Correspondance politique - Tout compte fait, je n’aimerais pas être de Gauche
Tout au long des mois qui nous séparent de l’élection suprême, deux Sciences Po vont entretenir une correspondance politique hebdomadaire : Erwan Le Noan, consultant et blogueur engagé pour une économie libérale, et John Palacin, ancien conseiller d’Arnaud Montebourg, aujourd’hui conseiller régional de Languedoc Roussillon Midi Pyrénées.
Cher John,
En nous proposant d’échanger, de manière régulière, Anne-Sophie* a eu une idée bien sympathique : confronter deux points de vue, l’un « de Gauche », l’autre « de Droite » (pour le lecteur : ma mission est d’incarner celui « de Droite » !). Et nous voici donc embarqués pour une production hebdomadaire jusqu’à l’élection présidentielle !
Entre nous, le pari n’est pas évident : il est à la mode de prétendre que « Gauche » et « Droite » sont des divisions arbitraires de la société et de la vie politique, qui ne portent plus de sens et auxquelles il faut privilégier une alliance des « bonnes volontés » (rejetant ceux qui ne partagent pas ce point de vue parmi les « mauvaises » âmes). Je n’en crois pas un mot.
Il me semble qu’il existe, aujourd’hui encore, de réelles divergences entre la Gauche et la Droite. La principale d’entre elles (mais non la seule) est, à mon sens, la vision que l’un et l’autre « camp » a de l’égalité : la Gauche continue de vouloir assurer une égalité « réelle » (le Gouvernement de Manuel Valls a même compté une éphémère « secrétaire d’Etat à l’égalité réelle », en poste 166 jours !) et lutte contre les inégalités, parce qu’elle estime qu’elles constituent un scandale en soit ; la Droite, à l’inverse, défend un projet dans lequel un objectif est l’égalité des opportunités (et non des situations de fait) et préfère lutter contre les injustices (il peut il y avoir des gens dont la réussite justifie une grande richesse, pour autant que chacun puisse emprunter la voie méritocratique). C’est une première raison pour laquelle, au fond, je n’aimerais pas être socialiste aujourd’hui : c’est un courant de pensée qui n’est plus inscrit dans son temps ; dans l’économie numérique qui s’amorce, les inégalités vont persister alors que les injustices peuvent diminuer.
Ces oppositions entre les « blocs » n’interdisent évidemment pas des divergences au sein même de la Gauche et de la Droite. Elles n’empêchent pas non plus, fort heureusement, qu’il puisse exister des convergences entre elles, y compris dans l’action publique ; mais ce n’est pas la même chose de défendre un projet idéologiquement ancré et d’y rallier, pour réaliser des projets, les « bonnes volontés », que d’en bâtir un en prétendant avoir des références partout et vouloir ratisser large. En piochant partout, on ne s’accroche nulle part. Au demeurant, il me semble que le clivage Gauche / Droite est un référent démocratique incontournable (Gilles Finchelstein qui l’explique bien) : si l’offre politique se recompose autour d’une vaste entente Gauche / Droite, l’électeur n’aura plus le choix qu’entre elle et les extrêmes…
Il reste, bien sûr, qu’il n’est pas toujours évident de savoir ce que proposent la Gauche et la Droite aujourd’hui. L’une et l’autre ont été d’une paresse idéologique décevante. Surtout en cette fin de mandature socialiste qui se termine, admettons-le, sur un désastre (évitons-nous le débat qui consisterait à comparer avec la précédente: je sais que jouer l’effet repoussoir est une astuce adorée à Gauche ; mais si le quinquennat de la Droite avait été brillant, elle serait encore au pouvoir).
Économiquement, les chiffres sont tristement parlants : le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté est passé de 7,82 millions en 2012 à 8,76 millions en 2014 ; alors que la France avait 2,66 millions de chômeurs (BIT) au 2etrimestre de 2012, elle en recense 2,84 millions au 1er de 2016, dont 657 000 jeunes… Les pauvres et les chômeurs seront contents de ces 5 années de politiques brouillonnes, interventionnistes et dépensières (je dois dire que je cherche encore en quoi ce mandat aurait été dominé par les forces du marché et le libéralisme !)…
Politiquement, qu’on en soit arrivé au point de savoir si François Hollande est encore même légitime à se présenter en dit long (pour ma part, j’ai tendance à croire qu’il l’est, qu’il est peut-être même le meilleur candidat de la gauche et qu’il ira de toute manière)… A nouveau, je n’aimerais pas être socialiste dans cette période de déroute.
Quelle ironie, tout de même ! Car d’une certaine manière, la Gauche n’a là que la monnaie de sa pièce. François Hollande s’est fait élire en 2012 avec un discours « du Bourget » identifié à Gauche, alors que sa campagne était plutôt marquée par l’ambiguïté ; il en paie le prix aujourd’hui. Et pendant les 5 années du précédent quinquennat UMP, la Gauche avait pratiqué l’opposition systématique, bloquant catégoriquement tout projet, conspuant en permanence Nicolas Sarkozy et ses ministres : elle aurait dû s’apercevoir qu’en s’attaquant si virulemment aux hommes, elle atteignait un peu les institutions. Aujourd’hui, plus personne n’a vraiment de respect pour le Président Hollande et il n’en est pas le dernier responsable…
J’ai souvent constaté qu’il était plus facile d’être de Gauche : les journalistes te portent une forme de sympathie car, pour eux, tu incarnes la bonté et la gentillesse dans l’histoire ; spontanémenttu es supposé ami de la culture et amoureux du bio, on pense même que tu raisonnes avec ton cœur, alors qu’en face ce salaud de droite ne pense qu’avec son portefeuille et les puissances du CAC40 (ses amis de la finance). C’est d’autant plus étrange qu’à Sciences Po, j’ai plutôt rencontré l’inverse : des socialistes riches et des étudiants de droite investis dans le social, dans leur version libérale ou tradi ! En cet automne 2016, force est de constater que même sur ce sujet la Gauche est perdue : sur le plan intellectuel, c’est un peu plat ; quant au social, avec un Président qui se moque des « sans-dents »… Décidément, je n’aimerais pas être de Gauche.
Bref. La campagne va commencer bientôt. Cela devrait nous donner matière à discussion !
Je te souhaite une excellente semaine !
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*Anne-Sophie Beauvais, directrice générale de Sciences Po Alumni