartout (promo 75). L’occasion, pour Émile, de l’interviewer sur les enjeux actuels pour Monaco – de l’économie à l’écologie – et les relations qu’entretient la principauté avec la France et le reste du monde.
Propos recueillis par Bernard El Ghoul et Ryan Tfaily
Comment passe-t-on d’élève de Sciences Po à ministre d’État de Monaco ?
Les choses se sont passées finalement de façon assez simple. Simple dans le parcours, plus complexe dans les modalités du parcours. J’ai été diplômé de Sciences Po en 1975, mais je n’ai pas passé le concours de l’ENA tout de suite car j’avais envie de prendre des vacances, puis j’ai fait une prépa. Je suis finalement sorti diplômé de l’ENA, promotion Voltaire, en juin 1980. J’étais classé 61e sur 120, juste avant Ségolène Royal [sourire, NDLR]. J’ai choisi le ministère de l’Intérieur pour être sous-préfet, débutant alors une carrière préfectorale classique : directeur de cabinet en Vendée puis sous-préfet du Blanc (Indre) et du secrétaire général aux affaires économiques à la Réunion. J’effectue ensuite une mobilité au ministère de l’Intérieur.
Après avoir été directeur de cabinet à Nantes et secrétaire général du Calvados, je passe en cabinet ministériel chez Dominique Perben, aux DOM-TOM. J’en sors préfet de la Guyane, puis j’enchaine un certain nombre de postes en région. Je repars à Paris pour devenir directeur de cabinet du président de l’Assemblée nationale puis je reprends ma carrière de préfet. Je devais partir à la retraite à 67 ans, mais on m’a fait la proposition de devenir ministre d’État à Monaco. J’ai répondu favorablement et je suis allé voir le souverain que j’avais déjà rencontré à plusieurs reprises. Je suis en poste depuis août 2020.
La fonction de ministre d’État à Monaco se rapproche-t-elle de celle de Premier ministre ?
On peut dire que le ministre d’État est Premier ministre, parce que c’est le chef du gouvernement. Historiquement, c’était le seul qui s’appelait ministre ; les autres étaient plutôt appelés conseillers de gouvernement. Dans les rencontres internationales, on me considère comme le Premier ministre de Monaco. C’est un système institutionnel particulier puisque je ne suis pas responsable devant le Conseil National, mais seulement devant le souverain qui m’a choisi.
Quelle est votre feuille de route ? Quels sont les enjeux économiques et politiques du moment pour Monaco ?
Certains chantiers tiennent beaucoup à cœur au souverain, notamment les questions environnementales, de transition énergétique, de changement climatique. Il y a également l’économie et l’attractivité du territoire. Monaco est certes très prospère d’un point de vue économique mais, dans le monde actuel, il ne faut jamais considérer qu’une situation favorable est figée. Il faut toujours travailler à renforcer l’attractivité.
Un autre sujet important concerne le logement des monégasques. Compte tenu du prix de l’immobilier ici, une majorité des familles monégasques ne pouvaient pas se loger sur un marché libre. Des dispositions ont été prises, avec un plan national de logement. Ensuite, il y a la question de liens avec l’Union européenne. Nous étions en discussion autour du traité d’association avec l’UE mais le rapprochement est suspendu car les positions étaient trop différentes entre ce qu’ils appellent les « quatre libertés du marché unique » et nos priorités nationales, notamment l’emploi et le logement.
Un autre sujet, plus difficile, concerne Moneyval, l’organe de suivi permanent du Conseil de l’Europe chargé d’évaluer l’efficacité des mesures contre le blanchiment de capitaux. Monaco est un État de 40 000 habitants, mais il affronte des défis importants du fait de sa petite administration. Nous avons été obligés de créer de nombreux postes administratifs pour renforcer nos équipes de lutte contre le blanchiment. On espère, avec toute ces mobilisations tant au niveau des lois que des moyens déployés, démontrer que nous sommes sur la bonne voie. Un dernier point touche le Greco (Groupe d’États contre la corruption), un autre organe du Conseil de l’Europe chargé d’évaluer les politiques de lutte contre la corruption. Nous avons une visite d’évaluation prévue en novembre.
