Christine Daoulas : "Il faut inclure le handicap en amont, dès la conception de l’enseignement"

Christine Daoulas : "Il faut inclure le handicap en amont, dès la conception de l’enseignement"

Depuis plus de 15 ans, Sciences Po s’engage pour rendre l’établissement plus accessible aux étudiants concernés et leur permettre une insertion réussie sur le marché du travail. Entretien avec Christine Daoulas, responsable de la politique Handicap de l’école.

Propos recueillis par Caroline Blackburn et Maïna Marjany (promo 14)

Christine Daoulas à Sciences Po (Crédits : Maïna Marjany / Émile)

Pouvez-vous retracer l’historique des programmes de Sciences Po en faveur de l’accessibilité ? 

La politique en matière de handicap à Sciences Po remonte à plus de 15 ans et s’inscrit dans le cadre plus large de la politique d’égalité des chances initiée par Richard Descoings. Le programme Sciences Po Accessible a été lancé en 2008, peu de temps après la promulgation de la loi du 11 février 2005 intitulée « loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ». 

En partenariat avec des entreprises engagées sur cette question, l’école a pu mobiliser des ressources financières et mettre en œuvre diverses actions afin de permettre aux élèves talentueux en situation de handicap d’accéder à Sciences Po, grâce aux aménagements permettant de compenser leur situation de handicap, et ainsi, établir une équité.      

Avez-vous quelques exemples concrets de changements impulsés par ce programme ?

Initialement, le programme a lancé une série de travaux visant à rendre les installations accessibles, notamment par la mise en place d’ascenseurs au 27, rue Saint-Guillaume, puis progressivement, dans les autres bâtiments de Sciences Po. Des dispositifs tels que les boucles magnétiques ont également été déployés pour amplifier le son à destination des personnes malentendantes équipées d’appareils auditifs. Ces initiatives pionnières de Sciences Po ont ouvert la voie à d’autres universités, mettant en lumière l’importance de l’accessibilité pour tous au sein de l’enseignement supérieur. 

« Les initiatives pionnières de Sciences Po ont ouvert la voie à d’autres universités, mettant en lumière l’importance de l’accessibilité pour tous au sein de l’enseignement supérieur. »

La mise en œuvre du programme d’accessibilité s’est déroulée de manière progressive. Quelles autres mesures ont été prises ensuite ? 

Outre les rampes d’accès initiales, Sciences Po a aménagé des espaces de travail à la bibliothèque et mis en place du matériel adapté, notamment des claviers à gros caractères et des ordinateurs destinés aux personnes malvoyantes ou dyslexiques, ainsi que des imprimantes braille. Une large gamme d’équipements est mise à la disposition des étudiants qui en ont besoin. Plus récemment, nous avons introduit la vélotypie – un système de sous-titrage en direct des cours – pour les étudiants sourds et malentendants.

Quel est le bilan de toutes ces actions ?

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Au cours des trois dernières années, le nombre d’étudiants en situation de handicap a doublé : 616 étudiants ont été accompagnés par le pôle Handicap au cours de l’année universitaire 2022-2023, contre 331 en 2020-2021. Ces résultats montrent le lien de confiance établi avec les étudiants et sont le fruit de 15 ans d’engagement. 

Nous accompagnons toutes les typologies de handicap (maladies invalidantes et dégénératives, handicaps cognitifs, psychiques, sensoriels, moteurs) – il est important de rappeler que 80 % des situations de handicap sont invisibles. Nous accompagnons chaque étudiant de manière individualisée. 

Comment se déroule la procédure pour les élèves concernés ? 

Les personnes qui peuvent bénéficier d’aménagements doivent passer par un rendez-vous avec un médecin agréé de la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) du service de santé étudiant, la seule autorité qui définit si l’étudiant est en situation de handicap et qui peut recommander des aménagements dans le cadre de ses études et des examens. 

