Tribune - « Cessons de faire de la politique un métier à vie ! »
La directrice de Sciences Po Alumni, Anne-Sophie Beauvais, a publié lundi dernier une tribune dans Le Monde dans laquelle elle appelle à limiter à trois législatures successives le mandat parlementaire pour rafraîchir, assainir et moderniser la vie publique.
François Fillon est peut-être innocent de ce qu’on lui reproche – ou peut-être pas –, mais il est certainement blâmable d’une chose, à l’instar d’autres responsables politiques, arrivés, comme lui, au plan national et ayant le projet de gouverner la France : il n’est jamais sorti de la vie politique pour aller respirer un autre air. Si l’on cessait de permettre à nos élus nationaux de passer une vie entière enfermés dans les feutrés et soyeux palais de la République, on amoindrirait – j’en prends le pari – toutes les tentations du prince qui, aveuglé par un mode de vie d’un autre temps, ne voit plus où se trouvent les limites de son pouvoir et par-là même, parfois, les limites de l’éthique, voire du droit.
De nombreuses données abstraites
François Fillon aura été député pendant vingt-deux ans, sénateur pendant presque deux ans, ministre pendant sept ans et premier ministre pendant tout un quinquennat. Soit plus de trente-cinq ans de carrière en politique. La même démonstration pourrait être faite sans difficulté de l’autre côté de l’échiquier, pour Benoît Hamon et Manuel Valls par exemple, deux autres vieux routards de la politique. Eux, comme d’autres, sans parler évidemment d’emploi fictif, ce qui serait parfaitement infondé, n’ont-ils jamais été amenés à perdre, dans leurs actions, certains repères d’humilité, enfermés dans un monde qui isole ? Pour avoir observé cet univers de près, je n’y mettrais pas ma main au feu, tant les tentations sont grandes.
Aller voir dehors, c’est en réalité être capable d’aller travailler ailleurs. En entreprise, dans des administrations, des organisations à but non lucratif, peu importe. Aucun modèle n’a évidemment de probité parfaite : certaines gouvernances d’entreprise n’ont en effet pas de leçon à donner au monde politique, en matière d’arbitraire ou de privilèges réservés à la caste de leurs dirigeants. Malgré tout, sortir du monde politique, c’est se confronter à des hiérarchies, des DRH et des patrons à qui rendre des comptes, des budgets à monter et à tenir, des collaborateurs à gérer à l’aune du droit du travail, des notes de frais à faire signer, des reportings (communication de données) à respecter. Tout ce qui n’existe pas pour ceux qui ont choisi de faire de la politique au niveau national. Pour les parlementaires et les ministres, les ressources humaines, le management, l’évaluation de chaque action menée à l’aune des résultats qu’elle produit, et surtout l’argent sont des données abstraites. Mettez au défi un ministre de vous dire le coût de fonctionnement de son cabinet. Peu, pour ne pas dire aucun, le sauront.
Le non-cumul ne résoudra rien
Il faut donc en finir avec l’idée de faire carrière en politique. Le non-cumul des mandats, qui vise à interdire à un député ou à un sénateur d’exercer simultanément son mandat avec celui d’un exécutif local, et qui va entrer en vigueur en 2017, ne résoudra pas ce problème. Ce non-cumul a vocation à accroître la disponibilité des parlementaires, et donc à accompagner le renforcement du poids du Parlement, ce qui est sans nul doute une bonne chose. Mais ce qui l’est moins, c’est de pouvoir rester député ou sénateur à vie ! Il faudrait limiter le nombre de mandats dans le temps.
Nicolas Sarkozy avait eu le mérite de le faire pour le président de la République, pourquoi n’a-t-on pas imposé cette limite aux parlementaires ? Trois mandats successifs, soit quinze ans, ce qui laisserait le temps de tirer profit de l’expérience. La vie politique, au niveau national, ne se ferait alors plus en vase clos. Elle serait obligée mécaniquement de se renouveler, d’accepter des personnes venues d’horizons divers. Nous pourrions alors espérer voir arriver en politique non pas seulement les cadres dirigeants, mais aussi ces catégories salariales utiles, celles qui sont majoritaires et qui font tourner le pays, mais qui sont si peu présentes aujourd’hui en politique. La vie des assemblées parlementaires – et par là même celles des partis politiques – se moderniserait, puisque d’autres pratiques en découleraient forcément.
Certains peuvent légitimement penser que ces navettes entre les sphères politique et privée seraient difficiles à organiser. Soit, dans le meilleur cas, elles ne privilégieraient que les « élites » dirigeantes, celles qui pourraient retrouver facilement un travail à la sortie de la politique. Soit encore, dans le pire des cas, elles engendreraient une forme de « clientélisme » : les entreprises recevraient bien volontiers des élus en imaginant que, avant ou après le passage chez elles, des échanges de services pourraient se mettre en place. Mais soyons lucides : tout cela existe déjà ! Combien de grands instituts de sondage ou de cabinets d’avocats n’ont-ils pas « hébergé », pas uniquement par altruisme, des politiques pendant leur traversée du désert ? Benoît Hamon, Martine Aubry, Dominique Strauss-Kahn, Dominique de Villepin, Jean-François Copé et tant d’autres.
Mobilité des jeunes générations
Alors n’ayons pas peur d’une vision plus radicale encore, pour vraiment faire bouger les lignes : si la loi l’exige, la politique ne sera plus un métier à vie, on devra donc en avoir un autre pour survivre en dehors d’elle. Quant aux entreprises, aux administrations ou aux organisations à but non lucratif, elles prendront l’habitude de voir partir ou revenir, en leur sein, des personnes qui auront donc beaucoup à leur apporter du fait de cette mobilité.
Les jeunes générations sont prêtes à cela, à passer d’un monde à l’autre et à faire bouger les frontières entre les deux. Je le vois tous les jours dans une école comme Sciences Po, qui est souvent perçue comme la « fabrique » de ces « élites » politiques. Si nos parlementaires et ministres de demain ressemblent à ces jeunes élèves d’aujourd’hui, qui sont parfaitement bilingues, qui partent déjà à l’étranger, partout dans le monde, au cours de leurs études, qui font de nombreux stages en entreprise et qui choisissent même, chose nouvelle, de faire leurs premières armes professionnelles dans de jeunes start-up et non plus dans des grands groupes installés du CAC 40, on peut espérer qu’il sera plus difficile d’incriminer ces futures élites, pour qui la politique ne serait plus toute une vie, de tous les maux.
Par Anne-Sophie Beauvais (ancienne conseillère politique et directrice générale de l'association des diplômés de Sciences Po)