Macron en Chine : "Pour les dirigeants français, la question économique est absolument majeure, le business avant tout"
Emmanuel Macron s’est rendu en Chine en début de semaine. Il a débuté sa visite par Xi’An, cité emblématique des routes de la soie, avant de se rendre à Beijing. A la fois diplomatiques, stratégiques et commerciaux, les objectifs affichés étaient multiples. Pour mieux comprendre les enjeux de ce déplacement officiel, Emile s’est entretenu avec Jean-Louis Rocca, professeur au CERI de Sciences Po, spécialiste de la Chine. Il a notamment écrit The Making of the Chinese Middle Class en 2017 et Une sociologie de la Chine en 2010.
Propos recueillis par Albane Demaret et Maïna Marjany
Il s’agissait de la première visite importante d’un chef d’Etat européen en Chine depuis 2017. Le Président français était-il très attendu en Chine ?
La venue du président français n’est pas un événement absolument majeur pour la Chine. Ses relations avec les grandes puissances comme les Etats-Unis, le Japon, ou la Russie ont bien plus d’importance aux yeux des dirigeants chinois. Toutefois, il était intéressant pour eux d’établir un premier contact avec le président français, parce qu'ils ne le connaissaient pas. Après, la France reste une puissance moyenne. Emmanuel Macron n’est pas Donald Trump, il ne représente ni les Japonais, ni les Russes, qui sont les personnages de premier plan considérés « au même niveau » que la puissance chinoise à l’heure actuelle.
Et quelle image le peuple chinois a-t-il d’Emmanuel Macron ?
La perception qu’ont les Chinois de la politique étrangère est extrêmement limitée. Les aspects « people » prennent le pas sur le reste. L’image d’Emmanuel Macron en Chine est celle d’un président jeune, au look branché et qui a une femme beaucoup plus âgée que lui... Mais cela ne dépasse pas la perception que la grande masse des Chinois peut avoir d’une star du rock ou des stars de la télévision ou du cinéma. C’est essentiellement par ce biais un peu glamour qu’ils perçoivent la réalité de la politique chinoise. Les gens qui suivent de près les questions politiques, et notamment de politique étrangère, en Chine sont une archi minorité.
Qu’est-ce que cette visite révèle de la politique étrangère d’Emmanuel Macron ?
Elle révèle un aspect relativement pragmatique, qui ne tranche pas tellement avec le virage entamé à l’époque de François Hollande. Pour Emmanuel Macron et les dirigeants français, la question économique est absolument majeure, « le business avant tout ». L’objectif étant d’attirer les investisseurs chinois, qui sont déjà nombreux à investir en France, et de vendre du matériel sophistiqué, pas seulement du parfum ou du vin. Comme il faut avoir de bonnes relations avec la Chine, il est nécessaire de ne pas trop aborder les questions de démocratisation, ou les questions politiques, afin de nouer des relations de confiance et de favoriser au maximum le développement des activités économiques entre la France et la Chine
Pourquoi le président a-t-il choisi de débuter sa visite à Xi’An plutôt qu’à Pékin ?
C’est un choix relativement traditionnel, les présidents précédents étaient aussi passés par ce haut lieu de la civilisation chinoise. Le fait de commencer sa visite à Xi’an est assez révélateur de la présidence Macron où la communication politique, les symboles, la mise en scène sont importants et parfois plus que le reste. Il marque par là le respect de la France vis-à-vis de la civilisation chinoise, de la place de la Chine aujourd’hui et dans l’histoire de l’humanité. C’est aussi une manière d’entrer dans la logique nationaliste, qui est un ressort important de la politique chinoise actuelle, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays.
Dans son premier discours Emmanuel Macron a notamment abordé la lutte contre le réchauffement climatique. Avec le retrait de Donald Trump du traité de Paris, la Chine devient-elle un partenaire de choix pour la France ?
Les réticences américaines laissent la Chine dans une position extrêmement avantageuse à laquelle elle ne s’attendait pas. L’élection de Donald Trump est ainsi une très bonne nouvelle pour la Chine, concernant des thématiques comme le réchauffement climatique ou le développement des échanges économiques, puisque le président Trump se montre, pour le moment, moins enclin à développer des relations économiques internationales. La Chine a donc une voie toute tracée pour renforcer encore davantage son image de puissance s’occupant des affaires du monde. Elle a endossé le rôle de locomotive et, même si le pays reste l’un des plus grands pollueurs de la planète, il est très actif sur les questions environnementales. Il y a une vraie politique, parfois assez brutale, et parfois même mal perçue par la population chinoise. Par exemple, des interdictions de chauffage au charbon ont été prises par le gouvernement, ce qui a contraint des familles aux revenus peu élevés à passer un hiver entier sans chauffage.
