Portrait - Simone Veil, le courage dans la peau

Portrait - Simone Veil, le courage dans la peau

« J’avais à la fois une boulimie d’études et besoin de m’occuper »[1]. C’est ainsi que Simone Jacob explique son désir d’entrer dans le « tout nouvel Institut d’Etudes Politiques, héritier de la vieille Fondation des sciences politiques ». Quelques mois auparavant, à la fin mai 1945, de retour avec sa sœur Milou de l’horreur d’Auschwitz, elle a été accueillie par sa tante Suzanne Weismmann, à l’Hôtel Lutétia. Simone Jacob n’a alors aucune idée de ce que sera sa vie future. Mère, père et frère n’ont pas survécu. Denise, plus âgée, résistante et déportée à Ravensbruck, libérée parmi les premières, est aussi revenue. Il faut faire face à l’immense incompréhension d’une France mal à l’aise avec le retour des déportés. Face à l’incompréhension, la jeune Simone n’en demeure pas moins combative.

Quand elle apprend qu’elle a été reçue aux épreuves du baccalauréat, passées à Nice la veille de son arrestation en mars 44, sa volonté, nourrie depuis l’adolescence, s’affirme : devenir avocate. Son désir de savoirs la conduit à s’inscrire à la faculté de droit et au nouvel institut d’études politiques dont elle a entendu parler. Créé par une ordonnance du gouvernement provisoire d’octobre 1945 à la place de la vieille Ecole Libre des Sciences Politiques, l’établissement échappe de peu à la nationalisation grâce à l’invention féconde d’un double statut. La Fondation Nationale des Sciences Politiques, de statut privé, gère financièrement et administrativement l’Ecole. L’IEP, public, assure la mission de formation et se modernise sous la férule de Jacques Chapsal.

« Réapprendre »

De toutes ces nuances, Simone Jacob n’en a cure. S’inscrire à Sciences Po est pour elle un défi de plus : « Je ne savais plus lire ni penser, je devais réapprendre, tout »[2]. Elle est dispensée, « en raison de sa situation douloureuse », de l’examen qui a déjà eu lieu et qui du reste n’était imposé qu’aux filles ! Simone Jacob entre donc en année préparatoire avec le statut de déportée politique et intègre une conférence de méthode réservée aux étudiants marqués par la guerre ; résistants, prisonniers de guerre, enfants de déportés s’y côtoient. Une conférence que Jacques Chapsal a confiée à Michel de Boissieu. Ce normalien, haut fonctionnaire, est aussi un résistant qui s’est illustré au sein du mouvement Combat puis au Conseil national de la Résistance.

Simone Jacob est d’emblée séduite par ses qualités. Comment ne pas l’être par cet homme qui a eu le courage d’épouser une demoiselle Cahen le jour même de la promulgation du statut des juifs et d’en faire écho dans la presse. Elle est immédiatement enthousiasmée par ses conférences, au point qu’il la choisi pour devenir son assistante en AP. Il est saisi par « la maturité peu commune pour son âge »[3] de son élève, qui devient une amie du couple.  Très vite, elle déserte les bancs de la fac – les polycopiés suffisent – pour se consacrer aux conférences de l’Institut : « Ce que je trouvais passionnant, c’étaient les conférences animées par des personnalités venues d’horizons divers et riches d’expériences variées », écrit-elle dans ses mémoires. Elle y découvre ainsi André Siegfried, Jean-Jacques Chevalier, Jacques Donnedieu de Vabres, ou encore Pierre Renouvin, brillant historien, aux engagements politiques à l’opposé de ceux de Michel de Boissieu, mais dont la rigueur intellectuelle l’impressionne.

