[Il y a 7 ans] Antonin Levy
A l'occasion de la campagne présidentielle, Émile replonge dans ses archives, et vous fait redécouvrir une interview d'Antonin Lévy, l'avocat médiatique qui assure aujourd'hui la défense de François Fillon.
En avril 2010, la Revue de l'Association des Sciences Po publiait l'interview de plusieurs jeunes diplômés prometteurs. Parmi eux, Antonin Lévy, jeune avocat de 29 ans, qui venait de quitter le monde du droit des affaires pour devenir pénaliste.
Tête d’intellectuel, barbu, costume digne des plus grands cabinets d’affaires, verbe clair et structuré, esprit rapide, humour certain, Antonin Lévy, 29 ans, avocat aux barreaux de Paris et New York, a fait un choix qui pourrait paraître surprenant : après avoir été cinq ans avocat d’affaires dans un des plus grands cabinets français, celui de Jean-Michel Darrois, que tous les jeunes avocats rêveraient d’intégrer, après avoir goûté aux joies des fusions-acquisitions, il a choisi de devenir pénaliste.
Pas de vocation au départ pour le barreau, pour Antonin Lévy, fils d’intellectuels de gauche- père philosophe, mère publicitaire. Après une hypokhâgne, il opte pour Sciences Po. En fin d’AP, sa décision est prise : ce sera la magistrature. Mais son premier stage chez Gide Loyrette Nouel, change la donne. Il attrape le virus et sera avocat. Rencontre.
Après un DESS Sciences Po - Paris I sur la globalisation économique, pourquoi le passage par la case New York, avant de devenir avocat d’affaires à Paris chez Jean-Michel Darrois ?
Je tenais à me familiariser avec la structure du raisonnement juridique américain, très différent du nôtre. Pour les Américains, la pensée se structure davantage par une maïeutique, un cheminement que par une démonstration. Notre culture française est plutôt de déterminer un résultat, et de construire à partir de là le plan le plus cohérent. Avoir le titre d’avocat au Barreau de New York représentait donc une valeur ajoutée certaine pour débuter en France. A mon retour, la plus grande partie de mon activité, chez Darrois, était dédiée aux fusions-acquisitions et aux marchés de capitaux. Mon premier dossier a été Pernod Ricard – Allied Domecq, dans le domaine des spiritueux, puis Alcatel Lucent, Natixis, BPCE. Ce qui n’est pas forcément l’image d’Epinal de l’avocat. Inutile de préciser que ma robe est restée propre un certain temps !
Le rythme de travail en cabinet de droit des affaires, très intense, est-il justifié ?
C’est un dévouement à la défense des intérêts de son client. Le monde des affaires a sa propre temporalité. En cabinet de droit des affaires, comme en banque, le rythme est évidemment soutenu. Certes, la rémunération suit. Mais c’est surtout l’occasion de travailler jours et nuits sur des dossiers d’envergure et passionnants. En travaillant sur le contentieux Morgan Stanley contre LVMH qui occupe les colonnes de la presse économique et juridique, on ne compte pas ses heures. C’est tellement grisant qu’on ne réalise même pas avoir sauté son deuxième dimanche d’affilé. Je me rappelle avoir fait 3 nuits blanches en 6 jours ! Mais vous connaissez l’expression : « Si vous ne venez pas samedi, ce n’est même pas la peine de revenir dimanche ! » Mais tant que l’on est passionné, on ne se rend pas compte que les heures passent.
Pourquoi alors avez-vous quitté le droit des affaires pour le pénal ?
Un accident de parcours. En 2007, j’étais Secrétaire de la Conférence, un concours d’éloquence, qui réunit chaque année douze jeunes avocats du barreau de Paris, et j’ai été, comme c’est l’usage, commis d’office en matière criminelle. J’ai ainsi été immergé dans un univers jusque là inconnu, celui du pénal de droit commun, tout en continuant mon activité de droit des affaires. Mes journées étaient d’une diversité et d’une richesse rare, presque schizophrènes : le matin, à la prison de Fresnes à 8 heures avec un client accusé de viol en réunion, à 10 heures avec les grands patrons du CAC40. Pendant un an, j’ai assuré la défense du tueur de dame pipi, du drogueur d’homosexuels, du violeur de boîte de nuit… J’ai aussi eu l’occasion de plaider en comparutions immédiates. En une seule après-midi, vous êtes confronté à une réalité que l’on préfère ignorer : le mari violent, l’ivrogne, le voleur…
Le cabinet Darrois m’a totalement soutenu dans ce projet, ce qui n’était pas évident. Cette expérience m’a sorti de mon sommeil dogmatique, m’a donné envie de voir autre chose. Deux ans plus tard, j’ai quitté Darrois pour rejoindre Olivier Metzner, l’avocat de Dominique de Villepin, de Jérôme Kerviel, de Jean-Paul Huchon, de Bertrand Cantat ou du groupe Bouygues… Olivier Metzner vient de la défense pénale traditionnelle, il est celui qui a évité la peine de mort à l’étrangleur des parkings. Il est passé du côté du pénal des affaires dès l’apparition de cette pratique en France, dans les années 1990, époque à laquelle les politiques et les patrons ont commencé à être placés en détention provisoire. Notre cabinet a aujourd’hui une expertise de pointe sur les questions de corruption, de trafic d’influence, de prise illégale d’intérêt et de pénal financier. Contrairement à ce que l’on pense, il y a également dans la défense pénale, une partie de conseil, en ce qu’il s’agit d’accompagner nos clients dans la prévention et la gestion du risque pénal. En matière de corruption par exemple, de nombreuses difficultés ont pu être gérées par une réaction dès l’origine et une évaluation du risque encouru.