La France, d’une certaine façon, essaye de prendre le train en marche et de s’y accoler pour se donner une bonne image. D’autant qu’actuellement la politique environnementale intérieure française n’est pas la plus dynamique. En revanche, un problème majeur demeure : même si la Chine prétend avoir un leadership dans ce domaine, à partir du moment où les Etats-Unis ne participent pas aux accords de Paris, rien n’avancera sur le réchauffement climatique. En réalité, les Etats-Unis restent indispensables pour une politique internationale en la matière.
La France et la Chine ont-elles des intérêts communs vis à vis de la Corée du nord ? Peuvent-ils coopérer sur cette question diplomatique ?
La France peut prendre toutes les initiatives qu’elle veut sur ce plan-là, le problème de la Corée du Nord est davantage un problème intérieur chinois. La Corée du Nord dépend beaucoup de la Chine, qui est certainement le seul pays à avoir une influence sur la Corée du Nord. Mais cette influence est en même temps très limitée puisqu’il est exclu pour le gouvernement chinois d’autoriser une réunification. Pour la Chine il faut absolument qu’il y ait deux Corées opposées, afin d’éviter l’émergence d’une puissante Corée à ses côtés. Une telle Corée lui fait peur, à tort ou à raison, mais il est certain qu’elle poserait un certain nombre de problèmes y compris aux Chinois. L’idéal pour Pékin serait donc d’avoir à Pyongyang un gouvernement qui soit à la fois sécessionniste, nationaliste, et qui en même temps arrête d’envoyer des bombes à droite et à gauche.
Emmanuel Macron a déclaré être plutôt favorable au projet de « nouvelles routes de la soie » porté par le gouvernement chinois, et a annoncé une possible participation française. Dans le même temps, il a mis en garde contre toute forme d’hégémonie. Qu’en pensez-vous ?
C’est un terrain très risqué. La Chine fait un effort énorme de propagande pour populariser l’idée, y compris dans les milieux d’affaires, dans les milieux politiques... Même en France, il existe un lobby pro-chinois sur ces questions de développement de la route de la soie, y compris dans les milieux universitaires, où des colloques sont organisés autour de ce sujet. Les investissements et la présence chinoise peuvent avoir des aspects bénéfiques mais il ne faut pas être naïf, la Chine comme la France ou les Etats Unis ne peuvent pas, dans ce type d’initiatives, séparer les aspects politiques et les aspects économiques. Quand de grosses entreprises, extrêmement puissantes, investissent dans un pays, dans des infrastructures, elles risquent d’avoir un impact impérialiste très fort. La simple présence de grandes entreprises peut créer des phénomènes de dépendance, de corruption, et de clientélisme à l’intérieur des systèmes politiques. Ces phénomènes peuvent changer la donne politique et démocratique dans ces pays. Se lancer dans un tel projet avec l’idée que l’on va participer à une grande opération bénéfique et pro-développement, c’est naïf ou hypocrite. On a affaire à des éléments instables et, sur le plan politique, toute discussion sur la question de la démocratie, des droits de l’homme est évitée. On ne critique rien, on met simplement quelques bémols et on s’aligne sur une politique diplomatique pragmatique et réaliste, où les valeurs universelles et les principes ne sont pas mentionnés. C’est donc un terrain miné.
D’ailleurs, pendant cette visite d’Emmanuel Macron, les droits de l’homme n’ont pas été évoqués en public. Le président a promis de les évoquer en privé. Cela signifie-t-il que ce n’est pas un sujet d’importance durant ce voyage ?
Sur ce point, je pense que la situation des droits de l’homme est très compliquée en Chine. Ce n’est pas tout ou rien. Quand les Chinois disent qu’il s’agit avant tout de faire en sorte que la population atteigne un certain niveau de vie, qu’ils aient de quoi se loger, se vêtir, se nourrir, profiter de la vie... Je trouve qu’ils n’ont pas complètement tort ; on a tendance à focaliser les questions des droits de l’homme sur les libertés politiques. C’est évidemment l’un des aspects mais pas le seul. On peut considérer que les droits de l'homme c'est à la fois augmenter le niveau de vie de la population et lui offrir des libertés politiques mais dans ce cas il faut comparer la Chine avec le Brésil ou l'Inde, pays où règne la démocratie représentative mais aussi bien plus de misère et guère plus de libertés politiques véritables qu'en Chine.
Toutefois, il y a une dizaine d’années, les autorités chinoises acceptaient relativement bien quelques remarques publiques sur les questions des droits de l’homme. Maintenant, ils n'acceptent plus aucune remarque sur ces questions. Il est clair qu’Emmanuel Macron soulèvera peut-être de manière privée quelques problèmes. On lui rétorquera qu’il a raison, mais que la Chine fait des efforts et que la question du développement économique, et de la lutte contre la pauvreté sont les priorités. En réalité, personne, ni du côté chinois ni du côté français, n’a envie de parler de ces questions.