[Analyse] Dominique Reynié : "Les partis sont les dernières institutions ayant entièrement résisté aux changements du monde"
On le connaît comme politologue médiatique, aux commandes de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol). En 2015, Dominique Reynié (promo 83) est passé de l’analyse à l’action en conduisant, lors des régionales, la liste LR-UDI en Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées. Confronté aux réactions acerbes venues de son propre camp, à des intrusions dans sa vie privée, ce professeur à Sciences Po a néanmoins découvert, malgré sa défaite, les aspects enivrants d’une campagne. Une expérience de terrain, doublée d’un œil expert : nous avons sollicité son regard sur l’engagement politique, et la situation du pays.
De la société civile à l’action politique
Notre pays se porte mal: l’analyse et le commentaire, qui restent mon métier, ne pouvaient donc plus me suffire. J’ai eu envie, modestement, de contribuer à l’amélioration de la situation.
J’avais conscience de m’attaquer à quelque chose de difficile. Je suis rentré dans un système peu favorable à un profil comme le mien : une personne issue de la société civile, n’ayant pas exercé de mandat. Le premier obstacle est la machine politique. Je l’avais anticipé mais j’avais sous-estimé la force de certaines réactions négatives au sein de mon propre parti. Mon score de premier tour (18,8 %) a été une déception. J’ai cependant eu la satisfaction d’arriver en tête (30,5 %) dans mon département, l’Aveyron, et d’y réaliser le meilleur score de ma liste tous départements confondus. Au second tour, avec 21,3 %, ma liste a réuni 133 000 électeurs supplémentaires, ce dont je suis fier, tant la situation était difficile. Aujourd’hui, je m’attache à accomplir au mieux ma mission de conseiller régional.
Etre un prof élu de droite
Je reste professeur à Sciences Po. Je prends place dans une tradition de fait, laquelle concerne plus souvent des enseignants de gauche, tels Olivier Duhamel, Jean-Noël Jeanneney, Jacques Généreux ou encore Dominique Strauss-Kahn. Vous remarquerez que la question de la compatibilité entre le professorat et l’engagement politique n’apparaît que dans le cas d’engagement à droite. En France, l’engagement politique d’un intellectuel est considéré illégitime s’il n’est pas ancré à gauche. On m’a souvent désigné comme un « ancien » ou un « ex » « politologue », ce que l’on ne fera jamais pour ceux qui ont le même type de parcours à gauche.
L’erreur du front républicain
Pendant l’entre-deux tours des régionales, ma liste était, à droite, la seule pouvant se maintenir ou se retirer. Au départ, j’avais pris un engagement : ni fusion ni retrait. Il n’était pas question de ne pas le respecter. À mes yeux, le front républicain est une erreur historique. Nous la payerons très cher. En Paca ou dans le Nord Pas-de-Calais, le FN devait pouvoir gagner, et donc, gouverner. J’ai combattu ce parti pendant les régionales, mais ne peux accepter un système où des élections seraient organisées à condition que l’un des candidats autorisés à concourir ne gagne jamais ! Si nous admettons cela, notre système aura bientôt perdu toute légitimité. Le retrait des listes discrédite les partis de gouvernement. Ils s’opposent et, soudainement, se réunissent et s’accordent pour en battre un autre. Des électeurs seront alors tentés de penser que ces partis font semblant de s’opposer, qu’ils sont fondamentalement d’accord entre eux, voire qu’ils défendent des intérêts communs. De son côté, le FN demeure préservé de l’expérience ingrate de gouverner. Je me suis d’ailleurs demandé pourquoi Marine Le Pen prenait le risque de cette élection qu’elle était en mesure de gagner. Ce n’est pas facile d’organiser la fusion de deux régions et d’assurer son développement économique à l’aide de grands discours à l’emporte-pièce. Le front républicain vient de lui rendre un grand service. Elle est assurée d’arriver en 2017 sans avoir été confrontée aux immenses difficultés de l’action publique, voire auréolée de ce fameux UMPS dont le front républicain accrédite nécessairement l’existence.
Des partis incapables de se réformer
Pas un salarié, pas un consommateur, pas une entreprise, pas un organisme n’a échappé à la révision de sa façon de penser et d’agir… Or, les partis sont les dernières institutions ayant entièrement résisté aux changements du monde. Ils ont refusé toute évolution. Rien de ce qui fait la société d’aujourd’hui ne se retrouve en leur sein. Ils demeurent hiérarchisés, à tendance inégalitaire et autoritaires, alors que le monde social est plus horizontal, décentralisé et coopératif que jamais. Cette situation ne pourra pas durer : les partis sont chargés de former les programmes de gouvernement, de recruter les candidats, de mobiliser les électeurs et, si possible, de soutenir l’action de gouvernement. Ils sont donc tenus à une forme de représentativité. Ils ne peuvent continuer d’être à ce point en contradiction avec les forces culturelles qui travaillent notre société.
La professionnalisation paralysante de la vie politique
Pour un trop grand nombre d’élus, la politique est une rente. Ce système touche à sa fin, c’est d’ailleurs pourquoi les réactions conservatrices sont plus vives. Cela tient notamment au déclin des partis, de leur représentativité, de leur fonctionnement et de leur culture. Il faut aussi prendre en compte la crise de l’Etat-providence : nos partis rentrent dans une économie ou l’argent public devient plus rare, ce qui va profondément changer la donne. Si les partis sont nécessaires, ils devront se réformer en profondeur pour remplir leur fonction démocratique.
Quel avenir pour la politique française ?
Notre pays a besoin d’une baisse de la pression fiscale et d’un soutien massif aux créateurs de richesses. Les fonctions régaliennes doivent quant à elles être assurées plus efficacement. Il convient également de faire émerger de nouveaux profils politiques. J’ai la conviction que cela passe par l’ouverture à la société civile. Les professionnels de la vie publique doivent apprendre à se mettre en retrait, voire à changer d’activité. Pourquoi un parti ne s’engagerait-il pas à limiter, dans le temps, l’existence politique de ses élus ? Si nous nous jugeons incapables de ces changements pourtant nécessaires, nous vérifierons alors la réflexion profonde que l’on doit à Edgar Faure: « La France est toujours en avance d’une révolution parce que toujours en retard d’une réforme. »
Propos recueillis par Claire Bauchart (promo 10) et Anne-Sophie Beauvais (promo 01)
Crédit Photo : Manuel Braun
Cet entretien a été initialement publié dans le numéro 4 d'Emile (hiver 2015-2016).