Pour vous, qu’est-ce qu’être avocat ? L’idée que vous vous faisiez de ce métier quand vous avez débuté a-t-elle évolué ?
Je me fais du métier d’avocat la même idée qu’à mes débuts : être avocat, c’est défendre son client. C’est l’idée qui rassemble tous les avocats, quelle que soit leur spécialité. Que l’on représente les intérêts d’une grande société ou d’un pauvre bougre, qu’une personne vous confie son honneur, son argent, sa réputation ou l’avenir de son entreprise, votre seule boussole est la défense de votre client.
Je pense avoir connus deux fonctionnements différents, disons plutôt deux pratiques opposées mais évidemment complémentaires de la profession. Le conseil chez Darrois Villey. Les fusions-acquisitions. Les sociétés cotées. Les sociétés cotées aussi, chez Metzner Associés mais selon un point de vue différent, celui du droit pénal et du droit pénal des affaires. Certes, mon activité aujourd’hui est plus fidèle à l’image que le grand public se fait de l’avocat : la robe, le palais, les plaidoiries… Mais reste l’idée de défendre son client quoi qu’il en coûte, en respectant les valeurs du serment : « Je jure comme avocat d’exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité. »
Défendriez-vous n’importe qui ?
C’est une question difficile. Pour l’instant, je n’ai jamais été confronté à un cas qui me laisse seul face à ma conscience et pour lequel je me verrais contraint de refuser le dossier. Pourtant j’ai déjà défendu des personnes accusées d’appartenance au terrorisme islamiste, des meurtriers, des violeurs, des personnes dont le sens de la morale pouvait, et c’est un euphémisme, paraître éloigné du mien.
Il ne faut jamais oublier que l’avocat n’est pas son client. Il le représente. Simplement. La défense du client ne signifiera jamais que son avocat épouse ses convictions. C’est aussi cela l’indépendance de l’avocat. Indépendance vis-à-vis des tiers, bien sûr. Mais aussi et surtout l’indépendance vis-à-vis de son client. En pratique, cela signifie de ne jamais se faire imposer un système de défense, mais de toujours suivre celui que l’on pense être le meilleur. La question se pose pour les cas les plus extrêmes, pour les terroristes, les fanatiques, ceux pour lesquels les actes qui leur sont reprochés ne sont que le reflet de leurs ultimes et radicales convictions. Toute personne qui attendra de son avocat qu’il se fasse son simple porte-voix ne saura être justement défendue. L’amalgame, la confusion de l’avocat et de son client est contraire à cette absolue indépendance. Et c’est parce que l’avocat est capable de se démarquer de son client qu’il pourra défendre n’importe qui.
Second impératif catégorique, ne jamais se laisser manipuler par le dossier. Pour vous donner un exemple, si Klaus Barbie vient me voir parce que je suis juif, il ne vient pas me voir parce que je suis avocat mais pour ce que je suis. Dans ce cas, toute défense est impossible car l’avocat n’existe plus, il est dilué.
C’est aussi à cela que sert notre robe d’avocat, à recouvrir nos croyances et nos convictions afin que jamais elles n’interfèrent. L’avocat est partisan mais il n’est jamais militant.
Le métier d’avocat est-il un métier essentiellement de trajectoires, de dossiers contingents, ou permet-il d’aboutir à une évolution du droit ?
C’est un subtil mélange des deux. Le premier exemple que je prendrais est le combat des avocats pour la réforme de la garde à vue, qui mélange à la fois le parcours individuel de chaque avocat et l’effort collectif de sauvegarde des droits de l’Homme.