Les étudiants sont ensuite accompagnés par le pôle Handicap de Sciences Po, nous les rencontrons tous individuellement. Nous avons mis en place de nouvelles procédures afin que tous les étudiants, quel que soit le campus, puissent avoir le même niveau et la même qualité d’accompagnement. Face à la hausse des effectifs des étudiants en situation de handicap, l’équipe s’est également étoffée : ce sont désormais quatre personnes qui travaillent pour la mission handicap, en plus de toutes les équipes de Sciences Po qui s’impliquent au quotidien pour constamment faire progresser l’accessibilité du bâti, l’accessibilité numérique et l’accessibilité pédagogique.

Quels sont les défis qui persistent et les pistes d’amélioration ?

Il reste évidemment encore des challenges à relever dans la société en général, avec l’objectif de transformation significative de cette dernière, ainsi que de nos pratiques, pour les rendre toujours plus inclusives. Il est nécessaire de faire évoluer notre perception du handicap et de lutter contre les stéréotypes qui y sont associés. Il faudrait intégrer le « handicap by design » dans nos procédures et projets dès leur conception. Plus particulièrement dans le domaine de l’éducation, il faut intégrer la prise en compte du handicap dès la conception de l’enseignement, et nous avons pour cela lancé des travaux sur la conception universelle des apprentissages. À l’échelle de Sciences Po, cela signifie intégrer systématiquement le handicap et l’inclusion dans toutes nos politiques, nos projets, nos actions et nos procédures.

Quelles sont les ambitions futures de Sciences Po en termes d’accessibilité ?

L’ambition d’accessibilité se traduit par un plan d’action en cours de rédaction. Ce schéma directeur, d’une durée de trois ans, comprend huit axes, allant de l’accompagnement des enseignants et des étudiants en situation de handicap au développement de nouveaux partenariats avec des entreprises engagées. Ce plan d’action a la particularité d’être coconstruit avec toutes les parties prenantes et fait également l’objet de réunions avec les alumni. 

Des dispositifs sont-ils mis en place pour favoriser la transition entre les études et le monde du travail pour les étudiants en situation de handicap à Sciences Po ?

L’un des objectifs du programme Sciences Po Accessible est en effet de faciliter l’insertion professionnelle. Concrètement, nous avons mis en place, avec Sciences Po Carrières ainsi que la direction de la Stratégie et du Développement, plusieurs types d’actions avec des entreprises partenaires, notamment le mentorat et le Duoday (une initiative nationale). Pendant le Mois de la diversité et de l’inclusion, qui s’est déroulé cette année en mars à Sciences Po, nous avons organisé un speed networking/mentoring avec des entreprises partenaires. Enfin, nous proposons également des mises en relation directes entre les entreprises partenaires et les étudiants que nous accompagnons. 

« Il est primordial que le plus grand nombre d’enfants en situation de handicap qui le souhaitent puissent accéder aux études supérieures et concrétiser leurs projets. »

En quoi un accompagnement réel et un soutien pendant les études à l’égard de ces étudiants contribuent-ils à faire évoluer la société, à améliorer la réussite et la représentation des personnes handicapées ?

Il est primordial que le plus grand nombre d’enfants en situation de handicap qui le souhaitent puissent accéder aux études supérieures et concrétiser leurs projets, en phase avec leurs compétences, leurs valeurs, leurs souhaits les plus profonds et leurs passions. Mettre en place un environnement inclusif et des aménagements individuels adaptés pour nos étudiants vont permettre, à mon sens, de faire évoluer la société. Les étudiants actuels seront les dirigeants et décideurs de demain.

Une réflexion est actuellement menée sur le manque de visibilité de leaders en situation de handicap dans le monde du travail. Ce projet est porté par un groupe d’étudiants impliqués dans l’Impact Studio, le Lab porté conjointement par l’École du Management et de l’Impact et par le Centre pour l’Entrepreneuriat de Sciences Po. 

Cet article a initialement été publié dans le numéro 30 d’Émile, paru en juillet 2024.


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