Epouse, mère et ambitieuse

Simone Jacob ne se mêle pas au reste de ses condisciples et partage peu l’insouciance de ceux qui fréquentent alors assidûment les caves et les cafés de Saint-Germain-des-Prés. Elle ne participe pas plus aux débats politiques, étrangement absents d’ailleurs des discussions entre étudiants, sans doute encore trop sous l’emprise du clivage entre la France de la collaboration et celle de la Résistance[4].  Sa réserve la tient à l’écart. Comme si le tatouage qu’elle porte sur le bras l’empêchait de se fondre aux étudiants de Sciences Po. « Intelligente mais trop silencieuse à la conférence » peut-on lire sur certains de ses relevés de notes. Mais ses convictions sont déjà affirmées comme le note Jean Stoezel à propos de ses prestations dans son cours sur l'opinion publique et la presse : « beaucoup de franchise dans l'exposé de ses idées personnelles »!

Seul un petit groupe, parmi lesquels Claude-Pierre Brossolette, Michel Goldet ou encore Jean-François Poncet, constitue son cercle d’amis. C’estaussi Rue Saint Guillaume qu’elle rencontre, en février 1946, son futur mari. Huit mois plus tard, en octobre, à 19 ans, Simone Jacob épouse Antoine Veil, promis à un brillant avenir. Futur énarque et inspecteur des finances, il entrera aux cabinets de Pierre Henri Teitgen puis d’Alain Poher, qui lui ouvriront les portes de la vie politique. Etudiante sérieuse, assidue, Simone Veil se transforme en épouse modèle, dévouée à la carrière de son futur mari qu’elle aide dans sa préparation de l’ENA. Leur premier fils Jean naît alors que Simone termine sa deuxième année à Sciences Po. Le second, Claude-Nicolas, arrive alors qu’elle achève ses études. Simone Veil se tient à l’écart des discussions politiques et à distance de la famille MRP que son mari vient de rejoindre. Si ces gens du centre l’ennuient, elle n’en a pas moins de convictions politiques. Foncièrement anti-communiste, elle se sent proche de la gauche sociale-démocrate incarnée par Pierre Mendès France.

Diplômée en juillet 1948 de la section service public, Simone Veil met sa carrière entre parenthèses pour suivre son mari nommé en Allemagne, à Wiesbaden.  Ce n’est qu’en 1954, après la naissance de son troisième fils, qu’elle décide de reprendre le cours inachevé de son cursus. Non sans mal. Elle doit batailler ferme avec Antoine qui ne veut pas entendre parler du barreau : « On ne fréquente pas les avocats. Leur métier n’est pas fait pour les femmes »[5]. Elle obtient finalement de s’inscrire au concours de la magistrature, accessible aux femmes depuis 1946, où elle sera reçue parmi les premières.

Nommée en 1957 à la direction de l’administration pénitentiaire, cette « combattante » devient peu à peu la Simone Veil connue de tous les Français, celle qui caracole en tête des sondages. Dès lors, elle ne va cesser de s’illustrer pour la défense de ses valeurs qu’il s’agisse du droit des détenus ou du droit des femmes, lorsque, ministre de la Santé, elle obtient, en novembre 1974, la dépénalisation de l’avortement. Fervente européenne, elle œuvre pour la réconciliation franco-allemande comme présidente du Parlement européen à partir de 1979. Comme le dira Philippe Sollers dans un portrait du Nouvel Observateur : « Ce qui me frappe le plus chez Simone Veil, c’est la cohérence métapolitique de sa démarche. L’Europe, les droits de l’homme, le libéralisme fondamental, la politique étrangère, tout se tient, sans hésitations, sans peur. Son regard vient de loin (…) »[6].

 

[1] Simone Veil, Une vie, Stock, 2007, p.98
[2] Maurice Szafran, Simone Veil. Destin, Flammarion, 1994, p.135.
[3] Lettre de Michel de Boissieu dans le dossier Sciences Po de Simone Veil.
[4] Simone Veil, Une vie, Stock, 2007, p.100.
[5] Simone Veil, une Vie, Stock, 2007, p.112
[6] Cité par Christine Clerc, Les Conquérantes, Nil, 2013, p.66. 

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