L’autre exemple qui me tient à cœur à titre personnel concerne la réforme en matière de droit des étrangers et de droit d’asile. La condition de leur rapatriement manu militari en Grèce pour les réexpulser sans autre forme de procès vers leur pays d’origine est extrêmement préoccupante.
Ces deux exemples montrent que l’on peut mener à la fois un combat personnel et collectif- où l’on tente d’obtenir le revirement, la décision qui créera un précédent, qui ouvrira la brèche. Le but n’est pas qu’elle se referme derrière soi, mais que les autres s’y engouffrent. Je fais partie de l’Association Pierre Claver, fondée par Me François Sureau, ancien Sciences Po lui aussi, qui regroupe des avocats bénévoles désireux d'aider les demandeurs d'asile en France. En nous faisant subventionner par les clients de nos cabinets respectifs, nous fournissons une aide globale aux migrants, qui inclut une école d’alphabétisation, une aide au logement, une aide juridique et enfin une aide à l’insertion. Beaucoup d’associations s’occupent déjà de ce combat titanesque : France Terre d’Asile, Emmaüs… A notre petite échelle, nous essayons de les aider.
Comment vous voyez-vous dans 10 ans ?
La seule chose qui est certaine, c’est que dans dix ans je porterai la robe avec le même plaisir, chaque dossier étant unique, chaque client extraordinaire. Le métier d’avocat change en même temps que vous, évolue avec vous. C’est peut-être la raison pour laquelle on y reste si longtemps.
Que pensez-vous de la politique aujourd’hui ? Croyez-vous encore aux partis ? Vous verriez-vous avoir une action politique ?
Il y a dans le métier d’avocat une part de combat politique et le combat pour la sauvegarde des droits de la défense déborde facilement du simple terrain juridique. De là à en faire une carrière… je dirais que c’est tentant. Des passerelles existent, actuellement plus dans un sens que dans l’autre ! Mais je dois vous avouer que je trouve toujours difficile quand on vient du monde des avocats d’essayer d’avoir la même légitimité que ceux qui ont consacré leur vie au combat politique et militant.
Oui, Je crois encore à la politique et aux partis et à la différence droite-gauche. Il souffle un vent nouveau, de jeunes visages à gauche, Najat Belkacem ou Cécile Duflot, qui me laisse penser que le monde politique est très bien pourvu pour demain.
Etre avocat d’affaires, et de gauche n’est-il pas antinomique ?
Non je ne le pense pas. Jean-Michel Darrois, le plus grand avocat d’affaires, a toujours été proche de Laurent Fabius et est resté un homme de gauche.
Je fais partie de ceux qui pensent qu’en soi le profit n’est pas un terme scandaleux, que la croissance n’est pas un mot tabou, qu’elle peut même, soyons fous, être porteuse de progrès.
Que vous a apporté Sciences Po?
D’abord de la rigueur et une construction de la pensée. A Sciences Po, on apprend à construire, à rédiger, à structurer et à présenter. Dans le monde professionnel, c’est le minimum attendu, quel que soit le domaine concerné. Sciences Po offre aussi l’ouverture sur le monde, la connaissance de l’homme si précieuse à l’avocat. Lorsque vous défendez un journaliste, un patron, un braqueur, vous fréquentez des univers radicalement différents les uns des autres, mais pourtant traversés par un même flux de pensée juridique. Vous devez apprendre à vous adapter à des contextes différents. A Sciences Po, on apprend ce sens de l’adaptation. Sciences Po est la première des grandes écoles qui mène au métier d’avocat, devant HEC, Normale Sup. La formidable nouvelle Ecole de droit n’a fait que transformer l’essai.
C’est parce que je suis reconnaissant de ces atouts véhiculés par l’Ecole que j’ai moi-même franchi le miroir et suis devenu Maître de conférence en Droit, en deuxième année à Science Po. Il m’est cher de transmettre un peu en retour à l’école qui m’a tant donné.
Que pensez-vous de votre génération ?
De génération en génération, il y a toujours cette impression d’avoir une relève difficile à assurer et d’avoir sur les épaules le poids d’une tradition impossible à supporter. Chaque génération se pose des questions. Ceux qui avaient mon âge en 1960 devaient maudire la génération précédente pour leur avoir légué la guerre froide. Ceux qui avaient 20 ans en 1989 devaient se demander à quoi ressemblerait l’avenir après la « fin de l’Histoire ». On nous laisse un monde marqué par les déséquilibres économiques et écologiques, dans lequel la cohésion de l’Europe sera largement questionnée, où les clivages Nord-Sud sont flous… Mais je ne vois là aucun défi que notre génération ne pourra relever !
Propos recueillis par F. Maignan et P. Oberkampf, publiés dans la revue Rue Saint-Guillaume en avril 2010 (n°158)