Les relations avec la France sont-elles privilégiées du fait de la géographie, de l’histoire?
Oui ! Du fait de la Constitution d’abord. Monaco dépend de la France sur bien des aspects : aéroportuaires, portuaires, mais aussi des liens de confiance. La France assure la défense de Monaco, et Monaco en retour joue en étroite relation avec la France sur le plan relatif à la sécurité par exemple. Un lien très fort perdure entre les deux pays, ne serait-ce parce que le ministre d’État, s’il n’a plus l’obligation formelle d’être français, reste nommé avec l’accord de la France. Nous entretenons aussi des liens importants avec l’Italie, parce que notre population est en grande partie d’origine italienne, génoise ou piémontaise. Les deux seuls ambassadeurs permanents de pays étrangers à Monaco sont ceux de la France et de l’Italie.
Comment les micro États tirent leur épingle du jeu dans les relations internationales ? Quel rôle jouent-ils sur l’échiquier mondial ?
L’audience internationale de Monaco n’est pas proportionnelle à sa population et encore moins à sa superficie. Elle vient notamment des engagements pris par le souverain en matière environnementale, de lutte pour la préservation des océans. Ceci donne à Monaco une importance que ne laisse pas supposer sa population, sa superficie ou son PIB. Andorre est un pays avec lequel on a beaucoup de points communs. Il a une plus grande superficie que Monaco, une population supérieure, une activité économique importante. On se concerte notamment dans le cadre de la nouvelle communauté politique européenne, créée à l’initiative de la France. Le contexte en Ukraine, les tensions dans les Balkans entre le Kosovo et la Serbie, mais aussi entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, sont à l’ordre du jour de nos réunions.
D’autres micro-États à l’économie florissante, comme Singapour, sont-ils une source d’inspiration pour Monaco ?
Singapour est, pour nous, le territoire dont on doit le plus s’inspirer. L’économie quaternaire est une source d’inspiration. Nous avons aussi de grandes ambitions en matière de numérique. Et, comme Singapour, nous sommes très attachés, pour nos résidents, à une certaine exigence en matière de politique de sécurité. La sécurité est un grand atout de Monaco, avec un système de santé et d’éducation performant. Singapour est aussi une voix qu’il faut suivre dans l’organisation administrative, où l’on a encore beaucoup de progrès à faire.
Existe-t-il des opportunités spécifiques pour les anciens de Sciences Po à Monaco ?
Monaco crée beaucoup d’emplois : chaque jour, 45 000 personnes viennent de France, 8 000 d’Italie. On continue à recruter, à solliciter des actifs venant de France ou d’Italie. Sciences Po a la vocation de former des gens qui ont une base généraliste, tout en développant des spécialités dans différents domaines. Je pense que les alumni peuvent trouver ici toutes les opportunités possibles dans la finance, la communication, l’événementiel, l’administration ou la gestion des ressources humaines. Beaucoup d’entreprises font appel à des compétences dans ce domaine, les anciens de Sciences Po seront très bien accueillis. Il y a toujours la question délicate de l’habitat : s’ils ne sont pas monégasques, ils devront se loger dans une commune extérieure, mais cela n’est pas désagréable…
Vous nous avez accueilli à l’occasion du lancement de la section des Alumni à Monaco. Que représente pour vous la création d’une telle section ? Avez-vous un message pour les élèves et anciens de Sciences Po ?
Je suis très heureux du lancement de cette section. Je sais que l’école a changé depuis mes études, mais ce qui n’a sans doute pas évolué, c’est son aspect généraliste où l’on peut développer des spécialités différentes. La richesse de Sciences Po est de former des profils intéressants et ouverts. Mon métier – le fait de changer tous les deux ou trois ans de territoire en France – a été pour mes enfants et moi une source d’enrichissement. Je regretterais toujours de ne pas avoir pu passer une année à l’étranger lorsque j’étais étudiant, mais je me réjouis que cette opportunité soit offerte aux élèves actuels. Profitez-en !