Quand la fiction s'empare de la politique
Les élections et l’exercice du pouvoir constituent de formidables réservoirs à fiction dans lesquels les romanciers ont toujours aimé puiser. Du polar aux romans à clefs, de la campagne électorale à la fin de règne présidentiel : comment la fiction s’empare-t-elle de la politique ? Tour d’horizon des romans de la Ve République, une petite bibliothèque sans date de péremption.
Le roman d’anticipation proche : le spectre de l’extrême-droite
Ces deux dernières années, plusieurs romanciers ont choisi de se frotter à l’exercice périlleux de la fiction d’anticipation proche. Et tous ou presque imaginent l’accession au pouvoir de l’extrême-droite.
Dans La nuit du second tour, Eric Pessan raconte la soirée qui verrait le Front National accéder au pouvoir, à travers les errances croisées d’un couple séparé depuis peu. David, ébranlé par l’issu du scrutin, déambule dans une ville à feu et à sang assiégée par des manifestants, des émeutiers, des citoyens en colère. Quant à Mina, son ancienne compagne, elle a préféré prendre le large, se réfugiant sur un cargo qui file vers les Antilles.
Dans son thriller En pays conquis, le journaliste Thomas Bronnec se projette lui un peu plus loin, au moment des législatives : la présidente de gauche et son gouvernement, sans majorité, doivent pactiser avec les extrémistes du « Rassemblement National », entrés en force à l’Assemblée avec 67 députés.
Un sujet tellement fort qu’il donne même envie à des personnalités inattendues de se lancer dans la fiction, comme le sociologue Michel Wierworka. Dans Séisme, il imagine les premiers mois au pouvoir de Marine le Pen : le décès de son père, l'alliance des droites nationales au Parlement, le gouvernement de Florian Philippot, Premier ministre….
Noirceur du pouvoir
L’extrême-droite règne donc dans tous les romans, sauf celui du romancier belge Grégoire Polet qui prend le parti de l’utopie, en imaginant dans TOUS l’ascension d’un grand mouvement de démocratie directe, en France et dans toute l’Europe. Cette fiction très bien documentée - l’auteur vit à Barcelone et s’est très fortement impliqué dans le mouvement des Indignés -- raconte comment Carolina, une jeune Belge engagée dans une organisation humanitaire, fonde avec Romuald, un médecin rencontré en Afghanistan, un mouvement protestataire européen. Romuald est élu président de la VIe République… mais il est assassiné quelques mois plus tard.
D’ailleurs, pour l’anecdote, il arrive assez souvent que les présidents de la République soient victimes de meurtre dans des romans (dont beaucoup n’ont pas faite date). Dans VIP, une fiction qui vient de paraître, Laurent Chalumeau inverse les rôles : le président de la République devient le meurtrier ! L’intrigue : un paparazzi surprend deux malfaiteurs s'en prenant à une actrice à la mode. Arrive l'amant de celle-ci, qui n'est autre que le président de la République. Celui-ci perd le contrôle de la situation et commet un quadruple homicide : les deux malfaiteurs, sa maîtresse et son garde du corps...
Les romans de la campagne
A chaque élection présidentielle, son romancier. En 2007, Yasmina Reza avait suivi comme une ombre le candidat Sarkozy, se fondant dans son équipe, prenant des centaines de notes… qui ont donné naissance à L’aube le soir ou la nuit, un texte inclassable, ni reportage ni roman, vendu à 300 000 exemplaires et que le principal intéressé aurait, selon son entourage, détesté. Cinq ans plus tard, Laurent Binet avait suivi le même dispositif avec François Hollande et publié Rien ne se passe comme prévu.
L’énergie, la folie, les intrigues d’une campagne présidentielle avaient été aussi remarquablement exposées du point de vue de deux conseillers Dans L’Ombre, deux apparatchiks, comme ils se présentent eux-mêmes. Même s’ils sont tous deux très proches d’Alain Juppé, Edouard Philippe et Gilles Boyer signent avec Dans L’Ombre un thriller presque intemporel qui montre la mécanique d’une campagne électorale et ses personnages indispensables - le communiquant, le conseiller, l’intellectuel.
Dans un registre tout aussi informé signalons La plume, premier roman signé Virginie Roels, qui a longtemps été journaliste de télévision. Elle imagine un président de la République qui, alors qu’un jeune étudiant s’apprête à lui poser une question lors du débat de l’entre-deux-tours, se met à complètement paniquer et ruine ainsi sa carrière, sans que personne ne comprenne pourquoi…
L’intimité du pouvoir et les secrets d’Etat
Une fois le pouvoir conquis, il faut l’exercer. Là aussi la vie quotidienne du pouvoir, tant dans les ministères qu’à Elysée, stimule les plumes… et tout particulièrement de ceux qui ont fréquenté de près le pouvoir.
En partant de son expérience de journaliste qui a longtemps fréquenté les allées du pouvoir, la journaliste Françoise Giroud écrit Le Bon Plaisir en 1983. Dans ce roman, elle décrit un Président de la République en exercice qui, soucieux de sa réélection, demandait à son ministre de l’Intérieur d’éviter un scandale qui viendrait de l’annonce d’un enfant caché qu’il aurait eu avec une ancienne maîtresse. Le roman va provoquer la colère de François Mitterrand, persuadé que Françoise Giroud avait voulu révéler l’existence de sa fille… qui proquo entretenu par le nom de la toute jeune maison d’édition où le roman est publié : Mazarine ! Une fausse accusation, selon Laure Adler, la biographe de Françoise Giroud, qui affirme en revanche que celle-ci s’est inspirée de l’histoire vraie d’un ministre (dont on ignore toujours l’identité aujourd’hui).
L’écrivain Erik Orsenna, dix ans après son passage à l’Elysée comme conseiller culturel auprès de François Mitterrand lors de son premier septennat, avait tiré de son expérience un roman, Grand Amour. Son héros, Gabriel, qui lui ressemble comme un jumeau, y confessait la grandeur, les misères, les querelles, les lâchetés et les petites joyeusetés de son statut “d’écrivain fantôme” du Château.
Plus près de nous, Quentin Lafay, la plume actuelle d’Emmanuel Macron, signe avec La place forte une satire de la vie dans un cabinet ministériel, décrit comme archaïque et trop rigide pour faire face convenablement aux enjeux contemporains.
Les grandes sagas
Enfin, il faut recommander deux sagas du pouvoir politique qui sont chacune impressionnantes par leur ampleur et leur pertinence : Les Sauvages, une tétralogie de Sabri Louatah et la trilogie de l’Emprise par Marc Dugain.
Dans Les Sauvages, dont le premier tome est paru en 2012, le primoromancier Sabri Louatah racontait l’élection à la présidence d’un Français d’origine kabyle, Idder Chaouch, vainqueur de la primaire du PS et victime d’un attentat qui le blesse sans le tuer dès son arrivée au pouvoir. La saga (en cours d’adaptation pour Canal plus), ressemble à un grand reportage : une formidable exploration de la France contemporaine, dans toutes ses contradictions et sa violence.
Marc Dugain a lui travaillé avec des journalistes d’investigation pour construire sa trilogie de l’Emprise. Il imagine un président de centre-droite, Launay, piégé par les services secrets américains dès son élection. Il y est question des relations entre l’industriel et les politiques, du fichage mondial des citoyens… mais aussi (et surtout) de la psychologie profonde des hommes politiques. Une psychanalyse du pouvoir qui se dévore d’une traite.