Tribune - La voie étroite de François Fillon
Dans une tribune publiée le 8 mars dans Le Figaro, Jérôme Sainte-Marie revient sur la candidature de François Fillon après la manifestation du Trocadéro.
La renaissance de la candidature Fillon ouvre, dans cette campagne électorale en tous points extraordinaire, une nouvelle possibilité. Souffrant de mille maux, le clivage gauche-droite peut-il agir une dernière fois de manière décisive, en permettant la qualification de l’ancien Premier ministre pour le second tour de l’élection présidentielle ? A très court terme, et dans une ambiguïté idéologique sciemment entretenue par le candidat, l’état de l’opinion rend ceci concevable.
La rusticité du socle électoral de François Fillon est une première évidence. Au plus fort de la polémique, 19% des électeurs selon BVA lui restent acquis. La perte de cinq points depuis début janvier s’accompagne, toujours d’après cet institut, d’un relèvement du taux de certitude du choix, 70% de ses électeurs conservés se disant sûrs de leur choix. Un tel degré de fermeté ne se rencontre que parmi l’électorat de de Marine Le Pen. Un processus d’érosion différentielle s’est donc produit, touchant d’abord les sympathisants centristes, qui choisissent désormais d’abord le candidat d’En Marche !, et les catégories d’actifs les plus aisées, tels les cadres et les professions libérales. A l’inverse, la population des retraités, désormais reine des batailles électorales en Europe, demeure, pour près du tiers d’entre elle, acquise à François Fillon. Par conséquence de son importance numérique et de sa propension à voter, cet atout n’est pas négligeable.
A partir de cette base, le candidat des Républicains peut-il espérer reconquérir les quelques points qui le sépare de la qualification pour le second tour ? L’avalanche des événements au cours des derniers mois invite naturellement à la prudence, mais si l’on fait l’hypothèse qu’aucune affaire nouvelle ne vienne fracasser ce qui reste du débat démocratique, la campagne paraît ouverte. En effet, le taux d’intérêt des Français pour l’élection présidentielle était en fin de semaine dernière anormalement bas. A 72%, c’est six points de moins qu’un mois auparavant. A rebours du processus normal d’une campagne électorale, à quelques semaines du scrutin, l’intention d’aller voter régresse. Un tel marasme n’a qu’un précédent, l’élection présidentielle de 2002. La cristallisation du choix est aujourd’hui si faible que la moitié des personnes déclarant leur intention d’aller voter ne savent pas encore pour qui, ou bien déclarent qu’elles pourraient encore changer d’avis.
Pour François Fillon, il importe aujourd’hui d’accrocher un récit à un programme, ou, pour le dire moins aimablement, une justification à un intérêt social. Les électeurs qui lui restent fidèles expliquent avant tout leur choix par les propositions politiques, dans une proportion plus grande que ne le font ceux des autres candidats. C’est également celui, selon l’institut BVA, qui est le moins choisi par défaut, alors que plus d’un tiers des électeurs d’Emmanuel Macron ou de Benoît Hamon motivent leur vote de cette façon négative. Ces données renvoient à la primaire qui l’a désigné. Lorsdecescrutin, FrançoisFillons’estimposé surune ligne
« ordo-libérale », affirmant une volonté de réforme implacable tout en promettant la conservation de l’identité culturelle du pays. Ce discours, très proche en réalité de la promesse incarnée par Nicolas Sarkozy en 2007, a séduit des millions de Français qui veulent croire que l’on peut faire le tri dans la mondialisation libérale. Une telle synthèse, niée aussi bien par Emmanuel Macron que par Marine Le Pen, a été paradoxalement protégée par l’actualité judiciaire. Dans les semaines qui restent, François Fillon aura à défendre, enfin, son hypothétique cohérence.
Il demeure que le programme du candidat des Républicains constitue pour bien des Français un objectif désirable, non seulement pour l’intérêt général mais aussi pour leur situation particulière. Ce qu’ils ont entendu des reproches faits à François Fillon en a déstabilisé certains, les contraignant à un processus d’auto-conviction. Pour cela, la rhétorique de l’instrumentalisation politique de la procédure convient à merveille, ainsi que la mise en accusation d’un « système » très vaguement défini. Ces deux figures du discours politique ont déjà beaucoup servi, et avec efficacité. Jacques Chirac s’était imposé en 1995 face à Edouard Balladur en affirmant son extériorité aux intérêts dominants. Sept ans plus tard, il su également limiter l’impact électoral des dossiers mettant en cause sa probité par la mise en cause de la sincérité de leur instruction. Il est douteux que la défense très offensive de François Fillon persuade l’opinion dans son ensemble, mais elle suffira peut-être à rassurer un nombre suffisant de ses électeurs potentiels.
A l’heure où Emmanuel Macron et Marine Le Pen concentrent ensemble plus de la moitié des intentions de vote de premier tour, la polarisation de politique française entre le tout-libéral et le tout-souverain n’est plus une vue de l’esprit. Le choix qu’ils proposent, par sa clarté même, rebute cependant des millions de Français, désireux de croire possible une conciliation des avantages de ces deux ordres, le libéral et le souverain. François Fillon leur offre cet échappatoire, à condition que la droite soit réellement sortie de cet état où la crise se nourrit d’elle-même. En ce sens, le discours réussi du Trocadéro est un petit caillou placé devant la roue de l’histoire politique française, qui pourrait en retarder le cours. Ce délai porte un nom, il s’agit du premier tour de l’élection présidentielle.